La nouvelle est tombée hier. Elle devait arriver un jour d’autant plus que les dures épreuves de la vie carcérale doivent avoir laissé des stigmates profondes dans son âme et sur son physique de géant.
Il est décédé le 26 mars à St Didier dans le Midi de la France. La nouvelle m’a profondément bouleversé, non seulement parce que c’est une grande personnalité que j’ai eu l’honneur de rencontrer à sa sortie de prison, mais aussi c’est un grand témoin de l’histoire qui disparait.
Il aimait son peuple et il lui a fait des déclarations d’amour et partagé ses souffrances pendant toute sa vie. Dès les premières pages de son livre que l’on peut lire gratuitement sur le site du Mémorial Camp Boiro, « Noviciat d’un évêque :huit ans et huit mois de captivité sous Sékou Touré », il écrit:
Je suis né dans ce pays réellement gâté par Dieu : l’une des terres parmi les mieux équilibrées de l’Afrique, avec ses quatre régions, si distinctes les unes des autres et si harmonieusement étalées qu’elles vous séduisent et vous envoûtent pour toujours !
La mer, la montagne, la savane, la forêt : tout cela existe en Guinée et vous empêche de sombrer dans l’ennui ; le Guinéen est rarement triste, et l’humour est son charisme. C’est du reste ce charisme qui lui aura permis de survivre à vingt-six années de dictature sanglante. »
La nature semble souvent se jouer du sort des hommes. Ainsi, Mgr Tchidimbo est décédé, ce 26 mars, le même jour que le tyran qui l’a arrêté, détenu, humilié et torturé, 37 ans plus tard. C’est un autre grand témoins de notre douloureuse histoire qui s’en va. Dorénavant, ni nous ni aucune commission d’enquête ne pourrons plus lui poser aucune question, mais on peut lire son livre (que l’on peut lire gratuitement sur le site du Mémorial virtuel campboiro.org) sur son expérience dans les geôles du tyran. Par sa brillante analyse de la personnalité d’AST, ce livre nous aide à mieux comprendre.
Il y écrit:
« Il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir à l’encourager (AST), dans les années 1953-1958, sur la route souvent ardue du syndicalisme en terre coloniale ; ce qui m’avait valu, à l’époque, d’être fiché à la police comme « trouble-fête ». Heureusement que j’étais citoyen français et ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale; et cela comptait en régime colonial. Sans cela j’aurais eu droit ou à l’emprisonnement , ou à l’exil dans une autre colonie française. »
Mais son ami n’aimait pas les gens qui lui ont été utiles ou qui avaient accompli les études que lui n’avait pas pu faire. En effet le prélat ajoute:
N’ayant pas réussi à effectuer des études primaires et secondaires régulières dans le système scolaire colonial, il avait conçu, gardé et cultivé, une progressive rancoeur contre ce qu’il appelait avec beaucoup de verve « le colonialisme » ; et sa haine épidermique du « Blanc » l’avait conduit à réagir sur un fond d’agressivité. Malheureusement pour lui et pour son peuple, cet « univers du Blanc », Sékou Touré ne l’aura connu que pour le combattre, le briser, l’expulser, au profit de son système à lui.
Entre parenthèses, c’est ce qui explique pourquoi plusieurs Guinéens mariés à des Françaises, et d’autres, pour avoir simplement effectué leurs études en France, furent emprisonnés, et la plupart exécutés, au cours de sa triste et longue dictature.Qui mieux qu’un religieux chrétien pouvait représenter ce monde du Blanc tant détesté qui avait de l’autorité et osait reconnaitre une autre autorité que lui, dans le pays? C’est peut-être là qu’il faut voir les raisons pour lesquelles il lui a infligé son martyr.
Maintenant, ils sont dans le royaume de Dieu où pour les croyants chacun récolte ce qu’il a semé. Qu’il fasse que l’homme de paix repose en paix et que l’autre… (on ne doit pas parler mal des morts).