De ce mercredi 23 décembre 1970, jour de son arrestation au Samedi 26 mars 2011, jour de son décès, combien de fois Mgr Raymond Marie Tchidimbo a-t-il entendu cette question qui lui était posée? Il ne savait quoi répondre parce qu’il ne savait pas! En effet, sous le régime de Sékou Touré, on n’avait pas besoin de commettre un crime pour se retrouver coupable.
À l’occasion du 49ème anniversaire de cette arrestation, je vous propose cette très émouvante nécrologie écrite par le congolais [Kinshasa] Monzemu Moleli L. sur le site afriquespoir.org.:
Samedi 26 mars 2011, Mgr Raymond Marie Tchidimbo, archevêque émérite de Conakry, s’éteignait en France, à l’âge de 90 ans. Il n’était pas un évêque comme les autres. En effet, chargé en 1962 par le pape Jean XXIII de renouer le dialogue avec Ahmed Sékou Touré, le premier président de la République de Guinée, le prélat est arrêté par ce dernier et condamné à la prison à vie. Mgr. Tchidimbo passera ainsi près de neuf ans au ‘’Camp Boiro’’, lieu de torture par excellence où sont morts par milliers, par toutes sortes de sévices, de nombreux détenus, dont notamment Diallo Telli, premier Secrétaire Général de l’Organisation de l’Unité Africaine, (OUA); Fodeba Keita, ancien ministre et créateur des célèbres ‘Ballets africains’; Barry Diawadou; Camara Balla; Camara Loffo… ‘’Noviciat d’un évêque’’, c’est le titre d’un livre que Mgr Tchidimbo avait écrit sur sa longue incarcération.
Il est 12 h 30, ce mercredi 23 décembre 1970. A deux jours de la grande fête de Noël. Les sbires du président Sékou Touré sont là à la chancellerie de l’archevêque de Conakry. Ils sont venus ‘pêcher’ Mgr. Tchidimbo que voulait tant boucler le chef de l’Etat, mais l’occasion lui manquait encore. Cette fois, occasion ou pas, il fallait bien le réduire au silence. Pour le prélat lui-même, ce n’était pas une surprise, il le savait.
Il y a eu des sources qui l’ont informé que s’il ne quittait pas le territoire guinéen avant le 2 décembre, il serait arrêté. Entretemps, il pouvait bien quitter le pays, s’en aller ailleurs, mais il ne pouvait le faire que sur ordre exprès du Pape. N’avait-il pas juré à la veille de son ordination épiscopale de demeurer fidèle à son poste, quoi qu’il advienne? Dès le 2 décembre même, Paul VI était tenu au courant de l’épée de Damoclès placée au-dessus de la tête de l’archevêque de Conakry. Pour quels motifs?
– Pour deux raisons officiellement données dans le « Livre blanc » du gouvernement guinéen: collaboration avec l’opposition extérieure et délit d’opinions. Le débarquement dans la capitale guinéenne, dans la nuit du 21 au 22 septembre 1970 [correction novembre], d’une troupe portugaise venue chercher ses propres ressortissants détenus dans une prison de Conakry, lesquels détenus avaient été arrêtés par les troupes nationalistes de la Guinée Bissau, a servi de détonateur pour réduire au silence cet évêque.
Mais le fin fond du problème se trouvait ailleurs: jeune missionnaire encore, de retour en Guinée en 1952, Tchidimbo avait épaulé Sékou Touré dans son action syndicale pour l’avènement d’une société plus juste et plus humaine dans le contexte colonial français. Et à la veille de l’indépendance, Sékou Touré croyait trouver en Tchidimbo ce même allié qui exécuterait ses plans machiavéliques pour ses desseins dictatoriaux.
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Et encore! Il profita des élections municipales de 1956 pour mener une guerre sourde contre l’Eglise de Guinée. Il y a eu encore bien d’autres ‘petites’ et perfides raisons, notamment la prise de position de Tchidimbo lors du fameux referendum du 28 septembre 1958; son avis contraire au mariage avec une de ses cousines alors qu’en 1956, Sekou Touré en était déjà à son troisième mariage.
«Les grandes vacances»
Menottes aux poignets en direction du ‘Camp Alpha Yaya’, commençaient ‘les grandes vacances’ – le terme est de Mgr Tchidimbo lui-même. «Pourquoi avez-vous été arrêté?», ne cessait-on pas de lui poser la question au bout de ses neuf ans de prison. Pince-sans-rire devant ses auditoires étonnés, cette question, répondait-il toujours, il ne se l’était jamais posée pendant toute son incarcération.
La réponse avait été donnée 2.000 ans plus tôt: «On portera la main sur vous, on vous persécutera, on vous livrera aux synagogues et aux prisons, on vous traduira devant des rois et des gouverneurs à cause de mon nom?» (Lc 21,12).
C’est tout dire! Il est donc inutile d’aller chercher ailleurs les causes profondes de l’incarcération, elles se trouvaient tout simplement dans la vocation de Mgr Tchidimbo! Dans son ouvrage Noviciat d’un évêque, Mgr Tchidimbo a notamment écrit que «dans la prison, il sentait que l’Eglise universelle était là en prière pour que la faiblesse de ses moyens d’action ne le fasse pas défaillir, mais qu’avec la puissance de la prière de l’ensemble des chrétiens à travers le monde, il se sentait assisté.»
Dans le cas de la Guinée, ce qui départageait d’une part le prélat en disgrâce aux yeux de son sanguinaire président, et de l’autre, ses compagnons de captivité était le fait que lui, au moins, savait ce à quoi il pouvait s’attendre dès son ordination comme prêtre en 1930 tandis qu’eux, du moins la plupart, ignoraient tout de ce qui leur était reproché.
Grâce à cette détermination, à cette restauration intérieure, la prison cessait d’être ‘une prison’ avec tout ce que cela comporte d’isolement, d’abaissement, d’humiliation, de tortures physiques, de souffrances morales, de mort réelle. Ainsi, au vrai, il n’a pas subi la prison, mais a fait venir en lui la grâce de l’assumer chaque jour. C’est avec ce regard lucide qu’il a abordé ces neuf années de prison.
Temps fort: quand sa cousine avec la complicité de certains gardes, au risque de leurs vies respectives, lui apportaient en secret chaque semaine différents objets, dont les hosties, ainsi que le jour où il a reçu de la même façon sa Bible et ses lunettes de lecture.
Il est comment, l’au-delà?
Arrêté le 23 décembre 1970, il fut conduit au camp Alpha Yaya, en face de l’aéroport Gbessia, de la ville de Conakry, enchaîné, ration minimum possible, et mis au secret et, bien plus tard, transféré au ‘Camp Boiro’, tout aussi célèbre dans ses tortures. Le 5 janvier enfin, la Commission du Tribunal révolutionnaire se décide enfin de l’entendre.
A sa question sur les causes matérielles de son arrestation, il lui fut présenté un long chef d’accusations et on l’invita à faire une déposition d’aveu de ces griefs invraisemblables. Face au refus, les tortures commencèrent. Tant et si bien qu’en dépit de tout, avec toujours ses chaînes aux poignets, il décida la grève de la faim jusqu’au 9 janvier.
Au bout d’une demi-heure de tortures, l’évêque commença à s’évanouir. On l’a alors ramené dans son cachot de 2,20 m sur 0,90 – et toujours enchaîné. Puis il tomba dans un coma qui dura quatre jours. Dès les premiers signes, il fut transporté dans une pièce un peu plus large et un peu mieux éclairée. On le délivra enfin de ses chaînes et un médecin militaire fut mandé à son chevet. Ce coma lui permit de vivre le phénomène de la mort apparente avec tous les signes extérieurs d’un cadavre.
Deux piqûres et il plongea dans un sommeil profond. Sans ces piqûres, peut-être serait-il tombé dans le cas de ces nombreux prisonniers obscurs des camps d’extermination de Sekou Touré ainsi enterrés encore vivants.
Mais sur le plan spirituel, ce coma fut l’occasion pour lui de pénétrer un peu plus avant dans le mystère troublant de la destinée de l’homme. Mgr. Tchidimbo raconte dans son livre: «Ce que j’ai vécu tout au long de ces quatre jours pendant lesquels il me fut donné de côtoyer les frontières de l’au-delà, c’était d’abord l’impression de me trouver dans l’obscurité la plus totale, avec au cœur le sentiment d’une terrible insécurité.
Puis s’établit en votre âme une intense lumière d’où émerge la claire vision de votre existence comme dans un film. La vue de ma vie d’homme responsable déclencha en moi une espèce de panique suivie immédiatement de la tragique interrogation: ‘Dieu est-il encore assez bon et miséricordieux pour pardonner tant de péchés?’ Et ce jugement, contrairement à ce que l’on pense, ce n’est pas Dieu qui le prononce.
C’est nous-mêmes. Ainsi, à l’heure de la mort, le combat intérieur est une réalité dont on ne parle malheureusement pas souvent, tant on a peur d’aborder tout sujet qui touche à l’au-delà.» Remis de son coma, les malheurs de l’évêque ne s’arrêtèrent pas là. La Commission du Tribunal révolutionnaire était toujours là, à la recherche d’un chef d’accusation – ne fût-ce que d’un seul – pour justifier la détention.
Ce chef d’accusation fut aussitôt trouvé: trafic de devises avec un sujet allemand, Adolf Marx, directeur de l’unique brasserie de la Guinée. Oui, c’était vrai! Mgr Tchidimbo le reconnut. Au vrai, c’est le gouvernement guinéen qui le poussa à le faire. En effet, de 1968 jusqu’au jour de son arrestation en 1970, le gouvernement devait à l’archidiocèse de Conakry une rondelette somme de plus de 23 millions de francs guinéens pour exécution de divers travaux de menuiserie, imprimerie, maçonnerie,…
Comment donc allait vivre la chrétienté catholique quand il fallait entretenir prêtres, sœurs, ouvriers, œuvres pastorales, biens meubles et immeubles, et tutti quanti? Ainsi, avec cette histoire de devises, une charge était enfin retenue contre Mgr. Raymond Marie Tchidimbo: condamnation à perpétuité…
Monzemu Moleli L.