Aujourd’hui, il y a 46 ans, mon père a été assassiné avec au moins 70 autres personnalités

C’est dans la nuit du 17 au 18 octobre que mon père a été assassiné, en compagnie de plusieurs autres victimes innocentes de la tyrannie et du règne de la terreur, dont des entrepreneurs, des cadres ou de simples citoyens innocents. Malheureusement, les graines de la haine semées alors  par un régime sanguinaire continuent encore à miner la cohésion nationale guinéenne.
 
Mon père avait à peine informé le gouvernement de son intention de créer 5 unités industrielles pour la transformation de produits locaux et pour remplacer ceux importés en une période où les devises manquaient cruellement au pays.
 
Parmi les nombreuses choses dont je me rappelle de lui, il y a son sens de la justice. Lui, qui n’a jamais étudié les auteurs du siècle des Lumières, n’ayant pas été à l’école française, avait dit que si Dieu est juste, avant d’admettre un homme au paradis, il devrait demander aux femmes autour de lui comment il s’était comporté envers elle de son vivant.
 
Je retiens aussi sa capacité creatrice. Parti de rien, marchant à pieds pour faire son commerce entre la Cote et les montagnes du Fouta-Djallon, il a pu se créer une importante fortune, au point de pouvoir en 1949, à peine trentenaire, à envoyer son père à La Mecque et à s’acheter sa première voiture. Les administrateurs coloniaux, eux-mêmes, se faisaient transporter encore dans des hamacs ou des fauteuils à la force humaine.
 
Je retiens aussi son ouverture d’esprit. Provenant d’un milieu conservateur religieux musulman, il m’a envoyé faire les études secondaires chez les prêtres, en payant, parce que c’était la meilleure école.
 
Comment oublier cette éternelle jeunesse et envie de croquer la vie à pleines dents: musique douce à la radio, voyages dans plusieurs pays européens et arabes? À propos de sa jeunesse, lorsque j’étudiais à Florence, il était venu me rendre visite en 1966. En nous promenant à coté de la Fortezza da Basso, nous avons rencontré un collègue de la fac., lorsque j’ai fait les présentations, m’ayant mal entendu, celui-ci lui demande en lui serrant la main « Plaisir, quelle fac faites-vous? ».
 
Il avait aussi de la clairvoyance. Lorsque tout le monde émigrait vers Conakry pour les affaires, lui, il est allé à Guékédou, en Guinée forestière, qui allait devenir le poumon économique du pays pour la rentrée de devises grâce à production agricole. On y faisait deux récoltes de riz par an.
 
J’ai perdu un fils en 1995, qui aurait eu 41 ans cette année. C’est la plus grave perte qu’un parent puisse subir, je croyais. Mais,à cause de  la douleur que je ressens à chaque 17/18 octobre, je n’arrive pas à ne pas pleurer jusqu’à avoir des maux de tête. Cette année c’est encore pire que les années passée.
 
Il m’est insupportable de penser que mon père a été assassiné parce qu’un tyran pensait qu’en le tuant il allait rester encore plus longtemps au pouvoir.
 
Merci PAPA, vous serez content de savoir que, malgré le sac de vos biens, au point d’expulser toute la famille de vos maisons, chacun avec ce qu’il portait sur lui, les difficultés et les railleries, près de la moitié de vos enfants ont pu finir l’université et presque tous ont pu sortir de la pauvreté, grâce aussi à la partie des biens qu’on nous a restitués, fondé des familles et avoir de petits-enfants pour vous.
 
Malheureusement, nous ignorons toujours où gisent vos restes et une bonne partie des biens confisqués n’ont pas été restitués: terrains au bord de la mer, actions, comptes bancaires, etc.
 
RIP
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