C’est de la contribution de Diallo Siradiou, Le complot permanent ou le stalinisme à la guinéenne, à l’oeuvre collective de Jeune Afrique intitulée Sékou Touré, ce qu’il fut. Ce qu’il a fait. Ce qu’il faut défaire, disponible particulièrement en ligne, que j’ai tiré ce billet. Il raconte comment une banale dispute entre des militaires saouls à Labé a eu de graves conséquences pour de nombreux citoyens tant guinéens qu’étrangers et pour le retard dans tous les domaines dans lequel lequel vit encore aujourd’hui toute la population: manque d’eau, d’électricité, d’hôpitaux, de routes, d’écoles, etc. Siradiou Diallo fut condamné à mort par contumace pour sa participation supposée au débarquement du 22 novembre 1970, à Conakry. |
En mars 1969 éclate le complot des « officiers félons » et des « politiciens véreux ». Tout commence par une banale dispute autour d’un verre au cours d’un bal à Labé (à 450 km de Conakry). Enervés, des soldats menacent des militants du parti de « cravater » (entendez pendre) bientôt Sékou Touré. Un agent zélé, M. Emile Cissé, directeur d’école, yeux et oreilles de Sékou Touré à Labé, à qui est rapportée cette conversation, se hâte d’en communiquer la teneur au président.
Traumatisé par le coup d’Etat militaire du Mali qui a entraîné trois mois plus tôt la chute de son ami Modibo Keita, le chef de l’Etat guinéen prend l’affaire très au sérieux. Il dépêche un hélicoptère à Labé pour transférer à Conakry les trois soldats coupables d’avoir proféré des menaces à son endroit. Seulement, au cours du trajet, ces derniers larguent par-dessus bord le commissaire de police, Mamadou Boiro, qui les escorte. Et obligent le pilote à mettre le cap sur Bamako. A court de carburant, l’appareil doit pourtant effectuer un atterrissage forcé non loin de la frontière malienne, mais dans un village guinéen. Les malheureux passagers sont arrêtés, enchaînés et transférés à Conakry. Ils y sont fusillés dès leur arrivée. C’est à la suite de cette péripétie que le camp de la garde républicaine fut rebaptisé camp Mamadou Boiro.
Flairant un danger du côté de l’armée, Sékou Touré, comme il l’a toujours fait, prend les devants. Il arrête de nombreux officiers, dont le colonel Kaman Diaby, chef d’état-major adjoint de l’armée, la plupart des membres de l’état-major et des commandants des garnisons de Conakry et de province. Ainsi que les hommes politiques connus, tels Diawadou Barry, ancien ministre, ancien député à l’Assemblée nationale française, Fodéba Keita, ministre de l’Agriculture, Karim Fofana, secrétaire d’Etat aux Travaux publics… Tous furent fusillés ou pendus quand ils ne furent pas condamnés à mourir d’inanition dans des cellules du Camp Boiro.
Dix-huit mois plus tard, au lendemain du fameux « débarquement » du 22 novembre 1970, Sékou organise un tribunal public. Il ne manquera que les accusés. Mais, censées avoir eu partie liée avec les « agresseurs », quatre-vingt-douze personnes seront condamnées à mort. Certaines par contumace, mais toutes les autres seront pendues, brûlées ou enterrées vivantes. Parmi eux, quatre ministres en exercice, dont Ibrahima Barry dit Barry III, Moriba Magassouba et Ousmane Baldé ; de nombreux cadres, intellectuels, commerçants, paysans, domestiques.
La violence de la répression est à la mesure de la grande peur qui a saisi Sékou Touré pendant les dix heures que dure l’occupation de la capitale par les « agresseurs ». Vêtu d’une tenue militaire, coiffé d’un calot et portant le titre de « commandant en chef des forces armées populaires et révolutionnaires », le leader guinéen ordonne, suivant la technique connue de l’amalgame, l’arrestation et la liquidation de la plupart des personnalités soupçonnées de tiédeur révolutionnaire. Fort du soutien de l’opinion internationale en général, de l’opinion africaine en particulier, Sékou s’en prend notamment à la France et à la République fédérale d’Allemagne dont les ressortissants sont expulsés. Des Européennes mariées à des Guinéens sont chassées du pays dans des conditions particulièrement inhumaines. Cela, après qu’on leur eut arraché leurs enfants, même de très bas âge.
Curieusement, au lieu de savoir s’arrêter, Sékou lance de mars à août 1971 une gigantesque chasse aux sorcières. Il fait arrêter pêle-mêle des centaines d’hommes et de femmes accusés d’appartenir à des réseaux d’espionnage nazis (SS), aux services français de M. Jacques Foccart ou à la CIA américaine. Par centaines, ministres, gouverneurs de région (préfets), ambassadeurs, membres des bureaux fédéraux du parti, cadres et intellectuels de toutes disciplines et de tous sexes, sont arrêtés et emprisonnés, les uns au Camp Boiro de Conakry, les autres au Camp Kémé Bourema de Kindia. Un grand nombre d’entre eux seront attachés pieds et poings liés une nuit d’octobre 1971 et jetés comme des sacs dans des camions militaires. Et, conduits au bord des fosses communes creusées aux environs de Conakry et de Kindia, ils seront assassinés à la mitrailleuse lourde.
Quelques dizaines seulement auront été épargnés.
Les uns (les Français) sont libérés le 14 juillet 1975 à la suite du rétablissement des relations diplomatiques entre la France et la Guinée. La plupart de ces rescapés français sont morts depuis, sans doute des mauvais traitements subis au cours de leur détention. Les autres (les Guinéens) seront libérés par petits paquets à partir de 1979. Tous ceux qui ont survécu jusqu’ici souffrent encore de troubles de la vue, des nerfs, quand ils ne sont pas affectés d’une paralysie plus ou moins marquée.