En 1987, soit 3 ans après la mort du tyran Sékou Touré, l’historien et professeur guinéen, Ibrahima Baba Kaké écrivait le livre Sékou Touré : Le Héros et le Tyran. C’est de ce livre qu’est extrait ce billet.
Qui était Ibrahima Baba Kaké?Voici comment se souvenait de lui en 2004, une de ses collègues à Radio France internationale, à l’occasion du 10ème anniversaire de sa mort:
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Sékou Touré a beau être servi par ses qualités physiques et morales, il ne devient le maître absolu de la Guinée dans les années qui suivent l’indépendance que grâce à un certain contexte intérieur.
Pour camper cette situation, il faut certainement remonter d’abord un peu en arrière, aux violents incidents provoqués par le PDG qui ensanglantent la capitale guinéenne lors des campagnes du deuxième trimestre de l’année 1958 destinées à empêcher toute implantation sérieuse de ses adversaires du Parti du regroupement africain (PRA). On compte alors de nombreuses victimes parmi les opposants au parti de Sekou: vingt-trois à trente morts, cent quarante à deux cents blessés selon les sources. Plusieurs chefs de l’opposition, dont le syndicaliste David Soumah, ne doivent la vie sauve qu’à la fuite, ayant été avertis à temps par des amis. D’autres, comme Moussa Keita, un notable connu pour ses attaches avec l’Union mandingue, repoussent leurs agresseurs à coup de fusil. Dès cette époque, certaines victimes du PDG se réfugient à l’étranger, particulièrement au Sénégal et en Côte d’Ivoire.
Mais, malgré ce climat de violence et d’intolérance, les vrais leaders des partis d’opposition, les
- Diawadou Barry
- Fode Mamoudou Toure
- Karim Bangoura
- Koumandian Keita ou
- Ibrahima Barry dit Barry III
restent alors en Guinée.
Au congres du PRA, qui se tient à Cotonou en juillet 1958, ils se rallient au mot d’ordre d’indépendance immédiate. Les conditions de l’unité nationale sont donc réalisées quand le PDG décide, le 14 septembre 1958, de rejeter la Constitution de la Vè République française.
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Après l’indépendance, la section guinéenne du PRA décide d’ailleurs de se dissoudre, obéissant aux exigences du RDA. Elle n’avait de toute façon, il est vrai, plus guère d’assise populaire.
Dans une première phase, tous les hommes politiques guinéens jouent alors franchement le jeu de l’unité nationale. Les choses vont si loin qu’on assiste à des scènes étranges. Comme, par exemple, la visite insolite que fait Chaikhou Baldé, militant de la première heure de la Démocratie sociale de Guinée (DSG), liée à la SFIO, aux étudiants guinéens à Dakar en 1959.
Conviction profonde ou opportunisme, il prononce à cette occasion, pour rallier les étudiants turbulents à la cause du PDG, des paroles inoubliables: Prenez la carte du PDG, car il ne s’agit plus d’un parti mais d’un peuple en mouvement. Combien d’exhortations de ce genre pourra-t-on entendre entre 1958 et 1960 ? Il semble bien que la peur y ait été pour beaucoup dans ces ralliements aussi soudains qu’inconditionnels. Les hommes bien placés veulent sauver leur poste sinon leur tête et Sékou Touré ne demande pas mieux…
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L’unité nationale, donc, mais bien souvent faute d’autre choix. Aussi ne faut-il pas s’étonner de la fragilité du consensus, comme le démontreront sous peu les complots de 1960 et 1961 et leurs suites. A la première strate de l’opposition constituée par les exilés politiques de 1958, viennent ainsi s’en ajouter d’autres, qui se développent aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la Guinée. Elles regroupent des hommes de toutes origines: des intellectuels qui méprisent l’autodidacte Sékou Touré, mais aussi des membres des catégories socio-professionnelles opposées à l’orientation socialiste du PDG comme les commerçants et les transporteurs, ou encore des cadres politiques et administratifs maltraités par le chef d’Etat guinéen.
Ce dernier a en effet une fâcheuse tendance à humilier ceux de ses collaborateurs qui se risquent à émettre des critiques, même constructives, au cours des débats sur les difficultés du régime, notamment les difficultés économiques.
L’opposition grossit, mais comme Sékou Touré l’empêche de s’organiser, elle reste impuissante face à lui. Ses adversaires, de gré ou de force, s’alignent derrière lui ou s’exilent ou se taisent. Une façon de régler tous les problèmes bien sûr plus facile à mettre en pratique à l’intérieur qu’à l’extérieur. Car il va sans dire que la nouvelle orientation de l’économie guinéenne est de nature à mécontenter les divers partenaires du pays, dont le principal demeure évidemment, malgré tout, la France.
L’animosité qui a caractérisé les rapports entre Paris et Conakry suite à l’indépendance fait que leur coexistence connaît des hauts et des bas-surtout des bas-jusqu’au 7 janvier 1959, date à laquelle sont signés les protocoles d’accord franco-guinéens. Les deux capitales normalisent leurs relations dès la publication, le 15 janvier, de ces trois protocoles qui concernent, pour le premier les modalités d’appartenance de la Guinée a la zone franc, pour le second la coopération technique et administrative, et pour le troisième les échanges culturels.
La France et la Guinée échangent des ambassadeurs entre le 21 et le 23 janvier 1959. Le nouveau représentant de la France, Francis Hure, déclare à la chambre de commerce de Conakry devant les hommes d’affaires que les relations franco-guinéennes évoluent dans un esprit de coopération.
Cet optimisme ne dure pas. Le 27 janvier l’hebdomadaire allemand Der Spiegel publie une interview de Sékou Touré qui attaque la politique africaine de la France: Le chef du gouvernement guinéen a opté pour son indépendance, les chefs politiques des autres territoires africains ont choisi le passé, mais les peuples ne les suivront pas longtemps. Le processus de dissolution a commencé il y a longtemps et la France perdra tous ses territoires africains.
Un navire polonais chargé d’armes tchécoslovaques arrive à Conakry
Interrogé sur les rapports de son pays avec le Commonwealth, à la suite de la création de l’Union Guinée-Ghana (novembre 1958), Sékou Touré assure pourtant que les liens de la Guinée avec la France seront toujours plus forts que ses liens avec n’importe quel Etat non africain.
Mais côté français, on retient surtout l’attaque contre la Communauté. D’ailleurs certains milieux trouvent que les liens dont parle Sékou Touré tardent pour le moins se à manifester. Ainsi dans son éditorial du 21 mars 1959, intitulé Pas d’équivoque dans les relations franco-guinéennes l’hebdomadaire parisien Marchés Tropicaux, très influent dans les milieux d’affaires européens d’Afrique, écrit:
Les relations franco-guinéennes sont dominées par un malaise que le temps ne fait qu’aggraver […] La Guinée a demandé à faire partie de la zone franc. Elle n’en observe pas l’esprit. Qu’on le veuille ou non, appartenir à la zone franc, c’est admettre la prépondérance de la France dans le domaine des échanges et de la monnaie. Or la Guinée dans ce domaine conclut des accords commerciaux avec la Russie et la Pologne sans se soucier des intérêts communs de la zone franc […]
A I’ONU la semaine dernière, lorsque s’est posée la question de I’indépendance que la France accorde au Cameroun à partir du 1er janvier 1960, le délégué de la Guinée M. Ismael Touré s’est livré à une violente diatribe contre la France, qui n’avait pas de raison.
Est-ce là un préliminaire souhaitable à une délicate négociation ?
Marchés Tropicaux, rappelant d’autre part un discours radiodiffusé de Sékou Touré sur la réorganisation du commerce extérieur et la création d’un mouvement de jeunesse unique qualifie le régime instauré par le PDG de totalitaire.
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Le 17 mars 1959, l’arrivée à Conakry d’un navire polonais chargé d’armes tchécoslovaques augmente les craintes françaises. A Paris on est d’autant plus inquiet que cette cargaison d’armes est accompagnée d’une mission militaire.
Déjà plusieurs fois annoncée, note Le Monde du 29 mars, la livraison d’armes en provenance des pays de l’Est n’en constitue pas moins une certaine surprise et met dans une situation délicate les capitales occidentales.
A l’Assemblée nationale française, Caillemer, député indépendant de la Vendée pose une question écrite au premier ministre. Face à tant d’alarme, Sékou Touré décide de faire agir ses diplomates pour rassurer les pays occidentaux. Cette tâche reviendra notamment à Diallo Telli, représentant de la Guinée à l’ONU, et à Nabi Youba, ambassadeur de Guinée à Paris.
La campagne d’explication ainsi lancée est essentiellement axée sur le thème du neutralisme positif. La diplomatie guinéenne assure que le jeune Etat n’a pas fait de choix politique entre l’Est et l’Ouest. Il a conclu seulement des accords économiques avec les pays de l’Est, alors qu’aucune proposition d’aide n’avait été faite de la part des pays de l’Ouest. Jugeant sans doute l’action de ses diplomates insuffisante, Sékou Touré monte lui-même au créneau.
Dans un interview accordée au New York Times le 30 avril 1959, Sékou Touré accuse la France de vouloir isoler la Guinée en l’obligeant ainsi à accepter l’aide communiste. C’est également la France qui, dit-il, a introduit un hiatus dans les rapports de la Guinée avec les Etats-Unis.
En novembre 1958, le gouvernement guinéen avait adressé au président Eisenhower par l’intermédiaire de la république du Liberia une demande de fourniture de un ou deux milliers de fusils pour l’armée guinéenne. C’est parce qu’il n’a pas reçu de réponse à cette demande qu’il a accepté l’aide spontanée de la Tchécoslovaquie.
La publication de cette interview est suivie immédiatement d’un démenti du Département d’Etat qui assure que les autorités américaines n’ont reçu aucune demande formelle d’armes provenant de Conakry ou de Monrovia.
L’ambassadeur du Liberia à Washington avait bien effectué le 17 décembre 1958 une mission exploratoire au Département d’Etat où il avait déposé un mémorandum de caractère officieux. Mais il lui fut répondu qu’il n’était pas habituellement recommandé de traiter les questions d’aide par l’intermédiaire d’un tiers. Au demeurant, à l’époque un représentant de la Guinée se trouvait aux Etats-Unis. La Guinée était donc en mesure de présenter au gouvernement américain une demande officielle.
On en était là quand, à partir du mois de mai 1959, la Guinée et la France décident de renouer le dialogue. Mais tandis que le gouvernement français songe à mettre enfin en application les protocoles de janvier, le gouvernement guinéen, auquel sont parvenues de nombreuses propositions d’assistance, estime que ces accords ne lui conviennent plus.
Depuis la proclamation de l’indépendance, les offres de coopération, en effet, affluent de toutes parts.
Le dernier message de Sékou Touré au général de Gaulle en 1958 est à peine envoyé que trois délégations officielles arrivent à Conakry. Elles représentent le Ghana, le Liberia et la République démocratique allemande (RDA). Ces délégations engagent aussi des négociations avec les autorités guinéennes en vue de la conclusion d’accords économiques et culturels. Le gouvernement guinéen envoie lui aussi plusieurs missions de bonne volonté à l’étranger, notamment en Afrique.
Presque en même temps, la République fédérale d’Allemagne (RFA) et les EtatsUnis lui expriment leur sympathie. Le consul de la RFA à Dakar vient même à Conakry pour prendre les premiers contacts et tenter de neutraliser l’action de la RDA. Certaines de ces négociations se traduisent par des engagements. La Guinée signe avec la RDA un accord commercial et culturel le 17 novembre 1958 puis un autre accord commercial le 3 mars 1959; avec l’ URSS un accord commercial, déjà mentionne, est signe le 13 janvier 1959. De plus, l’ONU a envoyé ce même mois de janvier une mission à Conakry pour y étudier les conditions d’application d’un programme d’assistance technique.
Au moment où il reprend les conversations avec Paris, Sékou Touré ne se trouve donc pas en si mauvaise posture. Personne ne peut nier qu’à ce moment il a bel et bien la situation en main. Sûr de lui-même, se sentant soutenu par les pays de l’Est, il prend la ferme résolution d’imposer à la France ses conditions au cours des négociations de mai. Il fait tellement monter les enchères que ces négociations, finalement, demeurent suspendues.
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Et dès septembre de la même année la tension resurgit dans les relations franco-guinéennes. Du 14 au 17, en effet, se tient à Conakry le Vè congrès du Parti démocratique de Guinée (PDG). Dans son rapport politique, Sékou Touré confirme l’adhésion de son pays au neutralisme positif. En fait de neutralité, d’aucuns remarquent une nette préférence pour les pays socialistes.
Commentant la parade communiste au cours de ce congrès, Le Monde écrit: La séance d’ouverture n’en fut pas moins un véritable festival communiste au cours duquel les représentants des Républiques populaires d’Allemagne de l’Est, de Roumanie, de Bulgarie, de Tchécoslovaque puis de l’URSS se sont fait applaudir.
Le 2 octobre, premier anniversaire de l’indépendance de la Guinée, est un jour de véritable apothéose pour Sékou Touré. Il en profite pour asséner encore quelques coups à la diplomatie occidentale en déclarant: Si l’Afrique est contrainte de participer en définitive la division du monde, elle ne pourrait se ranger que dans le camp de l’anticolonialisme.
A partir de décembre 1959, les relations franco-guinéennes, cette fois, se détériorent franchement. Une campagne virulente contre le colonialisme français est déclenchée. Les organes d’information se déchainent contre l’ancienne métropole quand éclate en février 1960 au Sahara la première bombe atomique française. Radio-Conakry qualifie l’explosion d’acte agressif et criminel contre tout un continent.
L’agence guinéenne de presse, pour sa part, profère des menaces: Nous n’aurons de cesse, dit-elle, que la France ne soit balayée économiquement et politiquement du continent africain. A l’ONU, Kaba Sory, chef de la délégation guinéenne, remet à Dag Hammarskjoeld, Secrétaire général, le texte d’une protestation à communiquer aux délégations des Etats membres. Bientôt, le 1er mars 1960, on annonce la création d’une monnaie guinéenne hors de la zone franc. On va ainsi d’escarmouche en escarmouche jusqu’au fameux