Du Nigeria à Zanzibar, l’Afrique a discrètement joué un rôle crucial dans l’alunissage américain de juillet 1969
Le 20 juillet 1969, Apollo 11 [fr] a marqué l’histoire du monde en se posant sur la lune. Mais à ce jour, peu de gens connaissent l’existence des stations spatiales de Kano, dans le nord du Nigéria, et de Tunguu, de Zanzibar, qui ont permis de jeter les bases ayant finalement permis la mission Apollo 11.
La guerre froide entre l’Union soviétique et les États-Unis a joué un rôle dramatique dans la grande course à l’espace. Avant qu’un alunissage puisse avoir lieu, les États-Unis devaient tester des engins spatiaux habités et non habités. En octobre 1958, la National Aeronautics and Space Administration (NASA) a lancé le projet Mercury, un projet quinquennal de quatre cents millions de dollars destiné à tester la viabilité des voyages dans l’espace.
Le lancement d’un vaisseau spatial en orbite nécessitait des contrôles au sol dans les pays situés le long des trajectoires orbitales. La NASA a construit un total de dix-huit stations [fr] dans des endroits stratégiques du monde entier, dont le Nigéria, à peine indépendant de la domination britannique, et Zanzibar, alors gouverné [fr] par le sultanat omanais et une administration britannique.
Carte montrant les locations des stations de suivi au sol du projet Mercury. Archives de la NASA.
Le projet Mercury a qualifié sept astronautes, connus sous le nom de “Mercury 7″ et a organisé plusieurs vols orbitaux au début des années 1960 : vingt sans équipage, dont le Mercury-Atlas-4, deux avec des chimpanzés (“Ham” et “Enos“), et six vols habités, dont MA-6 à MA-9. Il a ainsi prouvé que le vol spatial humain était possible.
En 1960, la NASA a construit la station de suivi de satellites à Tunguu, à Zanzibar, à un peu moins de quinze kilomètres de la capitale Stone Town. L’année suivante, la NASA achevait à Kano, au Nigéria, la dernière des dix-huit stations, chacune d’un coût estimé à trois millions de dollars.
Les Britanniques, ainsi que le Sultan Khalifa bin Harub de Zanzibar, ont soutenu la station spatiale américaine avec enthousiasme et ont approuvé la vente d’un terrain rural à Tunguu pour le site du projet en 1960.
Tout au long du projet, les États-Unis ont transporté plus de mille tonnes de fret dans des dépôts américains spécialement désignés pour organiser des envois vers le Nigéria et Zanzibar, ainsi que sur les autres sites, dont deux à bord de navires. Les stations abritaient des équipements électroniques, des tours de refroidissement, des refroidisseurs d’eau, des réservoirs hydropneumatiques et des générateurs diesel de support pour la production d’énergie.
Station de suivi au sol de la NASA, à Tunguu, Zanzibar, en 1961. Photo provenant de la collection de Torrence Royer, utilisée avec autorisation.
D’après la documentation disponible, la NASA a passé des contrats avec des ingénieurs américains et britanniques ainsi que des spécialistes et des constructeurs locaux à Kano et à Zanzibar. Ceux-ci ont fait le levé des terrains afin d’établir précisément les orientations des antennes de communication avec les engins spatiaux.
Kano, qui abritait l’ancien royaume de Kano, et Zanzibar, plaque tournante du commerce dans l’océan Indien depuis un millénaire, étaient désormais des liens essentiels dans un réseau mondial pour atteindre les étoiles.
Premier réseau mondial de communication
Avant Internet, il y a eu le projet Mercury. La course à l’espace exigeait que le premier réseau de communication mondial ait la capacité de faire communiquer les stations, les engins spatiaux et les astronautes entre eux. Le réseau de communication Mercury comprenait 164 000 km de lignes de télétype, 160 000 km de lignes téléphoniques et 24 000 km de lignes de données à haut débit, selon les archives historiques de la NASA.
La NASA a équipé les stations de “fonctions de télémétrie, de suivi et de calcul” ainsi que de “contrôle et de surveillance des vols”, “d’une réception air-sol multi-fréquence ainsi qu’une fonction de communication à distance”. Un système d’interphone permettait à plusieurs personnes de parler pendant que d’autres écoutaient.
La communication entre le personnel de la station au sol et le vaisseau était une chorégraphie savamment orchestrée. Après le lancement d’un vaisseau spatial, cinq à quatre-vingt-dix minutes s’écoulaient avant qu’il ne passe au-dessus d’une station, en fonction de l’emplacement de celle-ci. Le centre de contrôle de Mercury de la base aérienne de Cap Canaveral en Floride envoyait un message télétype aux stations avec l’heure et les coordonnées, en utilisant les données recueillies lors du passage de l’engin spatial au-dessus d’une station antérieure.
Orbites de la mission MA-9, archives de la NASA.
Terrence Royer, un Américain dont le beau-père Roger Locke travaillait au centre spatial de Zanzibar et qui y a passé quelques années pendant son enfance, écrit :
L’équipement de haute technologie et l’attitude à la « atteignons-les-étoiles » intriguaient de nombreux jeunes Zanzibaris. Je me souviens des élèves de mon école qui apprenaient les horaires de lancement des satellites et qui dormaient sur la plage la nuit, regardant le ciel à l’horaire prévu, attendant le passage du vaisseau spatial au-dessus de leur tête. Un ami qui venait juste d’être informé de ces veillées rejoignit les spectateurs sur la plage… pour être finalement quelque peu déçu d’observer un petit objet, tel une étoile, qui s’avançait doucement. Il s’attendait peut-être à voir de près le survol d’une « soucoupe volante ».
Révolution… et changement
Précédant les élections de Zanzibar de 1961, des doutes sur les intentions réelles de la station spatiale américaine ont commencé à apparaître et une petite résistance contre sa présence s’est développée. Certains avaient peur que Zanzibar puisse devenir une cible potentielle dans une guerre nucléaire.
À Zanzibar, un graffiti montrant un coq (associé au parti Afro Shirazi qui n’existe plus aujourd’hui) repoussant un cow-boy (représentant l’impérialisme américain) hors de l’île et lui criant « Je n’ai pas du tout besoin de toi ! Va-t’en de là ! » en swahili. Photographie provenant de la collection de Terrence Royer, utilisée avec autorisation.
Malgré tout, le centre spatial est bien resté ouvert et le 15 mai 1963, la mission finale Mercury-Atlas 9, pilotée par l’astronaute Gordon Cooper, a été lancée de Cap Canaveral, réalisant vingt-deux orbites autour de la Terre pendant 34 longues heures avant d’amerrir dans l’Océan Pacifique. Le succès sans précédent de cette dernière mission a permis de compléter le programme Mercury et d’établir les bases des programmes plus ambitieux tels que Gemini, et plus tard dans la même décennie, Apollo.
Cette année-là, le Zanzibar a connu un bref moment d’indépendance quand, en décembre 1963, les Britanniques quittent ces îles qui deviennent une monarchie constitutionnelle dirigée par les sultans d’Oman.
Mais le 12 janvier 1964, une révolution violente à Zanzibar renverse les sultans, mettant fin à deux siècles de règne. Quand la situation redevient stable, le nouveau gouvernement révolutionnaire proclame alors que le centre spatial fondé par les États-Unis constitue une menace pour la sécurité nationale et réclame sa suppression.
Des manifestations contre le programme Mercury dans les rues de Stone Town, à Zanzibar, le 12 avril 1964. Photographie provenant de la collection de Terrence Royer, utilisée avec autorisation.
Le 7 avril 1964, le gouvernement des États-Unis annonce la fermeture du centre spatial de Zanzibar suite à la demande du nouveau gouvernement zanzibari. « Nous regrettons énormément cette décision, car le centre était utilisé à des fins strictement pacifiques qui auraient accru la connaissance scientifique humaine », a déclaré la NASA, ajoutant rechercher de nouveaux lieux en Afrique de l’Est sur les trajectoires orbitales. L’agence s’est alors installée à Madagascar.
Après des années d’influences britannique et arabe, Zanzibar a commencé à considérer des alliances avec les gouvernements de Chine, d’Allemagne de l’Est et de l’Union Soviétique, et son penchant socialiste devient un point de contention diplomatique. Au même moment, le Tanganyika, nouvellement indépendant sur le continent, fusionne avec le Zanzibar en 1964 pour former la République unie de Tanzanie, le Zanzibar en étant une région semi-autonome.
Aujourd’hui, l’ancien centre spatial est un abri couvert de rouille et de graffitis sans aucun signe indiquant son rôle mondial dans la course à l’espace. Mais le site de Zanzibar se trouvant sur les trajectoires orbitales, les observateurs des étoiles peuvent toujours apercevoir la Station spatiale internationale lorsqu’elle passe au-dessus de l’île. Sa dernière apparition a été le mardi 23 juillet à 5h11 du matin, pendant une minute.
Le centre spatial abandonné du programme Mercury à Tunguu, Zanzibar, en 2004. Photographie provenant de la collection de Terrence Royer, utilisée avec autorisation.
Le centre spatial de Kano est resté ouvert deux années de plus et a fermé en décembre 1966. Mais le gouvernement nigérian possède son propre programme spatial depuis 2003 et a lancé des satellites dans l’espace.
Le Nigéria prévoit d’envoyer un astronaute dans l’espace d’ici 2030.
Ce billet que nous avons traduit de l’anglais au français Erin Khan et moi, a été écrit par Amanda Lichtenstein, écrivain, éditeur et éducateur de Chicago, IL (USA). Il a été publié sur globalvoices.org le 4 août 2019