Comment est né le faux « complot peul » de Sékou Touré

A l’occasion du 42ème anniversaire de l’assassinat de Alpha Boubacar Telli Diallo par Sékou Touré, 1er mars 1977, je vous livre ce témoignage sur comment est né le faux « complot peul » inventé par le tyran pour arrêter, torturer et tuer tant d’intellectuels, cadres, d’entrepreneurs peuls, d’après Alpha Abdoulaye Diallo « Portos » dans son livre La vérité du ministre. Dix ans dans les geôles de Sékou Touré, entièrement disponible gratuitement sur le site campboiro.org.

Une petite voix fluette, à l’accent peul fortement marqué, nous parvient d’une cellule du bâtiment Cinq :

— « Sèfou yo, Sèfou yo, midho weela… Sèfou Yo »

Nous sommes surpris! Amènerait-on dans ces lieux des fillettes aussi ? Je crois à une illusion auditive. Ce n’est pas possible. Les femmes qui sont au bloc sont glacées d’émotion et elles, si sensibles, elles, mères de plusieurs enfants, ne peuvent retenir leurs larmes. Hélas ! Il faut se rendre à l’évidence! Ce n’est pas une illusion mais bien la triste réalité qui, à Boiro, dépasse toujours la fiction.

Cette voix, c’est celle d’un jeune Peuhl de douze ans, Diallo Lamarana, à qui, pour les besoins de la cause, on fera dire qu’il en a quatorze.

Presque à la même époque, en ce mois d’avril 1976, Rachid Abouchacra — déjà entamé dans sa santé, il boite et porte sur la tête, au-dessus de l’oreille gauche, une excroissance apparue depuis — me retrouve en toute hâte dans la cellule et à bout de souffle me déclare :

— « Mon frère, mon frère ! J’ai pu voir le nouveau : c’est un jeune Peuhl, grand, beau, au teint clair, on dirait même un métis…  »

C’était Amadou Oury Diallo. C’est le démarrage du « complot peul », avec comme corollaire la tragédie de Diallo Telli

Le « complot peul » est une phase du complot permanent ourdi par Sékou Touré contre le peuple de Guinée et postulant une guerre tribale sans merci. Escamotant l’histoire à son habitude, il a voulu faire croire que l’ethnie peule est l’adversaire irréductible de l’unité nationale. Cependant, non seulement Barry Diawadou et Barry III ont, avant lui, préconisé le non au référendum constitutionnel de 1958, mais sans eux, l’indépendance n’aurait pas été possible.

De plus, dans un mouvement de naïf enthousiasme politique et patriotique, ils ont sacrifié à l’autel de l’unité nationale leurs partis politiques, leurs militants, les chances de la démocratie en Guinée et aussi leurs vies, obligeant les cadres peulhs à condamner dans des déclarations publiques, leur propre ethnie. Sékou Touré dont pas même le père n’est né en Guinée, contestera aux Peuhls établis sur cette terre depuis [plus de] trois siècles, la qualité de Guinéens.

Il appellera en conférence publique à la guerre raciale totale contre le Peulh, pour résoudre ce qu’il a appelé la « question peule ». On ne peut que penser à Hitler et à sa question juive. Son frère Ismaël Touré renchérira : « Pour résoudre le problème peul il n’y a que les armes. »

Ce scénario 3 — le « complot peul » — qui avait eu des conséquences funestes avant l’indépendance, au cours d’émeutes sanglantes, sera un échec pour le régime de Sékou Touré, en 1976, malgré l’odieux assassinat de Diallo Telli et de ses compagnons. C’est qu’entre-temps, le souffle sanglant de la révolution avait passé sur le peuple, l’amenant à prendre conscience de certaines réalités.

On traite Lamarana comme un gamin de son âge. On lui offre des bonbons, du chewing-gum, des galettes et un peu d’argent avec ordre au chef de poste de lui acheter ce qu’il voudra. Et là, dans la cour entre les bâtiments 3 et 5, on lui fait répéter « son » texte et on le fait monter sur l’arbre au pied duquel, quelques années auparavant, on nous avait photographiés : on lui remet un pistolet vide et on le photographie. Dans la version officielle que Sékou Touré en donne, l’arbre est situé devant l’Institut polytechnique et le pistolet est une arme qui lui aurait été remise par Diallo Telli. Les gardes eux-mêmes ironisent : « Il faut vraiment que nos chefs soient devenus fous pour qu’ils fassent de telles choses… »

De son côté, Amadou Oury passe à la cabine. Il commence à déposer. Les renseignements qui nous parviennent sont confus, imprécis. Il aurait dénoncé tous les hauts cadres membres du B.P.N. du gouvernement. Même le nom d’Ismaël circule avec quelque satisfaction (quelle illusion !). Le nom de Telli revient souvent avec ceux de NFamara Keïta, Barry Alpha Oumar, Diallo Abdoulaye, Baldé Diawo, Barry Alpha Bakar, Mouctar Diallo, Dramé Alioune…

Bientôt on isole Barry Boubacar 4, ami d’enfance de Telli, et on lui demande de « dénoncer » ce dernier. C’est la meilleure indication que le dossier est vide, que les autorités s’essoufflent avec la cascade de complots. En même temps, cela nous prouve encore qu’avec elles, nous n’aurons jamais de répit. Nous étions tous fortement entamés, épuisés. Aucun de nous n’était plus en mesure de résister ni aux tortures ni à la diète.

Depuis quelque temps, une certaine accalmie règne. La commission travaille et nous apprenons qu’elle est dirigée par Moussa Diakité et Siaka Touré et non par Ismaël. Nos informations tournent en rond. Puis, dans la nuit du 24 juillet 1976, le bloc reçoit un nouveau pensionnaire: on l’a aperçu de dos. Il porte une tenue « trois poches » claire. Il faudra attendre le matin pour savoir qu’il s’agit de Diallo Telli.

Les choses vont être menées tambour battant avec lui. Quelques jours de diète et, bientôt, commence son interrogatoire ponctué évidemment de séances à la cabine technique pour le convaincre plus rapidement de son appartenance à un « complot peul » dirigé contre Sékou Touré et son gouvernement.

Que faire pour l’aider dans cette difficile et douloureuse épreuve? La discipline est redevenue draconienne. Par garde interposé et à mes risques, je l’encouragerai à ne pas céder. De toute façon, avec ou sans déposition, il est condamné : il s’est condamné lui-même, le jour où il a décidé de rejoindre la Guinée. Je suis sceptique quant à sa capacité de résistance. D’expérience, je sais qu’il est extrêmement difficile de résister à la torture ! Il le dira lui-même :

— « Je ne suis qu’un intellectuel, et nous autres intellectuels, nous ne sommes pas préparés à ce genre d’exercice… »

Le 31 juillet, il a cédé. Il n’a pas pu résister. En « sur-prime », Sékou Touré a ajouté de sa main, quelque part dans sa déposition, quelques petits mots apparemment inoffensifs mais pernicieux et destinés à lui aliéner définitivement la sympathie des autres ethnies guinéennes : « … le cas particulier du Fouta… ».

Seront arrêtés à la même époque Dramé Alioune, plusieurs fois ministre depuis la Loi-cadre Gaston Defferre; Dr Alpha Oumar Barry, membre du B.P.N., ministre du domaine des Echanges, ami d’enfance de Telli et neveu de Dramé Alioune. C’est à l’hôpital Donka où il était hospitalisé qu’on l’arrêtera et c’est de là qu’on l’amènera au camp Boiro où il tentera de se suicider. On le sauvera in extremis, on l’hospitalisera de nouveau à Donka et on le ramènera au bloc, à la cellule 49. Le président lui fera des « reproches amicaux » pour avoir tenté de se suicider : ne lui faisait-il donc pas confiance ? Il lui enverra des notes — tout comme à Telli et Dramé —, des cigarettes aussi.

Il fallait coûte que coûte le mettre en confiance : il ne devait mourir ni de mort naturelle ni d’une mort qu’il aurait choisie lui-même. Il devait mourir d’une mort choisie par le responsable suprême de la révolution et dans les conditions arrêtées d’avance par lui.

D’autres arrestations auront encore lieu, toujours de nuit :

Nous aurons du mal à savoir, au début, qui est réellement là, sauf en ce qui concerne Dramé, dont un de nos compagnons avait reconnu la voix, au cours d’une brève conversation qu’il avait eue, en malinké, avec les hommes de garde, au moment où ceux-ci lui demandaient d’entrer dans la cellule 63

— « Entre… dit l’un des gardes.

— Où? Ici ? répond Dramé, surpris et qui jette un coup d’œil dans la cellule.
— Oui…

— Ce n’est pas possible! Vous ne me connaissez pas… Vous ne savez pas que je suis ministre, membre du gouvernement…

— Ah! kè dôn… (Ah ! dis ! entre ! … ) »

Dramé hésite un instant. On le bouscule violemment dans la cellule. Les pênes des verrous glissent dans leurs gâches. Le cadenas se referme. Une nouvelle victime dans le traquenard… Le matin nous étions tous au courant de cet incident qui n’est pas rare à Boiro….

Et souviens-toi Telli, je n’oublierai jamais le contenu du message verbal 17 que tu m’as fait parvenir au moment où, confronté à ton tragique destin, tu n’espérais plus rien des hommes et étais définitivement tourné vers ton Créateur. Si je « m’en tire », comme tu en exprimes la conviction et alors que je suis très sceptique pour ma part, mon combat politique — si j’en ai encore la force — n’aura d’autre sens que l’unité nationale et par-delà, l’unité africaine! Je t’en fais le serment !

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