Outils de résistance – la rhétorique ou la loi

Guinée : Alpha Condé veut-il un troisième mandat ?

Dans cet article Bassirou Bah nous dévoile les raisons pour lesquelles il est déçu du Front national pour la défense de la démocratie (FNDC). A son avis le FNDC devrait saisir le judiciaire en urgence introduit par Maître Dramé Alpha Yaya à la cour de la CEDEAO contre le coup d’état constitutionnel, 

Il est bien dommage que les ténors du FNDC ne fassent mention que de façon lapidaire du recours judiciaire en urgence à la cour de la CEDEAO contre le coup d’état constitutionnel, qui a été introduit par Maître Dramé Alpha Yaya. Ils l’ont pourtant tous signé.

Comme il s’agit d’un recours formé dans le cadre de la procédure d’urgence, il peut être utilisé à bon escient, pour exiger de surseoir aux consultations électorales et inviter la Commission de la CEDEAO à veiller à l’application de la législation Communautaire.

Alpha Condé a montré son mépris des guinéens. Il n’a cure de ce qu’ils pensent ou veulent. Par contre, à l’extérieur où il passe le clair de son temps, il a besoin de se donner un semblant de légalité.  Le recours en urgence peut justement servir à lui denier cette couverture et cet alibi. Mes connaissances en droit sont sommaires. Que les hommes de loi ne prennent donc offense ; paraphrasant un dicton bien connu sur la liberté de la presse, je veux affirmer ici que « le droit ne s’use que si l’on ne s’en sert pas ». Si donc sont mises en œuvre toutes les ramifications légales du recours en urgence, il est possible de dérailler le chariot rafistolé et caracolant de Alpha Condé et le plonger dans les ravins de l’histoire.   

D’un, le recours en urgence peut donner une couverture aux acteurs internationaux qui sont favorable au respect de l’État de droit tant espéré par les guinéens. La clique au pouvoir ne pourrait les accuser de se mêler des affaires intérieures de la Guinée et – comme va le slogan– d’empiéter sur notre « souveraineté nationale », qui comme on le sait, n’est jamais aussi chatouilleuse que quand on veut empêcher des massacres de guinéens.  

Ensuite, le recours en urgence avec une traduction en anglais a été bien accueilli par maintes organisations des droits de l’homme et des gouvernements occidentaux. Les militants guinéens ne doivent donc pas ignorer son potentiel. Au contraire, ils se doivent d’attirer l’attention des organisations multilatérales sur son existence et explorer toutes les possibilités qu’ouvre son utilisation. 

Après tout, il a suffi d’un simple refus de l’Union Africaine et de la CEDEAO pour que Alpha plie et fasse un report. Il ne faut pas s’arrêter à mi-chemin. Avec ce moyen légal, il est possible de faire du lobbying plus efficace pour obliger Alpha à d’autres reports.  De reports en reports, la vieille guenon va se ruiner. 

Alpha veut à tout prix donner à son coup d’état des apparats de légalité, arrosée de panafricanisme délavé. C’est à ce jeu qu’il faut l’attaquer et le battre. Dans ce jeu il s’est fait déjà fait prendre la main dans le sac, avec un plan d’infiltration d’un affidé dans l’équipe d’audit du fichier électoral. Du fait des dénonciations du journaliste guinéen –Mohamed Mara – et de la campagne par d’autres observateurs, Noureddine Tall qu’Alpha avait planté dans le groupe de travail a été récusé. 

            En fait, à part du cynisme, Alpha est très peu outillé pour la vie politique. Seul la tabula-rasa d’un Sékou Touré permet à des individus de son acabit d’oser prétendre à la direction d’une nation.  Alpha ne sait que pérorer sur son mantra de soixante-huitard mal vieilli des campus de Paris et – chose vraiment désolante à plus de 80 ans – d’avoir été à la tête d’une organisation d’étudiants africains – la FEANF. Voilà ce qu’il prend pour le tabernacle du panafricanisme.  Dans ce jeu aussi, il faut acculer Alpha. Être panafricaniste n’est pas sa rhétorique stérile. C’est, avant tout, obéir aux lois que les organisations africaines ont créées.  Le but de ces lois c’est de canaliser les pulsions dévastatrices de potentats du genre Alpha Condé.  

Ainsi, pour être effective, la résistance citoyenne ne doit pas se cantonner à son tour à de la rhétorique pure, des lamentations et des soupirs, pour inévitables qu’ils soient dans le gâchis qu’est la Guinée.  La résistance doit s’appuyer sur une démarche rigoureuse armée des bâtons des lois. Le recours judiciaire en urgence est un de ces bâtons.

Il arme les guinéens : ils peuvent par exemple affirmer haut et fort que tant que la cour ne se sera prononcée, il est superfétatoire d’engager la CEDEAO à un quelconque audit.  Le recours permet d’exiger de la CEDEAO de surseoir à toutes ses actions ; de la rappeler à l’ordre sur la fumisterie qui veut faire croire qu’en deux semaines on pourrait auditer une liste électorale de plusieurs millions.  Les guinéens peuvent exiger qu’un tel audit ne soit pas fait en catimini. Il requiert l’implication de tous les acteurs qui ont financé des recensements en Guinée. Des critères de choix des intervenants doivent être mis en place et publiés. La participation d’autres organisations multilatérales comme l’Union Africaine, l’Union Européenne et l’ONU doit être demandée.  De telles exigences, de bon sens, demandent du temps que le chenapan de Conakry cherche à battre dans sa course folle contre la montre de l’histoire.  

Autres potentiels supplémentaires du recours en urgence. Il cite et interpelle les 14 autres chefs d’état de la CEDEAO. S’ils sont soucieux de la loi comme ils le proclament tous, ils doivent envoyer leurs avocats devant la cour pour faire connaitre et défendre publiquement leur position sur le coup d’état constitutionnel de leur compère Alpha. Oui, soutenir ou se désolidariser. Et en public. Bien entendu, ils feront les sourds si les guinéens ne les réveillent pas et ne les obligent à donner leur position. Les manifestations et les pétitions futures doivent aller dans ce sens. Devant les ambassades et aux représentants des pays de la CEDEAO, pour exiger à leurs présidents de sortir du silence diplomatique ; d’envoyer leurs agents judiciaires à la cour de la CEDEAO et montrer s’ils sont pour le droit ; ou s’ils sont en train cyniquement d’observer, Alpha Condé comme un cobaye, et déterminer si jouer avec le feu du troisième mandat en vaut la chandelle. Tout refus de se prononcer devra être compris comme une alerte sur leur état d’esprit. À supposer qu’ils osent se prononcer, une majorité simple permettra de déclarer illégal tout gouvernement futur d’Alpha Condé avec les sanctions automatiques qui vont avec. Tous les ténors du coup d’état devront être traités comme le furent les comparses de Daddis, avec des sanctions ciblées. Je déferre aux hommes de droit pour conseiller comment tirer toutes les ficelles qu’offre le recours judiciaire et le spectre des conséquences fâcheuses à agiter aux yeux des présidents des États membres de la CEDEAO. 

Alpha Condé et ses acolytes se croient bien préparés. Ils escomptent une fatigue dans l’affrontement frontal contre les guinéens, avec leurs mitrailleuses, des gaz lacrymogènes et des assassinats ethniques. Il faut leur montrer que les guinéens savent utiliser d’autres moyens que les manifs avec selfies. Avec une guérilla faite d’assauts légaux multiples et variés, leur vicieuse stratégie va échouer. Une telle guérilla a des acquis plus profonds et plus diffus. Les guinéens auront créé des précédents pour l’ancrage du droit dans la vie politique. De leur sang, ils auront secrété le sérum pour la cure contre le poison de l’ethnocentrisme et de la concussion. Rêve ? Oui. Mais rêve utile, comme le sont tous les combats militants.

Ourouro Bah – 4 Mars 2020

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