Dans ce billet tiré de son livre, Mort de Diallo Telli, Premier Secrétaire de l’organisation de l’unité africaine, Amadou Diallo nous explique comment il a été contraint d’avouer des crimes qu’il n’a jamais commis. Le but de cet « aveu » était d’accuser des personnalités ignares de ce qui se tramaient à leur insu contre elles. C’est sur la base de ces aveux extorqués qu’est né le « complot peul » le dictateur a attribué principale responsabilité à Diallo Telli. L’auteur n’a fait que lire une liste de personnes établie par le tyran Sékou Touré, dont il ignorait même certains noms. |
Au début de la deuxième quinzaine de juillet 1976, « j’avoue ». J’ai comploté avec les quatre-vingt-dix personnes inscrites sur la liste. Il convient de noter que le nom de certaines d’entre elles m’est parfaitement inconnu. Dès lors, il ne me reste plus qu’à composer – sur les directives de Sékou Touré et par l’intermédiaire de Siaka qui faisait la navette entre Boiro et la présidence — un faisceau de « preuves » de la participation de X, Y ou Z au vaste complot Telli. J’écris sous la dictée de Siaka, lequel se conforme attentivement à des notes manuscrites. Je crois en reconnaître l’écriture : celle de Sékou Touré. Chaque élément du puzzle que nous élaborons est soumis au chef de l’Etat pour lecture et approbation. Lorsque notre « travail » ne lui convient pas, nous recommençons. « Le Président n’est pas satisfait. Il trouve que c’est de la littérature. Il faut refaire. » Après chaque séance, la déposition est dactylographiée et quelle que soit l’heure, généralement tardive, elle file directement à la présidence. Ainsi, sous la dictée de Siaka, j’ai écrit que, plus jeune, j’avais fréquenté l’Ecole de Saint-Cyr en France, école où je n’ai jamais mis les pieds. Ce brillant passé militaire qui m’était attribué devait rendre crédible mon rôle d’intermédiaire entre Diallo Telli et l’opposition en vue d’un changement de régime. J’ai écrit que le coup d’Etat devait être réalisé par une partie de l’armée guinéenne et par des mercenaires basés à Dakar et à Abidjan. Ayant eu connaissance, grâce aux aveux du capitaine Lamine Kouyaté, de cette somme de dix millions de F CFA que nous réclamions à l’opposition extérieure, Siaka m’y fit faire allusion, mais cette fois pour préciser qu’elle serait utilisée dans le complot Telli.
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Il me demanda de définir le rôle qu’après le changement de régime Telli devait jouer à la tête de l’État. Son programme politique devait viser à l’instauration du capitalisme. Enfin, je dus écrire que nous avions envisagé d’accomplir une série de meurtres contre le chef de l’Etat, son épouse, Mamadi Keita, Ismael Touré, Siaka lui-même et d’autres personnalités encore. Parallèlement à ces activités d’intermédiaire entre Diallo Telli, Siradiou Diallo et d’autres membres de l’opposition, et toujours selon mes « aveux », j’avais été recruté par les services de renseignements français qui me versaient des sommes folles. J’ai noirci des dizaines et des dizaines de feuilles de papier, après des séances de tortures qui me laissaient épuisé. A la fin, j’ai signé un récit qui faisait de Diallo Telli l’âme d’un complot visant au renversement du régime actuel et devant faire de lui le futur Président de la République. On m’a alors présenté à la commission « complot Telli » composée de :
- Moussa Diakité, membre du BPN (Bureau politique national), super-ministre d’un domaine couvrant l’Intérieur et la Justice
- Kera Karim, ministre de l’Intérieur, membre du Comité Central du Parti
- Mamma Tounkara, ministre-délégué à Faranah
- le commandant Toya Condé, membre de l’Etat-Major interarmes et aujourd’hui chef d’Etat-Major des armées (grade de général)
- le lieutenant Bayo Ibrahima, chef d’Etat-Major de la Milice
- Guy Guichard
- Konaté du ministère de l’Intérieur
- Dieng Amadou, secrétaire fédéral de Labé et quelques autres dont j’ai oublié le nom.
Ces hommes qui avaient tous la confiance du Président Sékou Touré étaient chargés de fixer les tenants et les aboutissants du complot afin de le rendre crédible aux yeux des Guinéens et de l’opinion internationale. En somme, ils étaient les théoriciens du complot permanent. C’est devant cette commission que j’ai revu le capitaine Lamine Kouyate. Très éprouvé par les tortures subies, Lamine était effrondré. Siaka lui a demandé de se comporter en officier même si les douze balles l’attendaient au sortir.
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Lamine s’est ressaisi et m’a dit : « Amadou, je regrette que tout le monde ne soit pas en mesure de jouer son rôle dans cette affaire. Malgré ma fidélité au responsable suprême de la Révolution et à son peuple, pour des actions récentes Moussa Diakité a décidé de me tuer. Etant militaire et officier de surcroît, je suis plus près de la peine capitale, entraînant une exécution immédiate, que toi. Comme par le passé, je te confie Paty, sa mère et mes enfants. » Que voulait dire Lamine en regrettant le comportement de certains ? Je me suis souvent posé la question depuis. Faisait-il allusion à des hommes comme le colonel Diallo ou Sikhé Camara, ministre de l’Enseignement supérieur, tous deux sympathisants du RDR et dont la découverte du complot n’a pas mis la vie en danger. Tout au contraire même pour le ministre, puisqu’en remplacement de Telli il est devenu ministre de la Justice après avoir été élevé au rang de Docteur en droit par le Bureau Politique National. Quant au colonel Lamine Diallo, il a été mis à la retraite anticipée. Quel acte obscur a-t-il valu à l’un sa promotion sociale, à l’autre d’avoir été épargné ? Cette question, après des années passées au camp Boiro, après la mort du capitaine Lamine Kouyaté des suites de la diète noire, enfin après l’assassinat de Diallo Telli et de ses compagnons, je me les pose et les pose publiquement. Après mes aveux, ont été arrêtés :
- Diallo Telli et des personnalités telles que
- Dr. Alpha Oumar Barry, ministre du Domaine des Echanges, ami intime de Telli
- Alioune Dramé, ministre du Plan et des Statistiques, ami lui aussi de Telli
- Camara Sékou dit Philo, ancien ambassadeur de Guinée en Algérie
- Sy Savane Souleymane, inspecteur d’Etat,
- Lieutenant Alassane Diallo, officier du camp Samory
- Hadja Bobo Diallo
C’est-à-dire à partir du 24 juillet et des jours qui ont suivi.