Dans la littérature que les anciens prisonniers du Camp Boiro nous ont léguée, il est rarement fait mention des femmes qui ont subi les affres de l’emprisonnement, des tortures, de l’humiliation, etc auxquels le régime de Sékou Touré les a soumises.
C’est Amadou Diallo, dans son livre La mort de Teli Diallo, dans le chapitre La vie quotidienne à Boiro, qui parle du sort de ces femmes. L’occasion de la fêté de la femmes du 8 mars, je vous propose ce passage, avec un lien qui porte sur une liste plus complète, mais pas exhaustive des femmes qui ont été arrêtées par le PDG de 1958 à 1984, élaborée par l’Association des victimes du Camp Boiro. L’AVCB en a retrouvé 105.
Les femmes, car le camp Boiro comptait lorsque je m’y trouvais une cinquantaine de prisonnières, étaient parquées au poste X, grand bâtiment surveillé par la Garde Républicaine. La discipline y était moins rigoureuse que dans l’ensemble des bâtiments du bloc réservé aux hommes et la nouriture était, toutes proportions gardées, meilleure.
Qui étaient ces femmes ? D’anciennes responsables politiques, des agents de la sécurité, des gendarmes, des policières, des épouses dont le mari avait été arrêté, des femmes… impliquées dans un complot. Leur bâtiment étant séparé du nôtre par les logements de la Garde Républicaine, il nous était quasiment impossible de communiquer avec elles. Pourtant nous savions qu’elles existaient. Car en prison, quelle que soit la rigueur de la discipline, les nouvelles transpirent. Et puis il y avait le cas de Fatou Touré et de Djedoua Diabaté. Fatou Touré, ancienne responsable du Comité National des femmes, avait été arrêtée en 1971. Surprise alors qu’elle correspondait avec son mari et sa famille restés à l’extérieur, Madame Touré avait été amenée au bloc par mesure de rétorsion et mise dans la cellule 66 du deuxième bâtiment « La Morgue-Afrique du Sud ». Elle avait rejoint Djedoua Diabaté, responsable du Comité Régional des femmes de Kankan, que les autorités pénitentiaires avaient enfermée dans la cellule 65, prenant pour prétexte la vindicte dont la poursuivait Tiguidanké Soumah, ancien gourverneur de Fria qu’elle avait dénoncée dans sa déposition. Les portes de la 65 et de la 66 restant ouvertes, j’eus parfois l’occasion d’échanger quelques mots avec ces deux femmes, surtout avec Djedoua Diabate, femme spontanée et communicative. Cela se passait lorsque j’allais au jardin vider mon pot de cellule.
Je le répète ici : ni Diallo Telli, ni le Dr Alpha Oumar Barry, ni Alioune Drame, ses amis arrêtés avec lui, n’avaient le droit de sortir de leur cellule, ne fut-ce que pour aller jeter leurs excréments.
Parfois notre bloc recevait aussi la visite de Mariam Kassé, compagne de l’Allemand Marx, arrêtée en même temps que lui en 1971. Elle venait faire examiner son enfant à l’infirmerie du bloc ou rendre visite aux deux isolées de l’Afrique du Sud. Marie Lorofi, femme de l’écrivain Camara Laye, recevait aussi des soins à l’infirmerie.
Je dois témoigner que, d’une manière générale, ces femmes, comme toutes les détenues du camp Boiro, se sont montrées braves. Quelle qu’ait été la sévérité de leur peine ou ce qu’elles imaginaient que serait leur peine, elles gardaient intact l’espoir de sortir un jour. Elles se disaient que c’était une question de temps. Qu’il fallait endurer et résister à la tentation du désespoir.
Une seule femme a été officiellement condamnée à la peine capitale et exécutée publiquement: Loffo Camara, ministre des Affaires sociales, membre du Bureau Politique National. Loffo Camara a été fusillée en 1971. Les femmes le savaient. Mais le caractère exceptionnel de l’exécution les rassurait en quelque sorte.
Une seule femme a été officiellement condamnée à la peine capitale et exécutée publiquement: Loffo Camara, ministre des Affaires sociales, membre du Bureau Politique National. Loffo Camara a été fusillée en 1971. Les femmes le savaient. Mais le caractère exceptionnel de l’exécution les rassurait en quelque sorte.
Après l’aveu elles bénéficiaient d’une discipline moins draconienne que les hommes, elles n’en étaient pas moins passées par la cabine technique comme les hommes. On les avait rasées, sans doute pour les humilier, puis comme aux hommes on leur avait appliqué l’électricité. Allongées sur une natte, jambes écartées, des électrodes avaient pincé leurs oreilles, leur nez, leur bouche, leurs doigts, avaient été introduits dans leur vagin et le courant les avait traversées. De ces séances, elles étaient sorties en sang.
Toutes considéraient qu’elles se trouvaient injustement en prison. Si au début elles avaient cru qu’on s’était trompé sur leur compte, elles avaient vite compris, surtout les anciennes responsables politiques, qu’après avoir joué un certain rôle, elles avaient été rejetées. L’une d’entre elles m’a dit : « Cocottes au bon plaisir des ministres et surtout du Président, maintenant qu’il n’a plus besoin de nous et qu’il est entouré de nouvelles recrues, il nous a oubliées au fond de Boiro. Il nous faudra faire longtemps ici. »
La plupart de ces femmes ont été libérées au cours des années 77-78, à l’occasion de la visite de Valéry Giscard d’Estaing.
Conscientes de n’avoir pas joué pleinement leur rôle d’épouse, car elles avaient consacré plus de temps au Parti qu’au mari, elles s’inquiétaient de l’éducation de leurs enfants et survivaient tenues par l’espoir de les retrouver, mais n’attendaient plus grand-chose du mari.