J’ai le plaisir de vous présenter un autre article de mon frère Bah Mamadou Lamine, grand reporter au Lynx de Conakry. Il a aussi été chef de plusieurs projets de l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen, financé entre autres par l’Allemagne, sur la prévention des conflits.
Quelques jours après l’arrestation de notre père, la milice populaire est venue le chercher, mais heureusement, il avait pu quitter Conakry de manière clandestine, vers la Sierra-Léone, puis la Cote-d’Ivoire. C’est dans ce dernier pays qu’il a pu exercer son métier de journaliste et de correcteur, en plus de celui d’enseignant, jusqu’à la mort du tyran, Sékou Touré, en 1984. Il a effectué le voyage dont il parle ici dans l’avion spécial présidentiel ivoirien.
Le lundi 27 Avril 1971 à 21 heures : Bah Amadou Bailo, 53 ans, Commerçant, entrepreneur et transporteur est arrêté chez lui à Boussoura, Matam, Conakry. C’est notre père. On ne l’a jamais revu. Il y a cinquante-deux ans.
Le lundi 27 Avril 1981 à Abidjan à 8 heures et demie. Nous sommes interpellé en plein cours de Connaissance du Monde Contemporain, dans une classe de BEP Secrétaire aux Cours Loko José Dominique à Marcory, Rue de la Paix. Déposé dans les locaux de la DST au Plateau, le lendemain on nous débarque au Camp Boiro à Conakry. Il y a trente-trois ans.
Sékou Touré, anti-Guinéens grand bavard et assassin, tout le monde connaît. En fait, il fut aussi, lui et les siens, une équipe de vulgaires voyous, de grands bandits, de voleurs. Ils ont masqué leurs truanderies dans les discours pseudo révolutionnaires sucrés et onctueux pour endormir la vigilance et la naïveté des militants. Illustrations.
-Abdelkrim Djouri est un homme politique marocain. Il a écrit un ouvrage sur Hassan II où il dénonce que notre grand révolutionnaire, gauchiste et populiste aurait confié au roi Hassan II du Maroc la somme 4,8 milliards de dollars US. Y a de quoi préférer la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage.
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– Ses tortionnaires étaient aussi des pillards et des voleurs. Ils arrachaient les chéquiers des détenus, les forçaient à signer des chèques et vidaient leurs comptes. Ou leur promettaient les signatures contre la liberté ! Ils forçaient également les coffres-forts et en pillaient les contenus : documents fonciers, bijoux et autres objets précieux.
-L’équipe qui a arrêté notre père était dirigée par Siaka Touré. Ils avaient fermé son appartement dans le bâtiment [de 3 étages, NDLR] qu’il a construit en 1960, à Boussoura, Matam, et emporté la clé avec eux. Notre famille a été chassée des lieux [chacun ne pouvait prendre que ce qu’il avait sur soi! Notre maman a voulu prendre sa natte de prières, mais un milicien la lui a arrachée avec violence risquant de la faire tomber, NDLR]. Plus tard, ils sont venus casser le coffre-fort et emporter tout son contenu et disparaitre avec notre voiture, une Chevrolet de type Chevelle Malibu, automatique. C’est dans cette voiture qu’on voyait Siaka Touré se pavaner dans les rues de Conakry pendant longtemps. Le PDG et sa Révolution nous ont également volé un terrain à Kaloum, un à Boussoura et un dernier d’un hectare [10 000 mètres carrés] et en bordure de mer à Nongo. Les comptes bancaires de notre père domiciliés dans des banques de Conakry et Freetown ont été vidés.
Des biens immeubles saisis à Conakry, à Pita et à Guéckédou seront restitués par la suite après le coup d’état du 3 Avril 1984. Un pillage systématique que n’eussent point jalousé les gangsters de New-York et de Chicago.
-La nomenclature sékoutouréenne a jonglé sur le patrimoine de l’état dans l’hinterland guinéen et à Conakry. Dans les préfectures, elle offre des terrains publics à des individus pour les récompenser d’avoir servi le PDG et son mentor ou leurs nombreux laveurs de chats. A Conakry, les bâtiments de la Société Immobilière de Guinée, SIG, équivalent colonial de la SICAP et de la SICOGI respectivement du Sénégal et de Côte d’Ivoire ont été généreusement donnés tout comme les terrains et bâtiments de Camayenne, Dixinn et Cameroun jadis appelé « Cité Ministérielle ». Aujourd’hui y fleurissent des immeubles de luxe dont les financements sont issus soit du sang des martyrs des Camps Boiro, soit du blanchiment d’argent sale (drogue, prostitution, trafic d’armes, détournements de fonds publics…)
-Des tortionnaires et autres geôliers des mouroirs de la Révolution viennent dans les familles des détenus et font de l’extorsion : « J’ai vu votre père. Il se porte bien et demande de lui envoyer tel montant ou tel objet ». Ou encore « On va bientôt le libérer, faites tel ou tel sacrifice « « Donnez-moi ceci et cela, je vais vous aider à le libérer ». Ils le disent et promettent tout en sachant que l’intéressé a été exécuté depuis longtemps ; quelquefois, ils ne le connaissaient même pas.
-Le chantage : à notre sortie du camp Boiro en mai 1981, le directeur du camp d’alors nous a reçu et a menacé « Je sais que vous êtes journaliste. Si j’entends parler de cette affaire dehors, vous avez de la famille encore en Guinée. Nous ne les raterons pas ».
La cruauté de Sékou n’a eu d’égale que la rapacité de ses tortionnaires.
-En 1981, dans la fameuse affaire « Bah Lamine », l’homme qui aurait jeté une grenade sur Sékou Touré et pour laquelle Houphouët nous avait remis à Sékou depuis Abidjan dans son avion personnel, un Grumman, beaucoup de femmes avaient été arrêtées. L’une des techniques de torture qui leur était appliquée consistait à fabriquer en métal une forme de grosse verge, de la faire pénétrer dans le vagin de la suppliciée et d’y faire passer du courant 220 volts…
– Le jour de l’exécution de notre père, plutôt de son assassinat, il avait été torturé avec une telle brutalité que sa tête ne tenait plus sur ses épaules. Comme celle d’un nouveau-né. On les a regroupés dans plusieurs camions et débarqués sur le lieu d’exécution, au bord d’un trou géant qu’ils (les détenus) avaient préalablement creusé, on les a alignés et arrosés à la mitraillette et poussés dans le trou. Ces trous sont situés soit au pied du Mont Gangan, soit dans la forêt de Koradi, en direction de Gomba.
Adolf Hitler et ses SS ont fait école chez Sékou. Ces informations, nous les avons recueillies auprès de notre dernier père social que fut M. Kaba Moilamine, disparu en 1996 et ex- codétenu de notre père à Kindia. Tous les deux étaient membres fondateurs de la SOMIDRAT, dont les ancêtres, la CCIG puis l’EGTPM avaient vu le jour en 1959.
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-Dans la prison de Kindia un jour. Un détenu, ancien haut fonctionnaire du PDG. Ulcéré de constater le niveau de maltraitance dont sont victimes les détenus s’est dit naïvement que le fama n’était pas au courant. Il s’arrange pour lui faire parvenir un courrier. Sékou, à la réception du document, fait venir Touré Ismaël et lui dit à peu près ceci en lui tendant le document : « Je comprends pourquoi Amnesty International s’attaque à nous. Tes prisons sont devenues de vrais passoires ». Le plaignant de Kindia est récupéré ligoté avec une telle férocité qu’il a fini par ressembler à une balle de rugby géante. Il est jeté dans une cellule sur laquelle a été inscrit la sinistre lettre «D», signifiant « Diète Noire ». Il y sera « oublié » jusqu’à ce que mort s’en suive.
Les gens qui, avec une abominable hypocrisie passent leur temps à dire aux victimes du Camp Boiro de « pardonner ou d’oublier » n’ont rien compris. Le pardon est possible. Mais il sera l’aboutissement d’un processus sans lequel rien n’est possible. Les enfants de Sékou et autres négationnistes ont été nourris du sang de nos pères qu’ils continuent d’insulter. En continuant à se sucrer avec les fruits des rapines et autres Ismaël sont imprescriptibles. Tôt au tard, eux et leurs ayant droits paieront.
En attendant, ce dossier, comme celui de la Ve Colonne, reste ouvert.
Bah Mamadou Lamine