Cette interview a été recueillie par Christophe Champin pour RFI, à l’occasion de la sortie de son livre En quête de l’identité africaine. Il m’a paru utile de la reprendre parce que le Prof. Manthia Diawara qui est d’origine malienne, mais a passé son enfance dans notre pays. Il raconte l’espoir que l’indépendance guinéenne avait suscité en chaque jeune africain avant les dérives dictatoriales, les tortures et les massacres de Sékou Touré. Sa famille a eu la chance de ne pas finir au Camp Boiro comme tant d’autres guinéens et étrangers. Elle fut expulsée vers son pays vers son pays d’origine, le Mali.
Comme l’interview est trop longue, je l’ai scindée en deux parties. Je vous livre la première partie ci-dessous. Elle traite de son expérience en Guinée et les conditions dans lesquelles vivaient les jeunes au lendemain de l’indépendance.
Manthia Diawara est professeur de littérature comparée et de cinéma, directeur du département des études africaines de l’université de New York et documentariste. Malien d’origine, il a passé son enfance en Guinée où il a vécu les premières années de l’indépendance du pays.
Première partie
RFI : Vous êtes d’origine malienne, mais c’est l’indépendance de la Guinée que vous avez vécu de près, puisqu’en 1958, vous étiez en Guinée. Quels souvenirs gardez-vous de cette journée ?
Manthia Diawara : Je suis d’origine malienne. Mon village familial s’appelle Korera Kore et j’étais en Guinée en 1958, quand la Guinée a pris son indépendance. Quels souvenirs j’ai de cette indépendance ? J’étais tout jeune. Je me souviens, on était allé à l’aéroport de Kankan qui était la deuxième ville de la Guinée et on avait peint tous les troncs des arbres de la ville jusqu’à l’aéroport et on s’était aligné. Et nous on pensait que
Sékou Touré allait venir à Kankan pour la célébration de l’indépendance, mais c’était en fait une manière de mobiliser tout le pays. Donc, on est tous allé, on a défilé. On avait nos tenues, nos uniformes… Je me souviens des troncs d’arbres qui étaient tout blanc et des gens qui chantaient, qui dansaient. Et puis tout d’un coup, un avion est passé. On a dit : «
Nous sommes indépendants », mais on n’a pas vu Sékou Touré, c’est l’image qui est restée dans ma tête.
RFI : Vous aviez quel âge ?
M.D. : En 58 ? Six ans, sept ans.
RFI : Vous étiez évidemment trop jeune pour vous rendre compte de ce que cela signifiait….
M.D. : Oui, bien sûr. Mais la Guinée c’est peut-être l’un des pays les plus culturels de l’Afrique de l’Ouest. C’est le berceau de l’empire mandingue. Et nous avons appris beaucoup de chansons. On a transformé des chansons traditionnelles de
Soundiata [Keita], des
Samory [Touré] en chansons révolutionnaires. Je me souviens toujours de ces chansons. Je les chante de temps en temps, inconsciemment, par cœur…Il fallait ajouter les noms de
Lumumba, les noms de
Kwame Nkrumah,
Sékou Touré,
Modibo Keita. Dans les chansons traditionnelles que l’on chantait donc, il fallait tout transformer en chansons révolutionnaires.
RFI : Vous avez un souvenir d’une de ces chansons ?
M.D.: Oh des chansons comme Miniyamba. Miniyamba c’est une chanson dédiée au grand serpent. Il y avait des chansons peules, des chansons malinkés, des chansons dans toutes les langues en ce moment. Et on voit toute l’influence de la révolution culturelle de la Guinée, et au Mali, et au Sénégal. Aujourd’hui, si l’on voit
Cheikh Lô ou
Baaba Maal même
Youssou N’Dour chanter dans les langues africaines, c’est grâce à la révolution culturelle de la Guinée.
RFI : Mais en même temps, votre famille a été forcée par ce régime à quitter la Guinée d’une manière contrainte…
M.D.: Sékou Touré s’est renfermé de plus en plus parce qu’il avait peur des coups d’État, parce qu’il devenait dictateur, comme dit Harry Belafonte dans mon film Conakry Kas. Ils ont mis d’abord les Blancs à la porte parce qu’il y avait quand même un contentieux très sérieux entre la Guinée et la France. Ensuite, ce fut le tour des Libanais, des Syriens. Et comme Sékou Touré devenait paranoïaque par rapport à Senghor, par rapport à Houphouët-Boigny, il a mis aussi les Africains à la porte. Moi, mon père et tous les Sarakolé commerçants ont été considérés comme des impérialistes. Je me souviens, j’étais tout jeune vers 1962-63.
RFI : C’est un souvenir douloureux, ce départ de la Guinée Conakry ?
M.D. : Oui, c’est très très douloureux. Je m’en souviens encore parce que j’avais appris à être un homme moderne en Guinée. Avant, je me considérais comme un Sarakolé, un Soninké, venant de
Kingi Diawara. Mais c’est en Guinée que j’ai commencé à me considérer comme africain, comme citoyen d’un État nation, le Mali qui était frère avec l’autre pays qui est la Guinée. J’avais aussi des amis. J’ai été à l’école pour la première fois. Dans ma famille, je suis l’une des rares personnes à avoir été à l’école. Donc, vous voyez bien que la Guinée m’a tout donné et mon meilleur ami, mes meilleurs amis sont ces amis d’enfance de la Guinée, que je connais toujours. Tout d’un coup, on me dit que je dois quitter la Guinée. Mes amis n’avaient même pas le courage de me dire au revoir parce qu’ils avaient peur d’être impliqués et d’attirer des ennuis à leurs familles. Je me souviens, j’étais tout jeune, vers 1962/63, on a pris le bateau jusqu’à Bamako. C’était au mois de janvier ou de février. Le fleuve Niger commençait à tarir et le voyage a dû nous prendre 3 semaines.