Né à Conakry le 15 août 1920 d’un père d’origine gabonaise et d’une mère guinéenne, au sein d’une famille très croyante qui ne refusa pas son entrée au séminaire de Dixinn, Raymond-Marie Tchidimbo va effectuer dans ce dernier ses études primaires et secondaires, dans des conditions assez difficiles: toutes les classes, y compris celles de philosophie et de théologie se faisaient au même endroit avec un personnel réduit. En 1941, il est mobilisé, sans doute par erreur, comme citoyen français. Le service militaire et la guerre sont pour lui à la fois une ouverture sur le monde et une expérience importante de commandement des hommes.
A sa démobilisation en 1945, il refuse de retourner au séminaire de Dixinn, estimant que les études n’y étaient pas assez approfondies et l’atmosphère trop confinée. Il obtient d’aller au Grand Séminaire de Sébikhotane, au Sénégal. Il y découvre la spiritualité du Père Libermann et deman,de d’entrer chez les spiritains. Il fait son noviciat en France en 1948-1949, prononce ses premiers vœux le 7 octobre 1949 et termine ses études de théologie à Chevilly. Il aura l’occasion, pendant ses années de formation, d’entretenir des relations suivies avec Emmanuel Mounier (fondateur de la revue Esprit), mais aussi avec Ismaël Touré, le demi-frère de Sekou Touré. En octobre 1951, il est ordonné prêtre.
Sa première affectation le renvoie en Guinée, dans la Préfecture apostolique de Kankan, comme Vicaire à Faranah en octobre 1952. Le P. Tchidimbo organise dès le début des conférences pour la formation des chrétiens, en particulier sur le plan social. Ses relations avec quelques figures émergentes de la société guinéenne le font suspecter par l’Administration française : son courrier est surveillé. En octobre 1954, il devient professeur à l’Ecole Normal de Dabadougou et, trois ans plus tard, en 1957, il prend en charge la paroisse de Kankan, la Direction des Oeuvres et quelques responsabilités matérielles telles que les questions domaniales. Il a le souci, également, de sensibiliser ses confrères à l’évolution irrésistible de l’Afrique. Après la démission du Préfet Apostolique de Kankan, en 1957, il assure l’intérim de la fonction au nom de l’archevêque de Conakry, Administrateur apostolique de Kankan, jusqu’à la nomination d’un nouveau Préfet, l’année suivante, 1958 – qui est aussi l’année de l’indépendance de la Guinée. En octobre 1960, le P. Tchidimbo devient à Conakry Vicaire général de l’archidiocèse auprès de Mgr de Milleville ; il est chargé spécialement des relations avec le gouvernement.
En 1960-1961, toutes les écoles privées sont nationalisées. Mgr de Milleville fait lire une lettre de protestation contre cette spoliation, mais surtout contre la demande d’une « Eglise nationale » : il est alors expulsé le 26 août 1961. Le Père Tchidimbo devient Administrateur de l’archidiocèse et fait bientôt partie des évêques africains nommés par le pape Jean XXIII. Il est ordonné évêque le 31 mai 1962 : c’est une grande fête en Guinée et le Président Sékou Touré y participe en personne. Les débuts semblent euphoriques, mais Sékou Touré attendait de l’archevêque de Conakry qu’il s’aligne sur les directives du Parti. Or 1962 marque aussi le début du Concile Vatican II qui va renforcer les liens de ces jeunes évêques avec l’Eglise universelle.
Mgr Tchidimbo essaye d’aller le plus loin possible dans la voie de la collaboration avec le Pouvoir. Mais, pas dupe, il garde toujours une liberté de parole. Peu à peu les relations avec le Président se dégradent. La première difficulté majeure surgit en mars 1966 après le coup d’Etat renversant Nkwamé Nkrumah, président du Ghana, que la Guinée accueille : le gouvernement demande aux communautés religieuses de « maudire les impérialistes et leurs valets ». Mgr Tchidimbo demande à ses prêtres de célébrer la messe pour la paix et lu-même préside celle de la cathédrale. Dans son sermon il critique tous les impérialismes, quelle que soit leur couleur, et dénonce les atteintes à la liberté et même à la vie des chefs d’Etat. Mais il inclut tous les chefs d’Etat, y compris ceux que le Régime traitait de « fantoches ». La retransmission de son allocution est aussitôt coupée et désormais ses homélies ne seront plus transmises à la radio nationale car « non-conformes ».
Le 1er mai 1967, Sékou Touré annonce l’expulsion de tous les missionnaires « blancs » avant le 1erjuin suivant. Des pourparlers s’engagent en hâte avec Mgr Benelli, Nonce à Dakar, et avec le Cardinal Zoungrana, archevêque de Ouagadougou : rien n’y fait et les expulsions ont bien lieu fin mai. Les évêques ont improvisé un plan d’urgence pour faire venir des religieuses et des prêtres africains, et un premier groupe est arrivé en effet le 31 mai, mais il a été aussitôt bloqué à Conakry, au prétexte que ces religieuses et prêtres étaient arrivés sans visa (en principe aucun Africain n’avait besoin de visa pour entrer en Guinée)! Mgr Tchidimbo essaie en vain de débloquer la situation. Le Président refuse de le recevoir depuis que l’archevêque lu a dit n’avoir pas le pouvoir de nommer des évêques ni même des Administrateurs pour les autres diocèses de Guinée.
Les relations sont uniquement épistolaires et l’archevêque n’aura pas de réponse. La situation se complique dans les mois suivants, deux prêtres – un Sénégalais et un Guinéen – ayant préféré l’amitié de Sékou Touré à la solidarité avec leur archevêque. Sékou Touré profite de cette division et en voudra définitivement à l’archevêque quand celui-ci renverra le prêtre sénégalais dans son diocèse d’origine… alors que le Président l’aurait bien vu à la place de Mgr Tchidimbo ! Le Parti Unique créera alors un Comité de(s) Catholiques de Guinée qui cherchera à mettre en accusation Mgr Tchidimbo et à le faire démissionner.
En novembre 1970, le coup de main portugais donnera l’occasion au Pouvoir d’en finir avec l’archevêque : accusé de faire partie du complot, celui-ci se retrouve en prison la veille de Noël. Commence alors la série des interrogatoires accompagnés de tortures, d’humiliations sans fin, de pressions de toutes sortes qui rappellent les fameux procès de Moscou en 1937 et plus tard en Europe de l’Est. On conseille à Mgr Tchidimbo de reconnaître quelque chose pour ne pas laisser sa vie dans ces tortures.
Finalement, c’est l’ambassadeur d’Union Soviétique qui intervient et conseille au président Sékou Touré de ne pas faire de l’archevêque un martyr : il échappe donc à la mort mais il est condamné à perpétuité pour trafic de devises : il avait préféré faire venir du matériel et du ravitaillement (qui manquaient cruellement en Guinée) plutôt que l’argent en subvention romaine… qui auraient été changé à un taux dérisoire !
Mgr Tchidimbo restera presque neuf ans au camp Boiro, de sinistre mémoire. Au bout de quelques mois, sa cousine religieuse, Mère Louis Curtis, réussira à lui faire passer un peu de ravitaillement (les geôliers voudront bien laisser faire) et même de quoi célébrer la messe. Puis après de longues démarches entreprises par le Vatican, le plus souvent par l’intermédiaire du Président Williams Tolbert du Libéria, un pasteur baptiste, Mgr Tchidimbo est libéré le 7 août 1979 et mis aussitôt dans l(avion pour Monrovia. Il lui faudra plusieurs mois pour refaire sa santé et évacuer les cauchemars de la prison. Peu de temps après, deux évêques sont nommés, Mgr Robert Sarah à Conakry et Mgr Philippe Kourouma à N’Zérékoré. La situation de l’Eglise de Guinée n’était pas assurée pour autant.
Quant à Mgr Tchidimbo, il est nommé au Conseil Pontifical de la Famille et, pendant plusieurs années, préside des réunions, donne des conférences en Europe et ailleurs dans le monde. Il fait paraître plusieurs livres (Mon Père et ma Mère, Noviciat d’un évêque, la Dame de ma vie…). Avec le produit de son travail, il se fait construire une petit villa dans le sud de la France , à St Didier, où il passe ses années de retraite. Malgré de nombreux ennuis de santé, la vue et l’ouïe qui faiblissent, il atteint les 90 ans le 15 août de cette année et meurt le 26 mars 2011.
Il a demandé à être enseveli en Guinée.
Texte de l’archevêché de Conakry, repris de guinee24.com.