En ce 2 octobre 2018, rappelons-nous les victimes du Camp M. Boiro, l’usine de la mort de Sékou Touré

Aujourd’hui 2 octobre 2018, c’est le 60ème anniversaire de l’indépendance de la Guinée, qui fut la première colonie française d’Afrique subsaharienne à accéder à la souveraineté internationale. Pour tout citoyen, le jour de l’indépendance devrait être une journée de fête et de réjouissance. Mais, pour de nombreux guinéens, ce jour est plutôt un jour de douleurs et d’amertume pour avoir vu leur pays transformé par Sékou Touré en une immense prison à ciel ouvert de 1958 à sa mort en 1984, l’homme en qui ils avaient placé tant de confiance.

Les leaders de tous les partis politiques avaient choisi de voter pour l’accession du pays à l’indépendance, à l’occasion du référendum du 28 septembre organisé dans les colonies françaises, pour donner naissance à la Communauté française. Même si l’histoire officielle continue de présenter Sékou Touré comme le père de l’indépendance, il fut le dernier à se décider pour cette option. Lui-meme a reconnu en Barry Diawadou l’homme clé de l’indépendance de la Guinée. Malheureusement, tandis que Sékou Touré continue à être célébré comme le père de l’indépendance, au point que la présidence porte son nom, l’apport de Barry Diawadou comme celui de tant d’autres continue à être ignoré et aucune tentative n’a été entreprise pour le réhabiliter et honorer sa mémoire.

Sékou Touré, ayant su avant cette date polariser les aspirations des femmes et des jeunes pour s’opposer au colonialisme, au point que son parti, le Parti démocratique de Guinée, était devenu le principal parti contre l’administration coloniale, a fini par incarner la volonté d’indépendance.

Nous les jeunes d’alors, nous croyions en lui. Ne nous avait-il pas dit « Nous préférons la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage? ». Nous devions vite déchanter car nous avions eu l’indépendance, pour tomber sous le joug d’une dictature féroce, qui a fait des milliers de victimes innocentes, torturé, volé et saccagé le pays.

A sa mort, en 1984, sa politique démagogique avait détruit l’économie et forcé un tiers de la population à fuir le pays. Malgré son bilan catastrophique dans tous les domaines, la clique qui gravitait autour de lui voulait garder le pouvoir. C’est un coup d’état militaire qui l’en a empêché le 3 avril 1984. Voici ce que rapporte le journaliste marocain Mohamed Selhami dans son livre Le Camp Mamadou Boiro, l’usine de la mort, selon un commentaire du seul journal qui existait à la mort du dictateur, celui de son propre parti:

« Pendant plus de deux décennies, le peuple de Guinée, labouré dans sa chair et son âme par des mains sanglantes, a connu le plus grand calvaire de son existence. Dans l’éclipse totale, il a marché en égrenant le chapelet de la faim, de la soif et de l’ignorance. Dépersonnalisé par une politique de chasse à l’homme, une politique d’individus tarés, avides de pouvoir personnel. Le peuple guinéen n’avait jamais goûté à un seul instant de bonheur… « .

Le véritable jour que l’on devrait célébrer c’est peut-être ce 3 avril 1984, qui fut le début d’une autre longue période de dictature, militaire cette fois-ci, mais c’était en même temps un moindre mal. Le nouveau chef de l’état, le général Lansana Conté, ancien membre du comité central du PDG et Chef d’état-major adjoint de l’armée de terre, s’évertuera à préserver le culte de la personnalité de Sékou Touré, il donnera le nom de l’ancien dictateur sanguinaire à la présidence de la république. L’impunité qu’il a protégée a fait que d’anciens geôliers ont continué à occuper les mêmes postes que sous la dictature du PDG. Une pratique que le Président actuel a continuée jusqu’à nos jours.

Cela n’empêche que la journée du 3 avril 1984 a été célébrée en Guinée et au sein de la diaspora guinéenne comme la vraie journée de libération.

Extrait:

Ce bonheur, la foule qui a afflué au Camp Boiro l’a résumé en un cri : « Vive l’armée ! » En ouvrant les cellules de l’une des geôles les plus sinistres de l’univers, les militaires ont cherché à détruire le symbole — combien concret — de la terreur « sékoutourienne ». « Camp Boiro, c’est plus que l’enfer, c’est la fin du monde… « , conclut en effet Mokhtar Baldé.

Ce fonctionnaire des Nations Unies était venu à Conakry, quatre ans auparavant, rendre visite à sa famille. « Dès mon arrivée à l’aéroport, la police m’a expédié manu militari, sans explication, au Camp Boiro. Le commissaire m’a accusé de « menées subversives » contre le régime. Ce qui était faux. Je pense que mon arrestation a été due au mépris que Sékou Touré et sa milice avaient pour les intellectuels… “Suivez-nous au commissariat central, n’ayez aucune crainte, il s’agit d’une simple formalité de routine” m’a dit un officier de police. » Et Mokhtar Baldé de raconter son calvaire.

« Cette formalité de routine devait se traduire, après un bref passage au ministère de l’Intérieur à Conakry — une heure environ durant laquelle on m’a fait des photos d’identité — par une incarcération qui allait durer quatre ans. Arrivé au Camp Boiro, les policiers de l’aéroport me remettent au directeur qui, d’emblée, me demande de troquer mes habits neufs contre un vieux pantalon et une chemise en haillons. Ce directeur, Mamadouba Touré, ancien inspecteur de police est, d’ailleurs, toujours en poste, depuis cinq ans. Après que je me sois changé, le même directeur, sur un ton apaisant, m’assure qu’il est de mon intérêt de tout avouer. Avouer quoi ? Devant mon silence, il sort d’un placard, presque au hasard, un dossier d’où il tire une feuille écrite à la main. “De votre bureau de New-York, vous travaillez contre le pays. J’ai ici des rapports concernant vos activités subversives. Avouez que vous êtes un opposant”. Puis, n’attendant même pas que je réponde, il appelle un gardien et lui ordonne de me conduire à la cellule n° 16. Là, je me trouve avec une dizaine de détenus tous plus pitoyables les uns que les autres ». Les jours qui vont suivre apprendront à Mokhtar Baldé que la réputation du Camp Boiro en matière d’atrocité n’était pas le fruit de l’imagination de la presse, mais bel et bien une réalité.

Ecoutons le récit de M. Kaba, arrêté lui aussi pour « menées subversives contre la sûreté de l’Etat », un matin de décembre 1980. En entrant au Camp Boiro, il pesait 78 kg. Maintenant, ce poids est tombé de moitié.

« Je ne faisais pas de politique. Je venais à peine d’ouvrir mon épicerie, dans le quartier Madina, à Conakry, lorsque deux miliciens me demandèrent de les suivre. “Pour interrogatoire” dirent-ils. Et c’est au Camp Boiro que je me suis retrouvé, les mains liées par une corde et les yeux bandés. » La raison de cette arrestation, Kaba la met sur le compte d’un milicien à qui il ne voulait pas payer la taxe syndicale. « Parce qu’un gendarme l’avait déjà précédé et qu’il n’était pas question que je paie deux fois. Et me voilà transformé en détenu politique au même titre que ceux qui ont osé contester Sékou Touré que soit dit en passant, je détestais. Dès le premier jour de mon arrestation, on me fait passer par la “cabine technique”. J’y ai souffert, atrocement souffert. »

La « cabine technique » est un lieu de passage obligatoire pour tous les détenus d’opinion. Une sorte d’échoppe de dix mètres carrés environ au plafond bas d’où pend une corde. Au milieu de la pièce, une immense table en fer et une gégène électrique de fabrication soviétique. Ces trois éléments constituent le matériel de torture, sous la lumière d’une lampe à pétrole. Comme les soixante-seize cellules du camp, la « cabine technique » ne désemplissait jamais. « J’ai appris à la connaître plus que ma propre maison », déclare un tortionnaire repenti.

M. Kaba raconte un de ses nombreux passage dans la « cabine technique » :

« On commence par me déshabiller entièrement. Je me sens ainsi humilié. On m’attache les mains et les pieds avant de me mettre à plat ventre sur la table en fer. Ensuite, on branche un fil électrique sur mon orteil, et un autre fil sur mon sexe. Des fils reliés à une gégène qui, mise en marche, crache de fortes décharges électriques. J’ai l’impression que mon corps est la proie de millions de fourmis. Pour étouffer mes cris, le tortionnaire, un virtuose du sévice, m’enfonce brutalement un gros chiffon noir de saleté dans la bouche. Après les décharges électriques, on marque un arrêt de quelques minutes pour que j’avoue mes activités subversives. J’ai d’ailleurs l’impression que les “aveux” ne les intéressent guère. Ils veulent que je cite des noms, que je reconnaisse des faits que j’ignore. Par exemple, d’avoir fait parvenir à un cousin lointain exilé en Belgique des informations sur le pays. Ce cousin, je ne l’ai pas revu depuis quinze ans. J’ai fini par donner quelques noms de voisins du quartier et par reconnaître mes relations avec mon cousin. Je mentais, bien sûr, croyant ainsi qu’ils arrêteraient de me tourturer. Pensez-vous ! Les sévices ont redoublé. Après la pause, on me pend par les mains et les pieds. On allume un feu en-dessous de moi.

La peau de mon dos est dévorée par les flammes. Le supplice dure quelques minutes qui m’ont semblé une éternité. Certains prisonniers sont d’ailleurs morts calcinés sous les yeux de leurs tortionnaires. Après la corde, le supplice du pneu [de camion rempli de granit] qu’on pose sur mon dos alors que je suis à plat ventre sur des pierres tranchantes. C’est la terre entière qui m’écrase sous son poids… « .

Kaba, qu’on a ensuite installé dans une cellule de six mètres carrés avec six autres détenus, devait fréquenter la « cabine technique » vingt jours de suite. Très vite, il a faibli, à cause des sévices, mais aussi à cause de la « diète noire » :

« Parfois on restait dix jours sans avoir à manger ni à boire. Certains, n’ayant rien à se mettre sous la dent pendant des mois, meurent réduits à l’état de squelettes. J’en ai vu dans ma propre cellule. Je n’oublierai jamais ces cris plaintifs et ces yeux qui ressortaient de cavités osseuses. Nous dormions tous debout, le sol étant souillé de selles et d’urines. Il nous arrivait d’en consommer ».

Kaba n’a toutefois pas connu la cellule dénommée « tête de mort »:

quatre murs sans toit où l’on enfermait les opposants « dangereux » qui, à l’instar du plus célèbre d’entre eux, Telli Diallo, devaient périr à tout prix. Combien y en a-t-il eu ? Dix mille aux propres dires des tortionnaires. On en arrêtait deux cents par mois et il en mourait six par semaine, presque un opposant par jour….

Dans la « tête de mort », les prisonniers se retrouvent à cinquante. En pleine saison des pluies, l’eau envahissait la cellule, montant chaque jour un peu plus. Cela durait des mois. Certains mouraient noyés. Les survivants, agrippés aux cadavres, perdaient des lambeaux de peau quand l’eau se retirait. Sans doute avaient-ils à boire plus qu’ils ne l’auraient souhaité. Mais que pouvaient-ils manger ? Ceux que nous avons pu interroger ont toujours éludé la question ; tel Mokhtar Baldé qui doit sa survie à sa grande taille, 1,82 mètre « Mais je devais y retourner à la prochaine saison des pluies. Heureusement, le 3 avril… ».

Parmi les libérés, une femme, la quarantaine, qu’on avait mise à part dans une cellule où elle était torturée et, en plus, quotidiennement violée par les geôliers. Il y a également « Monsieur le doyen », doublement doyen : cet octogénaire a fait quinze ans de cellule. Lui, il avait fait de la « politique ». Il entretenait des relations avec ses trois petits-fils installés en Côte d’Ivoire. Tous des opposants à Sékou Touré. Pour les punir, le président défunt avait fait arrêter le grand-père. Quand celui-ci est sorti de Camp Boiro, une grimace perpétuelle lui tenait lieu de sourire. Comme beaucoup d’autres, il était devenu fou. Des petits enfants s’agrippaient à ses haillons. Mais lui, inconscient, poursuivait sa marche titubante. La marche de la liberté ! Avant de se perdre dans la foule, il a jeté un dernier regard sur la cité maudite, l’usine de la mort, le Camp Boiro….

Une cité dans la cité, ce Camp Boiro. Avec sa population, ses maisons, ses épiciers et ses marchands des quatre saisons, ses « hôtels », sa mosquée … son cimetière. Il doit son nom au premier « martyr de la répression », Mamadou Boiro. Cet ancien commissaire de police est mort en 1966, éjecté de l’avion à bord duquel il convoyait des prisonniers destinés au camp… On n’a jamais retrouvé son corps. Sékou Touré l’a immortalisé en baptisant Mamadou Boiro ce camp dont ses conseillers tchécoslovaques venaient de superviser la construction.

Fin

Pour continuer continuer et la lecture ou en savoir plus cliquer:

http://www.webguinee.net/bibliotheque/sekou_toure/ce-quil-fut/camp-boiro-usine-mort.html

https://www.yumpu.com/fr/document/view/44323479/nouveau-pouvoir-espoir-de-justice-fidh/27

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