Le billet que je vous présente aujourd’hui traite du soit-disant deuxième « complot » dénoncé par Sékou Touré, selon les témoignages que nous raconte Maurice Jeanjean, dont j’ai déjà cité des passages de son livre intitulé Sékou Touré: un totalitarisme africain.
Koumandian Keita, survivant des geôles de Sékou Touré, auteur de Guinée 61. L’Ecole et la Dictature, est présenté comme une des principales victimes de ce « complot » de 1961. Lorsque le tyran Sékou Touré, n’était qu’un commis des Postes, téléphone et télécommunications et le secrétaire général du PDG-RDA, Koumandian Keita était instituteur et secrétaire général du syndicat des enseignants de Guinée. Ils se sont connus, donc, bien avant l’indépendance, évoluant tous les deux dans le monde syndical.
Malheureusement, la plupart de ceux qui ont connu Sékou Touré de trop près, sans appartenir à sa famille, ont fini par payer de leur liberté, voire pire de leur vie. K. Keita a eu plusieurs torts dont chacun pouvait le condamner aux yeux du tyran sanguinaire. Il était, notamment, intellectuel, patriote, doté d’un esprit indépendant, populaire au sein du monde de l’école guinéenne et prêt à défendre sa conception de l’enseignement. C’était un homme en sursis! Il ne manquait que l’occasion pour l’éliminer. Ce qui arriva, avec le soit-disant deuxième complot (en à peine 3 ans d’indépendance) que le dictateur a dénoncé dès 1961.
Maurice Jeanjean, dans son livre intitulé Sékou Touré: un totalitarisme africain sur cette période sombre de notre pays que les pouvoirs qui se sont succédés ont couverte avec un épais tissu de mensonges. Peut-on construire le futur avec un passé assujetti au vouloir de pouvoirs menteurs et assassins?
Parmi les complots marquants, il faut signaler le deuxième complot dit « des enseignants et des intellectuels marxistes tarés », de novembre 1961. Il importait en effet, pour asseoir la réalité de ces complots, d’en cibler les catégories responsables, montrant qu’au-delà des personnes visées il y avait une nébuleuse de citoyens anti-Sékou Touré qu’il convenait d’éliminer. Dans cette affaire Sékou Touré fait d’une pierre deux coups. D’une part il fait arrêter les responsables du Syndicat des enseignants : Keita Koumandian, grande figure du syndicalisme d’Afrique noire, Ray Autra, fidèle militant du PDG et Djibril Tamsir Niane, brillant historien. Leur crime : demander au gouvernement une revalorisation promise du statut et du salaire des enseignants, ainsi que le maintien pendant quelques années des professeurs français. Leur principal tort fut de refuser de fondre leur syndicat dans l’officielle Confédération Nationale des Travailleurs de Guinée, (CNTG). Lors d’une conférence de la CNTG le 16 novembre 1961, chargé de débattre de cette revendication, le secrétaire général du Syndicat des enseignants Keita Koumandian reçut un accueil triomphal alors que l’intervention de Sékou Touré était tombée à plat.
C’était plus qu’il ne pouvait supporter. Dès le 18 novembre le Bureau directeur du syndicat a été déchu et ses membres arrêtés. Ils sont jugés le 23 novembre par la Haute cour de Justice qui avait été créée le 20 avril 1959 pour juger les crimes contre la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat. Dans toute l’histoire des complots c’est le seul qui donna lieu à un procès, même s’il s’agit d’un simulacre, les accusés ne disposant d’aucun soutien. Ils se défendirent avec tant d’habileté et de conviction que désormais Sékou Touré s’abstiendra de traduire en justice les futurs « comploteurs ». Koumandian Keita et Ray Autra furent condamnés à 10 ans de prison et Djibril Tamsir Niane à 3 ans.
Dans un livre intitulé Guinée 61, l’Ecole et la Dictature, Koumandian Keita décrit en détail les tortures qu’il a subies du fait des sbires de Sékou Touré, notamment du ministre de la Défense et de la Sécurité Fodéba Keita et de son secrétaire d’Etat Magassouba Moriba, qui tomberont eux-mêmes plus tard sous le coup de leurs propres manigances. Les conséquences de ces évènements furent tragiques. Le 24 novembre les enseignants, élèves et étudiants des différents établissements scolaires de Conakry organisent une marche pour demander la mise en liberté des enseignants condamnés. Le gouvernement envoie les troupes de choc de la JRDA, la police et l’armée qui usant de leurs armes laissent une trentaine de tués et des dizaines de blessés. Il s’ensuivit le départ de nombreux enseignants coopérants vers les pays africains et la France.
[Magassouba Moriba fut pendu au Pont Tombo le 25 janvier 1971. Keita Fodéba fut lui aussi arrêté et finit ses jours au Camp Boiro. Il faudrait, toutefois, signaler que lorsqu’il a été pris et soumis aux tortures, il a écrit un message montrant qu’il s’était repenti, sur les murs de sa cellule, après son odieuse exécution, dont voici les mots émouvants:
« J’ai toujours servi une cause juste et pour ce faire, j’ai utilisé l’arbitraire. J’étais chargé d’arrêter tous ceux qui étaient susceptibles d’exprimer la volonté populaire. Je n’ai compris que lorsque je fus arrêté à mon tour, et le jour fatidique arriva »]
Sékou Touré va saisir ces circonstances pour se défaire d’un courant marxiste apparenté au Parti Africain pour l’Indépendance (PAI) dont le secrétaire général était le Sénégalais Majhmout Diop. Bien que la section guinéenne ait été dissoute, ses membres continuaient à se réunir et préconisaient un alignement de la Guinée sur le Bloc soviétique. A Sékou Touré qui refusait de choisir entre socialisme et capitalisme, préconisant une approche pragmatique « on n’a pas de voie à choisir, agissons, on verra après », ce groupe s’appuyant sur la section du PDG de Mamou disait: « Non, on ne peut pas attendre. Dans la vie il n’y a que deux voies : ou tu es socialiste, ou tu es capitaliste. Il n’y a pas de voie intermédiaire ». Plusieurs d’entre eux, Baldé Mountaga, Baldé Hasimiou, Bah Ibrahima Kaba, avaient fait des séjours à Moscou. Ils avaient à coup sûr l’oreille de Daniel Solod, entreprenant ambassadeur de l’URSS en Guinée que, dans un entretien avec François Mitterrand Sékou Touré qualifie « d’excellent spécialiste de la subversion ». Daniel Solod est prié de quitter la Guinée.
Voulant à tout prix sauvegarder ses relations avec la Guinée qu’elle classe dans le camp progressiste, l’URSS envoie à Conakry un habile négociateur Anastase Mikoyan qui doit se soumettre à un exercice laborieux d’autocritique, déclarant que l’URSS « n’a aucune intention de se mêler des affaires intérieures de la Guinée, ni d’imposer son idéologie. Le choix de telle ou telle idéologie regarde la souveraineté de chaque peuple ». Le neutralisme positif de Sékou Touré se voit solennellement admis par l’URSS. L’ambassadeur amené dans ses bagages par Mikovan, Dimitri Degtiar, devra attendre plusieurs jours son agrément.
Cette dernière partie illustre bien la duplicité de notre tyran sanguinaire, d’un coté il emprisonne des intellectuels qui avaient le tort de dire ce que Sékou Touré lui-meme pratiquait, une adhésion aux thèses soviétiques.
Billet publié sur konakryexpress.wordpress.com le 12 aout 2013, repris ici avec quelques modifications.