Dans la panoplie de mesures mises au point par le régime de Sékou Touré pour faire souffrir ses victimes, il y a l’exposition dans ses camps de la mort d’anciennes personnalités, qui l’avaient servi, à l’ostracisme, au mépris et à la haine de la part des victimes de ces fidèles serviteurs.
Dans un billet posté par Frederic Praud présentant le livre de Dr. THIERNO BAH intitulé La légende funeste de Sékou Touré, publié sur le blog .parolesdhommesetdefemmes.fr, on peut lire:
La majorité de ces femmes et de ces hommes rivalisaient de zèle pour mériter le privilège de servir leur Fama, c’est-à-dire leur roi. Ils ne se sont jamais posé la question sur l’absence de preuves matérielles de la culpabilité des détenus malgré toutes les perquisitions faites aux domiciles des suppliciés.
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Et il poursuit:
Amalgame. Il faut évoquer la confusion créée par le PDG qui a mis dans les mêmes cabines techniques des citoyens innocents à 100 % des charges dont ils sont accusés comme les Enseignants et des anciens dignitaires qui avaient siégé dans les comités révolutionnaires comme Bama Marcel Mato. Ces anciens tortionnaires, devenus victimes de la machine infernale qu’ils ont servie ont péri comme leurs anciennes proies quand ils ont cessé de plaire à Sékou et à sa famille. Cette cohabitation entre victimes à 100 % et anciens bourreaux comme le furent Émile Cissé, Madame Diédoua Diabaté a été évoquée dans le témoignage de Touré Kindo, « unique survivant du complot Kaman Fodéba » et par Kaba 41 dans son livre » ça s’est passé dans la Guinée de Sékou Touré «
Jean-Paul Alata fut parmi les plus illustres de ces personnalités qui ont connu la gloire au sein du gouvernement avant de connaitre la déchéance. Ce français, militant de gauche qui avait connu Sékou Touré et les autres hommes politiques guinéens lorsqu’il servait l’administration française à Dakar, est allé en Guinée pour aider notre pays au moment où il avait le plus besoin de cadres pour remplacer le personnel que les colons avaient rapatriés après l’indépendance. Il s’est naturalisé guinéen et s’est marié avec une femme guinéenne dont il a eu des enfants. Après avoir été le tout puissant responsable du domaine économique et membre du cercle le plus proche du dictateur, il a été arrêté sous de fausses accusations, comme il était de coutume.
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A l’intérieur du Camp Boiro, il fut chargé d’aider les victimes à rédiger les dépositions que les tortionnaires exigeaient d’eux. Dans l’extrait de son livre Prison d’Afrique que j’ai choisi de publier, il nous décrit le calvaire et les faux espoirs que lui et certains de ses anciens collègues proche du tyran ont vécu au Camp Boiro.
J’avais été stupéfié en apprenant sa présence [ Michel Émile] au camp Boiro. Je connaissais trop bien les sentiments d’Ismaël à son égard. N’avait-il pas dit, en ma présence, qu’il regrettait de ne pas pouvoir le faire tuer deux fois ? Sa haine exigeait sa disparition physique après l’élimination politique.
Et il renvoyait Michel Émile au bloc alors que tant d’autres étaient partis pour l’inconnu. D’après un calcul sommaire, j’estimais à deux mille le nombre des arrestations constatées à Boiro seulement de juin à novembre 1971. Il restait moins de quatre cents détenus entre le bloc et l’annexe, et parmi eux de nombreuses entrées postérieures !
En estimant à cinq cents les libérations opérées, cela faisait plus de mille cinq cents départs. Michel Émile ne cadrait pas avec ces prévisions.
Tous ceux qu’on voyait à Boiro entraient dans la catégorie des «récupérables» du ministre.
La protection du président avait-elle quand même joué? Après nous avoir abandonnés aux stryges, avait-il limé les dents aux vampires ? Pour l’instant, Michel Émile maintient une certaine bonne humeur autour de lui malgré la haine compacte qu’il soulève encore.
Des hommes comme Kantara étaient physiquement bouleversés à sa vue. Ils ne pouvaient oublier le tortionnaire de Kindia. Les insultes fusaient de tous côtés quand il passait pour la vidange. Cela ne suffisait pas aux malheureux de le voir partager leurs souffrances. Ils avaient applaudi à son arrestation; deux ans s’étaient écoulés, ils l’auraient voulu mort.
Et il avait le sourire, promenant son inconscience parmi la colère.
Je me sentais attiré par lui. Ne souffrais-je pas du même ostracisme ? Sans avoir jamais, dans le passé, dirigé ni même participé à aucune répression politique, n’étais-je pas tenu pour responsable de trop d’actes ? Mon amitié pour Sékou ne me poursuivait-elle pas encore ? Un autre intime du chef de l’État s’affaiblissait de jour en jour. Kassory. Descendu du château en mauvaise condition physique, on le croyait atteint d’hydropisie. Son ventre devenait énorme, gonflant juste sous l’estomac. Le pauvre Bangoura prenait l’allure d’une reine termite à l’abdomen démesuré. Il pouvait à peine se traîner. Ses compagnons de cellule le soutenaient pour aller à la douche, lui faisaient sa vidange.
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Lui aussi ne s’accrochait qu’à l’idée qu’Il ne le laisserait pas mourir ici. Chaque jour, son ventre s’arrondissait un peu, chaque jour, il éprouvait un peu plus de peine pour se lever mais il croyait toujours impossible que le vieil ami des années de lutte, celui auquel il avait cédé son lit quand il était poursuivi par la police coloniale, ne fit pas le geste sauveur.