D’aucuns imputent ces faits à son demi-frère Ismaël Touré. Un argument farfelu qui a poussé plus d’un rescapé à témoigner de cette page sombre de l’histoire.
Un faux débat !
Keita Fodéba ne pouvait pas créer le camp Boiro de sa propre initiative. Il ne pouvait agir que sur les instructions de Sékou. Certains disent par légèreté que Sékou n’était pas au courant. Mais, c’est lui même qui « gérait les prisonniers un à un. Il connaissait l’état de santé de chacun, ce qui se passait dans les cellules la nuit lui était rapporté le matin », a souligné monsieur Abass Bah, rescapé qui a vécu sept longues années sous les verrous du dictateur.
On retrouvait des personnes qui étaient avec Sékou en prison, y compris des membres du gouvernement. Il y en a qui ont été des privilégiés.
« D’ailleurs moi, j’étais dans une cellule avec Marx Adolf, l’allemand. Il y avait une fenêtre, c’était le paradis. Un jour, on est venu nous vider la nuit pour y mettre Portos qui était membre du gouvernement », se souvient monsieur Abass.
On pouvait aussi retrouver Kassory Bangoura, Diop Alassane qui étaient entre autres ses proches et membres du gouvernement. « Ces gens-là, on leur a donné des lits et on les a mis dans la cellule où moi j’étais pour me mettre dans une autre cellule sans fenêtre et rien du tout » poursuit M. Bah.
Sékou Touré était souvent au camp Boiro pour prendre les nouvelles des prisonniers. Et les détenus lui écrivaient aussi. Comme témoigne Abdoulaye Portos Diallo, ancien ministre détenu, lors d’une conversation téléphonique qu’il a eue avec son ex proche, devenu son bourreau :
»Après mon interrogatoire, j’ai eu un coup de fil qui me dit exactement :
– Portos, c’est toi ? Je dis oui président, c’est moi. – Et dès lors, comment tu vas ? Je vais très bien. Pourtant, j’avais fait 15 jours de diète et d’interrogatoire. On ne m’a donné à boire que le cinquième jour. Il dit : « ne t’en fais pas, je te sortirai de ce mauvais pas’’.
Le prisonnier le plus célèbre de cet gouffre infernal de camp Boiro était Diallo Telli, à l’époque ministre de la justice. Il est arrêté et enfermé en juillet 1976, après des heures qui ont suivi un dîner avec son tyran Sékou Touré. Quelque temps après, il va connaître comme tant d’autres, la pire des sanctions de la diète noire.
Un jour, se rappelle M. Abass « j’avais la tête dans la marmite quand le gars est arrivé. Il dit, monsieur Abbas Bah. J’ai dit, ah mes frères, je vais être libéré aujourd’hui. Depuis que je suis là, on m’appelle par un numéro. Aujourd’hui, il dit mon nom, c’est sûr que je ne vais pas dormir en prison ».
Il dit : ramasse tes effets. J’étais venu avec un complet. Aujourd’hui c’est le carton d’un ancien détenu mort que j’ai mis. Plus de vêtements (…) on est venu m’embarquer dans une Jeep. On m’a amené au bureau de Siaka (frère de Sékou NDLR). Dès qu’il m’a vu, il a dit : mais Bah, comment vas-tu ?
Il ferme son bureau, il ouvre sa voiture et m’embarque. Et puis il me ramène jusqu’à chez mon grand frère qui avait été un des enseignants qui avait fait six ans et qui avait inauguré Boiro. Il dit : je te rends ton frère. Il n’y a eu aucune autre forme de procès. Sept ans pour rien.
Des arrestations et disparitions
Amadou Tounkara, responsable de l’information et de la communication de l’association des victimes du camp Boiro (AVCB), qui lui, est fils de victime du régime. Il se souvient encore : On nous appelle les enfants des victimes du camp Boiro. Parce que nos parents ont été arrêtés ou ont disparu, assassinés dans le silence.
Une personne était arrêtée aujourd’hui, deux mois après, il disparaissait. Après une dizaine d’années, sa famille n’était pas au courant qu’elle avait disparu, qu’elle avait été assassinée. Les familles ont été dispersées parce que leurs parents qui étaient les leviers ne le sont plus. Désormais, sur qui il fallait compter ?
Or ces gens-là étaient rentrés au pays après de brillantes carrières à l’étranger pour servir dignement leur nation, la Guinée. A la place de ce service, ils se sont fait servir par un régime sans foi ni loi.