https://fr.globalvoices.org/2017/08/22/214942/
Le 16 juin 2017, la 20ème édition du Festival international du film de Zanzibar (ZIFF) s’est terminée par une grande nuit de récompenses qui a vu mon film, T-Junction [en], honoré par le plus important prix : Meilleur long métrage. Au total, nous avons remporté trois prix, dont celui pour la meilleure actrice décerné à Hawa Ally, la protagoniste du film.
Compte tenu du nombre de films internationaux présentés à ce festival et des nombreux délégués ou cinéastes qui y ont assisté, j’aurais dû déborder de joie après un tel succès.
L’histoire cinématographique en Tanzanie remonte aux années 1980 avec les productions financées par le gouvernement, mais le phénomène des “Films Bongo“, comme nous appelons nos films artisanaux, est apparu au début des années 2000. L’industrie du film en Tanzanie est, maintenant, seconde seulement à celle du Nigeria en ce qui concerne le volume de production, et certaines sources suggèrent qu’environ500 films sont produits localement chaque année [en]. C’est pour ces raisons que je m’attendais à voir beaucoup plus de mes concitoyens au festival.
Je suis arrivé à la production cinématographique par hasard. Je voulais être journaliste. Alors que je me préparais à aller à l’université, mon attention a été attirée par une annonce de bourse d’études pour les étudiants africains à l’Université York à Toronto. J’ai postulé et j’ai reçu à temps un courriel m’informant que j’avais été sélectionné. Ce que je n’avais pas réalisé, c’est qu’au lieu du journalisme, j’avais choisi le cinéma comme mon sujet principal.
J’ai fini par aller au Canada de toute façon, et il ne m’a pas fallu longtemps pour tomber amoureux du cinéma. J’ai dévoré le travail de magiciens cinématographiques tels que les maîtres sénégalais Ousmane Sembène et Djibril Diop Mambéty, de l’ItalienGillo Pontecorvo, du cubain Tomás Gutiérrez Alea, du soviétique Sergei Eisensteinsans parler du génie britannique Charles Spencer Chaplin, mieux connu comme Charlie Chaplin.
Lorsque je me suis plongé dans l’histoire du film, mon intérêt s’est déplacé vers leThird Cinema [en] (Troisième cinema), le mouvement révolutionnaire mondial pour le cinéma des pays marginalisés qui a émergé dans les années 1960-1970 en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Ces films des années soixante ont été un véritable reflet de la privation de droits des personnes, et les cinéastes qui ont grandi dans cette tradition ont vraiment utilisé l’image animée pour lutter contre l’oppression. Cette prise de conscience m’a poussée à faire de même pour cette époque et pour mon pays, d’autant plus que je crois que nous vivons dans une ère d’agressions néolibérales et de diminution des espaces de plaidoyer.
Le Festival international du film de Zanzibar est devenu pour moi le lieu d’accueil pour ce type d’histoires. Il offre, à moi ainsi qu’autres cinéastes tanzaniens, un refuge sensible à nos besoins de producteurs d’images visuelles. Ainsi, avec l’absence de nombreuses stars des films “Bongo” au festival, celles dont je rencontre régulièrement les visages sur les couvertures des DVD dans les rues de Dar es-Salaam, je me demande si nous pouvons vraiment qualifier notre production cinématographique d’industrie. En l’étiquetant en tant que telle, alors que nous manquons encore des structures fondamentales et cohérentes requise pour une réelle industrie cinématographique, nous risquons de mettre la charrue avant les boeufs.
L’éducation est la clé. J’enseigne le cinéma à l’Université de Dar es Salaam, mais la plupart de mes étudiants n’étaient pas au festival. Certains diront qu’aller à Zanzibar coûte cher, et cela peut très bien être vrai. Mais une fois que vous avez accepté le fait que vous souhaitez passer votre vie à faire des films, vous devez également vous habituer à ignorer l’affirmation selon laquelle “le financement est un problème”. Le mot-clé de notre monde aujourd’hui est “entreprendre”, et je trouve que beaucoup de mes étudiants ou de jeunes ont l’habitude d’utiliser ce verbe trop facilement. Pourtant, ils refusent de faire de ce mot et de ce qu’il signifie une réalité. Entreprendre nécessite une passion implacable et une attitude positive : c’est la seule façon de faire avancer les choses, avec ou sans argent. Dans l’industrie du film, la volonté de raconter nos propres histoires devrait être comprise comme une forme d’entrepreneuriat.
Nous cinéastes et artistes tanzaniens, nous refusons de faire face au fait critique que la poursuite d’une passion est difficile et exige de la patience ainsi que de la persévérance. La situation critique du secteur cinématographique est dûe à cette attitude. Il faut du temps pour produire un film qui raconte une bonne histoire. Pourtant, combien de nos cinéastes se précipitent sur le marché avec des projets incomplets en raison de leur insécurité et de la volonté de gagner de l’argent rapidement?
En outre, le secteur du film en Tanzanie est occupé par des distributeurs qui dictent la direction des projets en signant des contrats draconiens avec les acteurs, en déplaçant des réalisateurs et des producteurs créatifs comme bon leur semble, créant ainsi des obstacles qui empêchent les nouveaux talents et les productions créatives d’émerger. Pouvons-nous vraiment appeler cet état des choses une industrie du cinéma?
Il est grand temps de réfléchir et de décider sur quoi concentrer notre énergie. La Tanzanie est pleine d’innombrables histoires et de jeunes désirant les raconter. Si nous voulons vraiment construire une industrie cinématographique, nous devons aller au-delà des ambitions individuelles et penser à un avenir plus collaboratif et collectif.
Soutenir les festivals nationaux comme le ZIFF est un moyen pour commencer.
Cet article fait partie de The Bridge » (Le Pont), une section de textes, opinions, analyses et enquêtes provenant exclusivement de la communauté Global Voices. Il a été écrit par le professeur et cinéaste tanzanien Amil Shivji, traduit ne français par moi avec la révision de Gwenaëlle Lefeuvre, co-rédactrice de Lingua en français. Elle est physicienne, passionnée de lecture et défenseure des langues minoritaires.