Le Mémorial virtuel du Camp Boiro a publié un article de Souleymane Diallo, fondateur et administrateur général de l’hebdomadaire de Conakry, Le Lynx, de la radio du même nom et du groupe de presse Guicomed qui publie aussi l’autre hebdomadaire La Lance.
Originalement, cet article avait été publié sur son hebdomadaire, dans le No. 388 du 30 octobre 1999. Souleymane Diallo est un autre exemple de comment la Guinée n’a pas pu valoriser ses ressources humaines. En les tuant ou en les forçant à s’exiler, elle s’est privée de leur apport dans l’édification d’une Guinée prospère.
Formé à l’université de Kankan, Souleymane Diallo dès sa sortie, a travaillé comme journaliste au journal Horoya. Mais il s’est vite rendu compte qu’au lieu d’être au service d’une nation naissante, il contribuait à renforcer le culte de la personnalité d’un dictateur sans scrupules assoiffé du sang de ses compatriotes. Il a donc préféré s’exiler comme tant d’autres guinéens de son âge qui avaient tout abandonné pour se mettre au service de leur pays. Au Nigeria, d’abord, ensuite à Séba en Libye où il devait enseigner l’anglais et le peul, il est allé en Cote-d’Ivoire, où il a travaillé comme responsable adjoint et auteur de la rubrique « Question de la semaine » du quotidien Fraternité matin.
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Le Président Houphouet Boigny que tant d’africains, en particulier guinéens, détestaient a su utiliser les cerveaux qui fuyaient notre pays pour la construction de bases solides pour dépasser le stade dans lequel végétait la Guinée, fait de misère, de graves violations des droits humains et de destruction du tissu économique que les colons avaient commencé à mettre en place.
Cet article prouve pleinement que la révolution ne cherchait pas la vérité, mais plutôt à faire avouer aux victimes ce que le dictateur voulait car sa vérité à lui était celle qui avait la primauté sur le reste. Il pouvait donc faire de chaque citoyen un coupable des pires crimes. Dans d’autres cas il poussait le sadisme et la traîtrise jusqu’à prétendre qu’il ne savait rien des conditions de détention des victimes.
Voici l’article de Souleymne Diallo:
Les Guinéens ont souvent évoqué le nom du Camp Boiro sans vraiment pouvoir commencer à chercher ce qui s’y est réellement passé.
Le Camp Boiro, c’est certainement le principal outil de destruction massive que la Guinée a connu dans sa chaire la plus profonde. C’est lui qui a englouti la substance du passé et même celle du présent de ce pays meurtri. C’est la tombe du bonheur et de la prospérité de la Guinée pour des années encore.
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Le Camp Boiro aura été incontestablement l’outil par lequel la Révolution guinéenne, comme Saturne, avait dévoré tous ses enfants. Les Guinéens en ont été traumatisés. Si traumatisés qu’ils n’ont pas osé imiter l’Afrique du Sud post-apartheid. Ils n’ont envisagé aucune commission “Vérité et Réconciliation”. Le manteau de la peur semble avoir mal recouvert le Camp de la mort.
Quinze ans après que Boiro eut été mis à nu, les Guinéens en ont toujours peur. Aucune recherche sérieuse n’a encore été entreprise pour montrer le vrai visage de ce camp de la culpabilité et de l’anéantissement. Quinze ans d’absence n’ont pas suffi pour entamer la puissance des acteurs et la portée de leurs actes pour neutraliser la Guinée. Les Guinéens n’ont même pas l’air d’avoir mesuré la portée du traumatisme qu’ils ont subi.
Quinze ans et quatre mois après la destruction de la Révolution qui avait usé de camp pour se maintenir, Boiro reste toujours un mystère, une misère, une inconnue, une complicité collective. Timides sont les âmes qui osent penser que, “la vérité historique” doit jaillir. Il faut qu’elle jaillisse pour que la Guinée s’y reconnaisse et…pardonne. Sans oublier. On ne saurait oublier une catastrophe d’une si grande portée.
Il est heureux qu’aujourd’hui, 15 ans après, à l’occasion du 22è anniversaire du 27 août d’anciens détenus commencent à oser… se souvenir. Et à parler. Nous en avons rencontré un, un petit détenu de Boiro. Petit par son rang social. Grand de taille, de corpulence et d’esprit qui a osé se souvenir.
Un chauffeur, le chauffeur d’Émile Cissé que N’Fa Siaka avait rencontré à plusieurs reprises dans la famille Gadha Oundou, à Kindia. Une famille qui avait la chance-malchance de produire de jeunes filles fort belles, objets des convoitises que vous connaissez. Mamadouba, ce chauffeur d’Émile Cissé, y avait rencontré le patron de la police politique de feu Ahmed Sékou Touré. Le crime a été consommé.
Il n’en fallait pas plus pour que Mamadouba se retrouve au Camp Boiro pour 4 ans. Sans jamais avoir été interrogé. Il a vécu là avec son ex-patron, Émile Cissé, le super patron de Kalédou de Popodra, à Labé, et plus tard toute la zone de Kindia. Il s’est également retrouvé avec un de ses voisins et ami de Labé, un certain Fofana Baro de Dow Saré qu’il connaissait bien. Fofana Baro était de l’autre côté de la barrière. La Révolution lui avait confié la redoutable tâche de travailler aux côtés de N’Fa Siaka. Il s’occupait particulièrement de “ravitaillement”. C’est dans ses mains que mangeaient les prisonniers de Boiro. Voilà “la promotion” et la chance du chauffeur d’Émile Cissé. Mamadouba était chargé de porter à manger aux bagnards.
Il passait de cellule en cellule pour déposer la pitance quotidienne aux détenus, aux otages de la Révolution globale, multiforme et multi-crimes.
C’est le chauffeur qui apportait à manger à son ancien patron. “Emile Cissé est mort le 22 mars 1974”, soutient l’ancien chauffeur de l’ex-patron de Kindia. On m’a remis une demi-ration pour lui pendant 3 mois dix jours, que je déposais à la cellule n° 39 du Camp Boiro. Le 19 mars 1974, il a été transféré à la cellule n°49. La porte a été fermée. La fameuse lettre D. (Diète) y a été suspendue. Émile Cissé a crié là toute une semaine pour demander à boire. Personne ne pouvait faire quelque chose. La porte était fermée pour de bon. Quand il a cessé de crier, ils sont allés sortir le corps. C’était le 22 mars 1974”.
Ne vous faites aucune illusion! A Boiro, la mort était planifiée. Et le Responsable Suprême de la Révolution savait tout. Tout et tout. On a souvent accusé l’entourage et la commission d’enquête. En témoigne, le cas de Mara Kalil, l’ancien chef d’état major-inter armes. Nommé tel au Palais du Peuple le 5 juillet 1971.
J’entends encore les voix perçantes des jeunes soldats de la Révolution, qui l’ont immédiatement porté en triomphe. Je les vois encore dans leur tenue kaki tout à fait à l’arrière, occupant toute la partie droite de la salle des Congrès du Palais du Peuple. Jeunes. Enthousiastes. Ils n’arrêtaient pas de scander les slogans du PDG et de son Responsable Suprême. Dans cette terrible matinée du 5 juillet 1971, tous les officiers de l’armée guinéenne avaient été conviés au meeting. Pour être dénoncés en direct, en face, par le Président. Zoumanigui, Bavogui, le Colonel Diallo…Tous démis de leurs fonctions. C’est Mara Kalil qui a pris immédiatement la relève à l’Etat-Major Inter-Armes.
Quand la conférence a pris fin, j’ai eu la triste occasion de revoir le Colonel Diallo dehors, à côté de l’esplanade du Palais du Peuple. Il avait rangé là sa “voiture Peugeot 404″. Ma moto était tout juste à côté. Par hasard. Quel hasard! J’étais arrivé peu avant lui. Je commençais à allumer la moto pour filer à la Rédaction de Horoya à Coléah quand il a ouvert la portière de sa voiture. “C’est cela, mon cher” a-t-il lancé à quelqu’un qui ouvrait également la portière de sa voiture de l’autre côté. Les deux ont ri. Je ne les ai plus revus. Ils ont été arrêtés la même nuit.
Le Commandant Mara Kalil, lui, le sera un peu plus tard, en 1974. Et jeté comme les autres au Camp Boiro. Comme s’il n’avait jamais remplacé personne à l’état-major inter-armes. C’est à Boiro qu’il a rencontré l’ancien chauffeur d’Émile Cissé qui lui apportait sa ration. Et Mamadouba de préciser:
“C’est moi qui ai sorti les effets de Mara Kalil de la cellule n°12. On avait déjà transporté son corps je ne sais où. Mais, c’est moi qui ai sorti ses effets. Nous étions à la cellule n°5. J’ai remis tous les effets du Commandant Kalil au chef de poste. Sauf… un chapelet.
J’ai découvert dans ces effets-là, un chapelet bizarre, fait de miche de pain. Vous connaissez les chapelets! Ils comportent 33 petits grains séparés par deux grains moyens, et un gros grain pour boucler le chapelet. Le tout relié par un fil. Le Commandant Kalil avait confectionné son propre chapelet avec la miche de pain. J’ai gardé ce chapelet… un moment.
Le gros grain m’a intrigué. Il était trop gros. Je me suis caché pour le briser. Que contenait-il? Une lettre bien pliée, signée de la main du Président Ahmed Sékou Touré en personne! Une lettre de Sékou Touré dans un chapelet fait de miche de pain! Que disait-elle, cette lettre du Responsable Suprême de la Révolution? Ceci:
“Mara, il faut avouer ce que l’on te demande d’avouer. Je verrai ton cas après. A bon entendeur salut!”
Ahmed Sékou Touré
J’ai gardé la lettre. Effectivement, la commission d’enquête a eu tous les problèmes avec Mara Kalil pour obtenir des aveux. Soldat, il ne voulait rien dire qui ne soit conforme à la réalité. Au cours d’un interrogatoire, ils ont composé un numéro de téléphone et ont tendu le combiné à Mara Kalil. Au bout du fil, le Responsable Suprême de la Révolution. “Mara, il faut avouer ce qu’on t’a dit d’avouer. Je verrai ton cas après ”.
– Camarade Responsable Suprême de la Révolution, est-ce que vous pourriez mettre cela par écrit”.
– Aucun problème, Mara.
Et la note lui est parvenue. C’est celle-là que le Commandant Mara Kalil a soigneusement moulu dans la miche de pain. Probablement pour la postérité !
« Malheureusement, raconte Mamadouba, l’ancien chauffeur d’Émile Cissé, je n’ai osé sortir avec la note. Quand on m’a appelé pour m’annoncer ma libération, après 4 ans de détention sans que personne ne m’ait posé la moindre question, je me suis débarrassé de cette lettre dans ma cellule ».
Quels dommages!
Diallo Souleymane