Selon les statistiques officielles, la Guinée avec une population de 13 millions a été en mai 2017, le troisième pays pourvoyeurs de migrants arrivant en Italie par la mer. Elle n’a été devancée que par les géants démographiques que sont le Nigeria et le Bangladesh. Pour trouver les raisons de ce phénomène, il faut remonter à la période de la première république et de la dictature du Sékou Touré, qui fut un grand panafricaniste, mais un redoutable tyran pour son peuple.
La Guinée a obtenu l’indépendance de manière différente des autres pays africains de langue française. Lorsque le Général de Gaulle est arrivé au pouvoir en France, il a proposé aux colonies africaines la création d’une Communauté française, c’est-à-dire associant la France est ses colonies sous différentes formes, par voie de référendum. Seule la Guinée opta pour l’indépendance en votant NON de cette consultation organisée à travers toutes les colonies, le 28 septembre 1958.
Comment cela fut-il possible? La Guinée a eu la chance d’avoir les dirigeants de tous les partis politiques qui étaient nationalistes. Il s’agit de Diawadou Barry, Ibrahima Barry dit Barry III et Sékou Touré. Ce dernier était une idole des jeunes à cause de sa capacité dialectique et des femmes pour son sex-appeal. Son parti détenait la majorité des sièges au parlement territorial guinéen.
Que se serait il passé si un seul des leaders avait opté pour le OUI, c’est-à-dire pour que la Guinée reste au sein de la Communauté française? Si on considère ce qui s’est passé au Niger où Djibo Bakary, le leader du parti SAWABA, le principal de la colonie qui avait 42 sièges sur 60 au parlement issu de la loi-cadre, avait opté pour pour le NON, il n’y a pas de doute le pouvoir colonial aurait tout fait pour embrouiller les cartes..
Le site blogs.mediapart.fr rappelle comment le pouvoir colonial avait réagi pour falsifier les conditions dans lesquels s’est déroulé le référendum au Niger. Il cite un Mémorandum adressé aux chefs d’États africains en 1964 par le Parti Sawaba du Niger:
en 1957 le parti de l’indépendance (Sawaba) avait obtenu, dans le cadre de la loi-cadre, 42 sièges sur 60 au parlement. L’année suivante, le parti Sawaba se prononce pour le non au référendum, mais le Niger représente un intérêt stratégique particulier pour la France, notamment en raison de sa longue frontière avec le Sahara que Paris pense toujours pouvoir séparer de l’Algérie lors des négociations avec le FLN.
Jacques Foccart et ses réseaux entrent en action. Une intense campagne est menée par le gouvernement français, usant de pressions et de la corruption pour que le oui, c’est-à-dire le maintien de liens privilégiés avec la France, l’emporte. Des renforts de troupes aéroportés sont envoyés au Niger. Le gouverneur Colombani, afin d’assurer la victoire du « oui » au référendum dirige les opérations. Il «a vite compris que pour réussir, il fallait nécessairement anéantir le Conseil de gouvernement », dirigé par parti Sawaba et ce même « au risque de violer la légalité”.
Si le Niger ne représentait pas un enjeu stratégique important dans la politique saharienne de la France, avec la Guinée il en était tout autre. Ses ressources minières lui conférait le surnom de scandale géologique de l’Afrique. En effet, elle détient plus de 40 milliards de tonnes de bauxite (2/3 des réserves mondiales estimées). Mais il n’y a pas que ça car, selon le site de l’Agence de Promotion des Investissements Privés apip.gov.gn:
le secteur minier guinéen repose sur une concentration de ressources minérales, reconnue comme l’une des plus importantes au monde : bauxite (+ 40 milliards de tonnes de bauxite à 40% Al2O3), de minerais de fer (+10 milliards de tonnes de haute qualité), d’or (plusieurs milliers de tonnes), de diamant (généralement de qualité joaillerie) ainsi que des indices importants d’uranium, de graphite, de cuivre et de pétrole.
En plus des minerais, le pays a également un potentiel agricole déjà connu avant l’indépendance. Le site visionguinee.info rappelle:
Avec une pluviométrie de 400 milliards de m3 d’eau par an, un potentiel en terres arables évalué à 6,2 millions ha, un domaine irrigable de 364 000 ha, un ensoleillement favorable à la production de dizaines de spéculations en saison et en contre-saison, 300 km de côtes sur l’Océan Atlantique, des ressources halieutiques inestimables, et des conditions climatiques propices à la production et la reproduction de plusieurs espèces et races animales, la Guinée se positionne pour devenir le grenier de l’Afrique de l’Ouest.
Depuis les années 1930, le pays était, suivant l’année alternativement à la Côte d’Ivoire, le principal exportateur de produits agricoles: riz, banane, café, mangues, ananas et avocats.
La Guinée était donc destinés à être un des fleurons de l’empire colonial français. Il aurait suffit du moindre prétexte pour que le pouvoir provoque le chaos. Mais l’unanimité des leaders politiques ne lui en n’a pas fourni l’occasion. Il y aurait eu des tentatives de corruption, mais sans succès.
C’est donc tout naturellement qu’après l’accession du pays à l’indépendance, tous les leaders politiques acceptèrent de confluer dans le Parti démographique de Guinée pour éviter les divisions sur une base ethnique. Malheureusement, par ce geste patriotique ils signaient la disparition de la démocratie dans le pays, l’instauration du parti unique et leur condamnation à mort.
Sékou Touré avait dit au General de Gaulle venu présenter son projet de Communauté française « Nous préférons la liberté dans la pauvreté, à l’opulence dans l’esclavage ». Malheureusement , le peuple guinéen n’eut ni la liberté ni l’opulence.
Dès la première année de l’indépendance, c’est une véritable chape de plomb qu’il imposa sur le pays le transformant en ce que certains ont qualifié de Goulag tropical.
Sous prétexte de complots fomentés avec l’aide de la France, sans qu’il y ait des investigations crédibles, mais dont certains pourraient avoir été vrais, Sékou Touré installa un régime de terreur avec un culte de sa personnalité comparable à celui de la Corée du nord. Les cellules du Parti démocratique de Guinée, son parti, qui devint Parti-État, furent érigés à tous les échelons et l’Assemblée nationale à ses ordres, en tribunaux révolutionnaires.
La métier d’avocat fut aboli, privant ainsi les accusés de toute possibilité de se défendre. Ils devaient écrire et lire des auto-accusations sous la torture jusqu’à ce qu’ils admettent ce que voulaient leurs geôliers.
Des intellectuels, des chômeurs, des ministres, des sportifs, des entrepreneurs, des handicapés, etc furent arrêtés, torturés, pendaisons à travers le pays, ou souvent tués de soif et de faim. La milice populaire pouvait arrêter une personne dans la rue simplement pour lui demander d’où lui venaient les habits neufs qu’elle portait. Même le commerce de détail ayant été interdit, tout manquait. Pour faire face à la famine, des cartes de « ravitaillement « furent introduites. Elles étaient délivrées par les comités de quartier aux chefs de famille les plus « militantes » (assidus aux réunions). Pourtant, le dictateur avait déclaré que tous les guinéens depuis la naissance jusqu’à la mort étaient membres du parti.
Les cartes de rations alimentaires, donnaient droit, au prorata de la taille de la famille, à une quantité de riz, d’huile, de sucre, de boîtes de tomate, de farine (quelquefois). Mais ça se limitait à Conakry et ses environs. A l’intérieur du pays, la famine était encore plus terrible car c’est seulement dans quelques grandes villes que ces produits étaient distribués. Les prix des produits agricoles étant fixés par le parti, les paysans ont arrêtés de produire des surplus. Pour l’élevage, les cellules du parti fixaient les prix sur la base de l’animal vivant. Le résultat a été que les éleveurs ont arrêtés de prendre soins de leurs animaux.
Le dictateur se mêlait personnellement de tout, des divorces aux autorisations de sortie. Sékou Touré poussa le cynisme jusqu’à écrire ou à téléphoner à des victimes entre une séance de tortures et l’autre, pour leur demander d’aider la révolution, sachant pertinemment qu’elles étaient innocentes.
Parmi les personnalités auxquelles il a infligé cette double torture, il y a l’archevêque de Conakry Mgr. Raymond-Marie Tchidimbo auteur de Noviciat d’un évêque: huit ans et huit mois de captivité sous Sékou Touré, Boubacar Diallo Telli, premier secrétaire exécutif de l’Organisation de l’unité africaine, mort de faim et de soif, etc.
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Au cours du mois d’aout 1976, dans plusieurs discours publics, le tyran Sékou Touré, alla jusqu’à déclarer la guerre aux peuls, la composante ethnique la plus importante du pays, soit 40 pour cent de la population. Extraits:
Ils ne voulaient pas de l’indépendance, ces Peulhs et ils ont humilié notre Peuple avec un vote massif de « OUI ». Au lieu d’en avoir honte, ils veulent encore détruire notre indépendance. Cela ne se fera plus jamais, et s’il faut que toute la Guinée se mette encore debout, couteaux, marteaux et fusils en mains pour les supprimer, les amener au tombeau et les ensevelir, la Guinée assumera ses responsabilités ! C’est la déclaration de guerre !
Ce qui ne correspond pas à la réalité car lors du référendum ce fut 94 pour cent des électeurs qui s’étaient prononcés en faveur du NON qui permit à la Guinée de devenir la première colonie française d’Afrique indépendante. Il interdit de donner des bourses aux étudiants de cette ethnie. Le génocide fut évité grâce aux vieux sages des malinkés, son ethnie, qui dirent que selon les traditions il n’y avait pas d’hostilité entre eux et les peuls. Au contraire qu’il y avait des liens qui unissaient les deux ethnies.
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Le 26 mars 1984, après avoir pourfendu l’impérialisme toute sa vie, il est mort dans une clinique à Cleveland. On estime que 50 000 personnes avaient été victimes de sa violence et qu’un tiers de la population avait fui le pays.
Le 3 avril 1984, à la suite de la prise du pouvoir par l’armée et l’ouverture du Camp Boiro, Mohamed Selhami, un journaliste marocain, rapporte la description des conditions de vie de la population comme présentées par Horoya, organe du parti de Sékou Touré, unique journal du pays. C’est dans le chapitre Le Camp Mamadou Boiro, l’usine de la mort de son livre, Sékou Touré: Ce qu’il fut. Ce qu’il a fait. Ce qu’il faut défaire rapporte:
Pendant plus de deux décennies, le peuple de Guinée, labouré dans sa chair et son âme par des mains sanglantes, a connu le plus grand calvaire de son existence. Dans l’éclipse totale, il a marché en égrenant le chapelet de la faim, de la soif et de l’ignorance. Dépersonnalisé par une politique de chasse à l’homme, une politique d’individus tarés, avides de pouvoir personnel. Le peuple guinéen n’avait jamais goûté à un seul instant de bonheur…
L’économie du pays était un désastre, avec une inflation galopante. La situation était telle qu’un cousin, devenu par la suite ministre m’a invité, ma famille et moi à diner dans un restaurant. C’est un sac qu’ill avait pris pour payer la note. Le garçon a pris le sac sans vérifier si l’argent était le montant de la facture. Les militaires durent procéder à une dévaluation de la monnaie nationale de près de 90 pour cent.
Malheureusement, le Général Lansana Conté, celui que les militaires ont porté au pouvoir n’était autre que l’aide de camp du sanguinaire tyran. Comme le culte de la personnalité de ce dernier était très fort dans le pays, il l’a maintenu et encouragé. il en a maintenu le culte, au point de nommer la présidence «Sékoutouréya», c’es-à-dire «Chez Sékou Touré».
Malgré des succès économiques indéniables, l’atmosphère politique ne s’est jamais totalement assaini. Des victimes innocentes gisent toujours dans des fosses communes non identifiées. Pendant ce temps, la télévision nationale maintenait certaines pratiques du passé. Par exemple, elle célébrait la mort du dirigeant défunt de la Corée du nord, Kim-Il-Sung, même quelques années après le mort de Sékou Touré. D’ailleurs, une dépêche de l’Agence guinéenne de presse signale que cette année également, le 105e anniversaire de la naissance de ce dictateur caricaturale a été célébré par l’ambassade avec une intervention à la télévision nationale guinéenne.
Lansana Conté est resté à la tête du pays pendant 24 ans utilisant tous les moyens massacres, tripatouillage de la constitution, bourrage des urnes, trafics d’êtres humains et de drogues, etc. A sa mort, en 2008, il avait accumulé un pactole non négligeable dont le site guineepresse.info fait l’inventaire, avec cette introduction:
Un milliard sept cent millions de dollars ($ 1.700.000.000 US) est le montant total des comptes d’investissement, des dépôts à terme, des fonds de placement, des comptes courants et de la valeur des biens immobiliers de Lansana Conté et de sa famille.
Lansana Conté et les membres de sa famille (épouses notamment) détiennent divers comptes bancaires au Maroc, en Suisse, au Canada, en Malaisie, en Italie, en Inde, en Chine, à Dubaï, en Gambie, en France, au Luxembourg et à New York.
Ces comptes bancaires ont été alimentés par les recettes de diamant, de l’or, de la bauxite, des recettes douanières et fiscales, des pots-de-vin, des dons et des nombreuses dettes contractées par l’Etat Guinéen.
L’arrivée du Président Alpha Condé, qui se qualifiait d’opposant historique et ancien professeur de droit à l’université française La Sorbonne, après une période de difficultés politiques que la Guinée avait encore du subir, avait soulevé quelques espoirs, étant donné son parcours. Malheureusement, lui aussi, a utilisé la fibre tribale, même après son élection très contestée. La corruption et l’usage indu de la violence continuent à être des outils de gouvernement. Dans son gouvernement, il y a des individus qui ont été accusés par la justice guinéenne, onusienne de crimes contre l’humanité, dans les mêmes fonctions qu’ils occupaient au moment de leur forfaiture.
En plus de cette impunité affichée, la corruption est répandue à tous les niveaux de l’administration Le rapport de Transparency International pour 2019 classe la Guinée au 130è rang sur les 180 pays et territoires étudiés.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les guinéens continuent à fuir le pays.