Au moment de leur accession à l’indépendance, la Guinée et la Cote d’Ivoire avait à peu près le même volume de population, environ 3 millions d’habitants. Mais les mauvais choix politiques de Sékou Touré ont fait de son pays un endroit d’où tous les citoyens qui pouvaient s’exiler ont opté pour cette solution, alors que la Côte d’Ivoire devenait un pays d’immigration.
Le résultat est que 60 ans après l’indépendance, la population de la Guinée était d’environ 12 millions et celle de la Côte d’Ivoire était supérieures à 26 millions.
Dans billet, Alpha Sidoux Barry, ancien Président de l’Association des Elèves et Étudiants Guinéens en Côte d’Ivoire (AEEGCI), décrit comment les Guinéens qui le pouvaient ont fui leur pays et il analyse l’attrait que la politique ivoirienne a eu sur les étudiants guinéens.
Au 26 mars 1984, date du décès de Sékou Touré, maître absolu de la Guinée, celle-ci n’avait cessé de se vider, vingt-six ans durant, de sa substance humaine.
L’exode des Guinéens vers les pays voisins et au-delà a commencé dès l’accession du pays à l’indépendance car très vite les promesses politiques et économiques de 1958 sont restées lettre morte et, pis encore, ont laissé la place au règne du verbe creux, de la pénurie des biens de première nécessité et du « complot permanent » comme méthode de gouvernement.
Lancée dès mars 1960, la litanie des «complots» n’a pris fin qu’avec la disparition du dictateur. Tout au long de son règne, on en a dénombré une quinzaine, soit la fréquence d’un tous les deux ans. La violence de la répression corrélative à la chasse aux sorcières a poussé à l’exil tous les ans des milliers de Guinéens, hommes et femmes, de tous âges et originaires de toutes les régions.
Vaste croissant bordé à l’ouest par la façade Atlantique, la Guinée, étant entourée de six pays, présente une multiplicité de frontières qui ont facilité le départ des nationaux excédés par la pénurie et les exactions du régime tyrannique.
Malgré les vicissitudes politiques qui ont marqué le début des indépendances africaines, les pays voisins apparaissaient comme des havres de paix par rapport aux traumatismes que vivaient les Guinéens.
Les ressortissants de la Basse Guinée s’orientaient tout naturellement vers le sud en direction de la Sierra Leone, ceux de la Moyenne Guinée vers le nord au Sénégal, tandis qu’à l’est, ceux de la Haute Guinée se dirigeaient vers le Mali et la Côte d’Ivoire, et au sud-est ceux de la Guinée Forestière vers la Côte d’Ivoire et le Liberia.
L’instauration du régime autocratique dès l’accession à l’indépendance a suscité des départs de plus en plus nombreux non seulement vers les pays voisins mais aussi vers des destinations plus lointaines pour ceux qui en avaient l’opportunité, notamment la France, le reste de l’Europe, les Etats-Unis et le Canada. La fuite devant la misère et l’insécurité quotidienne a pris les proportions d’un véritable
exode dans les années soixante-dix, surtout après les événements du 22 novembre 1970.
A titre d’exemple, on dénombrait en France en 1984 plus de 10 000 Guinéens dont 1 500 porteurs du titre officiel de réfugié politique au regard de la Convention de Genève de 1951.
Il fallait coûte que coûte sauver sa vie, quitte à la risquer face à la vigilance meurtrière de la milice d’Etat et de la police des frontières. Des milliers de Guinéens ont gagné l’étranger par monts et vallées, à travers les chemins de traverse, la brousse et la forêt, à pied ou par tout autre moyen. Mais aucun des pays d’accueil n’est en mesure d’évaluer avec exactitude l’importance numérique de cette émigration.
Selon des estimations concordantes, plus de 2 millions de Guinéens ont fui le pays pour échapper aux rigueurs du régime despotique du parti-Etat instauré par la volonté d’un homme qui a régné sans partage sur le pays. Soit une saignée démographique de l’ordre d’un tiers de la population totale réduite à seulement quelque 5,5 millions d’habitants en 1984. Un grand nombre d’entre eux vivront dans les pays d’accueil sous une identité d’emprunt ou en prendront la nationalité.
Parmi les premiers candidats à l’exil, on a dénombré de proches compagnons de Sékou Touré qui avaient décelé très tôt chez lui les tendances dictatoriales. Ont suivi des Guinéens de condition modeste (étudiants, petits fonctionnaires, ouvriers et chômeurs) confrontés aux arrestations arbitraires, à la rigueur du rationnement et à la pénurie sur les marchés. Puis le cycle infernal du «complot permanent» allait nourrir le flot des migrants au fur et à mesure que les camps de
détention se remplissaient.
Les courants migratoires qui s’orientaient traditionnellement vers le Sénégal se sont brutalement renversés à partir de 1970 prenant la direction de la Côte d’Ivoire qui connaissait alors une forte expansion économique.
Le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny n’a jamais oublié qu’il avait favorisé l’ascension de Sékou Touré en Guinée durant la période de lutte anticoloniale dans les années 1950. C’est avec beaucoup d’amertume qu’il a vu par la suite l’expérience guinéenne tourner au désastre.
Il a alors tout mis en œuvre pour ouvrir largement les portes de la Côte d’Ivoire à l’émigration guinéenne. Il a permis que l’opposition politique s’y implante quand bien même celle-ci était étroitement surveillée et ne pouvait aller trop loin dans ses velléités de renversement du régime de Conakry.
D’anciens étudiants guinéens sont ainsi arrivés massivement dans le pays d’Houphouët et ont servi comme enseignants dans les lycées et collèges ivoiriens.
L’Université d’Abidjan a accueilli tous ceux qui voulaient poursuivre leurs études dès 1965. Sachant que les autorités guinéennes refusaient de délivrer les diplômes, on pouvait s’y inscrire à partir de la liste officielle des bacheliers publiée par le quotidien national guinéen Horoya.
En 1970, 75 étudiants guinéens étaient inscrits dans les différentes facultés de l’université nationale ivoirienne. Mais à partir de cette année-là, l’arrivée massive de jeunes réfugiés a obligé les autorités académiques à instaurer l’examen spécial d’entrée à l’université, c’est-à-dire l’équivalent du baccalauréat, pour éviter les fraudes.
Malgré cet obstacle, le nombre d’étudiants guinéens à l’Université d’Abidjan a doublé tous les 5 ans, passant au nombre de 120 en 1975, année où l’on a dénombré 5 000 élèves dans les écoles ivoiriennes.
Tout étudiant guinéen inscrit à l’Université d’Abidjan avait droit à une bourse de 35 000 F CFA, au même titre que les nationaux ivoiriens.
Mais, pour éviter les réactions de xénophobie, l’aide du président Houphouët-Boigny ne transitait pas par le ministère de l’Education nationale. Soit 50 millions de F CFA en 1975.
Cette aide s’est poursuivie au moins jusqu’à la mort de Sékou Touré, ce qui représente un montant considérable qui provenait directement de la cassette personnelle du président Houphouët-Boigny. Que sa mémoire en soit vivement honorée !
Tous les 3 mois, Mme Plazanet, la secrétaire particulière du président Houphouët- Boigny invitait le Bureau exécutif de l’Association des Elèves et Etudiants Guinéens en Côte d’Ivoire (AEEGCI) à se présenter auprès des services du président Auguste Denise, ministre d’Etat (le seul membre du Gouvernement qui portait à l’époque ce titre sans portefeuille) et alter ego du président ivoirien, pour recevoir la dotation trimestrielle destinée aux étudiants guinéens régulièrement
inscrits.
De ce montant étaient déduites la somme destinée à couvrir les frais d’inscription annuels à l’université (soit 7 000 F CFA par élève admis à l’examen spécial d’entrée à l’université) et celle devant financer le bal annuel de l’AEEGCI clôturant chaque année universitaire et très couru par l’ensemble des étudiants étrangers de toute nationalité (et ils étaient nombreux).
Tous ceux qui ont bénéficié de la manne du président Houphouët-Boigny continueront de leur vivant de prier pour le repos éternel de ce grand homme dont le souvenir vivra toujours.
Témoignage de Mme Maimouna Bah Maréga à regarder en cliquant ici
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L’auteur de billet est Alpha Sidoux Barry, ancien président de l’Association des Elèves et Etudiants Guinéens en Côte d’Ivoire (AEEGCI)