Camp Boiro: La mise en condition d’Almamy Fodé Sylla

Le 3 septembre 2016 l’honorable Almamy Fodé Sylla, ancien ministre et député à l’Assemblée nationale de Guinée nous a quittés. Dans la nécrologie qu’il a écrite lors de ses funérailles, qui ont eu lieu le 6 septembre dernier, BAH Mamadou Alpha nous le présente ainsi sur le média online tamtamguinee.com: « Né le 01 janvier 1943 à Tondon dans la préfecture de Dubréka, Almamy Fodé Sylla a tiré sa révérence le 03 septembre dernier à Conakry de suite d’une longue maladie.
L’illustre disparu était professeur de sciences sociales et écrivain.Parlant de sa carrière politique et professionnelle, il a été entre autres : membre fondateur du PUP (parti de l’unité et du progrès, dirigé par le feu général Lansana Conté) ; deuxième vice-président de l’Assemblée nationale sous la première législature de la deuxième république ; ministre secrétaire général à la présidence ; ministre de la fonction publique et du travail ; ministre de l’enseignement technique et de la formation professionnelle ».
Mon ami aujourd’hui disparu, Thierno Diallotelli, fils de l’illustre victime du Camp BoiroDiallo Telli, me fait savoir qu’il était proche de sa famille. En outre, il était proche du général Lansana Conté au point que c’était la seule personne qui montait dans ses véhicules 4×4 à sa guise. Il voulait obtenir de l’ancien président l’autorisation de rénover le Camp Boiro.
En 2002, lors d’une rencontre avec une délégation de l’Association des victimes du camp Boiro, il avait confessé son échec auprès de son ami Almamy Fodé Sylla n’est plus. Mais il laisse à la postérité son témoignage de ce que fut la vie sous la dictature et son expérience au Camp Boiro. C’est de son livre L’itinéraire sanglant que j’ai puiseé un extrait pour ce billet dans lequel il relate, devant le micro de la radio publique guinéenne, après sa libération en 1984, les circonstances de son arrestation.
Début du témoignage:

Il y a exactement deux mois, nous vivions sous une dictature noire, impitoyable, injuste et sanglante qui a maintenu notre peuple martyr dans la plus effroyable terreur où chaque citoyen était en liberté provisoire, attendant chaque jour qui passe, son tour d’être pris pour l’un des trois principaux camps de concentration du pays. C’est dans cette logique sékoutouréenne que se situe mon arrestation survenue voici comment :

De retour de Kassa où j’avais passé la nuit du vendredi 16 septembre 1977, arrivé au petit matin par bateau, j’aperçus de loin, sur le pont, un de mes jeunes frères, Aboubacar Barath, actuel président de la Cour d’Appel de Faranah. Mais si je distinguai bien ce frère, je vis en même temps, et de tous côtés, de nombreux policiers et gendarmes dont la présence insolite et inaccoutumée au port avait attiré beaucoup de curieux. «

— Madame Sylla m’envoie te recevoir ce matin, te porter la triste nouvelle de la situation inquiétante qui prévaut chez nous depuis hier soir, devait m’annoncer Aboubacar, qui me réclama également ma fouille, notamment les clés si j’en avais sur moi.

Malgré la prise d’assaut du bateau par une vingtaine d’agents royalement ridicules — car aucun ne me connaissait je pus franchir tous les barrages, du bateau jusqu’à la porte où, réalisant l’éventuel scandale qui se produirait si je devais être arrêté en famille, je revins sur mes pas et, me rendant compte du désarroi général de ces nombreux sbires, venus pour arrêter un homme, un seul — ils étaient plus de cent cinquante — je demandai à l’un d’eux ce qu’il faisait là et, en mauvais policier, il répondit : «

— Nous sommes venus arrêter un certain Sylla, Secrétaire général de la section du 5e arrondissement.

A ma question de savoir s’il connaissait physiquement l’intéressé, il répondit négativement. Après l’avoir mis en scène, je me présentai à lui en exhibant ma pièce d’identité. Convaincu qu’il s’agit bien de moi, il s’exclama et donna un coup de sifflet.
— Arrêtez les recherches, l’intéressé est retrouvé.
Je ne manquai pas l’occasion de redresser l’erreur qu’il commet en disant  l’intéressé est retrouvé .
— Il faut dire l’intéressé, se rendant compte de la trop grande intelligence pratique de ceux qui nous ont envoyés, s’est présenté à nous.

Conduit donc au commissariat de police du Port, je fus déchaussé sans autre forme de procès et jeté dans une cellule sordide jusqu’à 11 h… Scandalisé par l’énormité de l’acte, car citoyen théoriquement protégé par toutes les prescriptions et lois de la démocratie, qu’on arrête sans aucune formule, et qu’on enferme sans interrogatoire ni jugement.

Le témoignage de Almamy Fodé Sylla, publié en 1985. source: campboiro.org

Vers 11 h 10, je vis la porte de la cellule s’ouvrir sur un homme élancé d’environ 1,90 in, les yeux injectés de sang, les lèvres pendantes rougies par l’excès d’alcool. Je reconnus le Commissaire Diallo dit « criminel » qui m’intima l’ordre de me lever et de le suivre. Ce que je fis sans résistance et, dehors, je voulus prendre ma moto, mais Diallo m’en empêcha, toujours sans scène de rue.

Monté à bord d’une jeep bâchée, je devais me retrouver quelques minutes plus tard dans un bureau situé dans un domaine et un milieu totalement inconnus de moi. Mais l’allure toute particulière des gens de cette planète, l’odeur des drogues qu’ils laissaient exhaler, le bruit de leurs chaussures, le cliquetis des armes m’indiquèrent tout le sérieux du nouveau monde d’accueil.

Trois violents coups de crosse devaient d’ailleurs compléter ma formation de base. Déshabillé à coups de poing, je fus conduit par quatre grands gaillards, les armes avec baïonnette au canon jusqu’à la porte de la cellule no. 71 où je fus enfermé avec mon innocence. A 0 h, je reçus la visite de quatre autres agents qui me sortirent et m’escortèrent devant la commission d’enquête du fameux Comité révolutionnaire que préside le très célèbre et très honorable Béria de Guinée, Son Excellence Ismaël Touré (astakh firllah al azime. Allahoumma rabbana amanna fakh firlana Djounoubana wa akhina adia ban nari). (Mon Dieu ! pardonne-moi, puisque j’ai cru en toi ! Pardonne-moi les péchés et évite-moi les tourments de l’enfer). Son altesse, roi du feu et du fer, Ismaël Touré, me recevant au nom de sa sagesse, le très vénéré père spirituel, propagateur émérite du « Saint-Esprit », sa sainteté Ahmed Sékou Touré. (Allahou akbarou ! Allahou Akbarou ! Allahou Akbarou soub hanalladji sakhara lana haza wama koun na lahou moukhrinina wa in na ila rabbinal moukha liboune). (Verset de protection contre la malédiction qui peut s’abattre sur toute personne prononçant le nom de Sékou Touré).

— Mon cher Sylla, tu te croyais malin pour avoir trompé la Révolution pendant 24 ans. Où es-tu ce soir ?

— Eh ! bien, pris dans l’engrenage infernal du filet infaillible, tu n’as aucune chance de t’en sortir. Cependant, pour limiter tes souffrances avant la potence, tu as intérêt à tout avouer. Préparez donc 20 feuilles pour lui, j’espère qu’il a compris !

C’est par ces propos que le président de la commission m’a reçu pour la première fois.
Cela se passe de tout commentaire. Tout semble préparé avant mon arrivée ! Il est facile de s’en rendre compte. Tous les cadres sont fichés par le Parti, mais c’est à tour de rôle que chacun sera arrêté.

Entre l’étonnement et la surprise, la tension nerveuse faillit me vaincre devant cette mascarade de juges techniquement incompétents dont les maîtres à penser, les directeurs de conscience, ignorent totalement les notions les plus élémentaires de l’histoire des sociétés humaines. Il faut être Sékou Touré, « Alcapone » (c’est le nom que lui ont donné les détenus), pour organiser à la fin du XXe siècle, des tribunaux d’exception, dont l’histoire a enregistré la disparition il y a bien longtemps. Je continue donc à rêver, la tête chargée d’idées noires.

C’est à ces instants insupportables, lourdement chargés de cauchemars que viendra s’ajouter la suite du programme: la cabine technique. «

— Oularé, envoyez-le et mettez-le en « condition » (terme ironique pour voiler l’opération de tortures).

La cabine technique est dirigée par un officier de la gendarmerie du nom de Cissé surnommé « Ministre ». Les différentes tortures sont exécutées par des « hommes » qui n’ont d’humain que de constitution. Drogués pour tuer, ils ont plaisir à fouetter jusqu’au sang, à casser des membres, à plonger la tête du détenu dans un fût rempli d’excréments humains, à électrocuter, à mettre le pied du prisonnier dans du goudron chaud, à installer le détenu dans le pneu destiné à le torturer, etc.

Il est inutile d’insister sur cet aspect des atrocités du Camp Boiro qui, trop minutieusement racontées, donnent la chair de poule aux uns, envie de rendre aux autres alors que les plus délicats piquent une crise cardiaque qui peut leur être fatale. Sur ce chapitre, le livre « La vérité du Ministre » de M. Diallo Alpha Abdoulaye est suffisamment explicite !

…..

Feu Almamy Fodé Sylla, ancien ministre et député. Source: tamtamguinee.com

Sékou Touré a eu malheureusement beaucoup de complices dont nous sommes obligés de parler, car l’histoire est le rappel des faits et de leurs auteurs ainsi que les circonstances qui ont motivé les différents actes. Comme Hitler, le Parti social-démocrate, les généraux et commandants nazis, Sékou, le P.D.G. et les dirigeants du régime dictatorial et sanguinaire, tous à des degrés différents, portent le poids de la responsabilité d’assassinats massifs de populations paisibles et de cadres innocents. Les nombreux livres en chantier et les films historiques qui s’en inspireront, immortaliseront la mémoire de ceux et celles qui ont laissé leur innocente vie dans ces ghettos tristement célèbres.

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