Récits de torture et autres violations des droits humains dans la prison de Maekelawi, le camp Boiro éthiopien

Tous les membres de Zone9 à Addis-Abeba, 2012. De gauche à droite: Natnael, Abel, Befeqadu, Mahlet, Zelalem et Atnaf. Photo avec l’aimable autorisation d’Endalk Chala.

Le 3 janvier 2018, le Premier ministre éthiopien a annoncé la fermeture du centre de détention Maekelawi, qui jouit d’une triste renommée parmi les défenseurs des droits humains. Dans cette prison des milliers de dissidents ou supposés tels, des blogueurs et des journalistes ont été torturés, violés ou tués sans aucune raison valable, comme cela se passait dans le sinistre camp Boiro de Conakryry. Bien que la décision de sa fermeture soit saluée de la part de nombreux citoyens et militants, la prudence est de mise.

À l’annonce de cette décision, Fisseha Tekle, chercheuse sur l’Éthiopie à Amnistie Internationale, a déclaré:

Si la fermeture annoncée du tristement célèbre centre de détention de Maekelawi est une bonne nouvelle, elle ne doit pas servir à camoufler les événements horribles qui s’y sont déroulés. Pendant des années, Maekelawi a surtout fonctionné comme une chambre de torture, dont se servaient les autorités éthiopiennes pour interroger brutalement tous ceux osant porter des opinions dissidentes, y compris les manifestants pacifiques, les journalistes et les figures de l’opposition.

Cette semaine, le Premier ministre éthiopien Hailemariam Desalegn a annoncé que la prison Maekelawi, l’un des centres de détention les plus célèbres du pays, allait bientôt fermer ses portes.

Cette annonce a apporté des sentiments mêlés aux nombreux Éthiopiens qui ont survécu aux pratiques d’interrogatoire notoirement brutales utilisées à Maekelawi. Parmi eux, Befeqadu Hailu, un auteur de Global Voices et blogueur sur les droits de l’homme.

En 2014, Befeqadu a été arrêté avec huit de ses confrères blogueurs et journalistes, tous en raison de leur participation à un blog collectif intitulé Zone9, où ils décrivaient les obligations de leur gouvernement en matière de droits de l’homme et de droit constitutionnel.

Les neuf écrivains ont été arrêtés et détenus à Maekelawi sans inculpation pendant près de douze semaines en 2014, avant d’être inculpés en vertu de la Proclamation antiterroriste du pays.

Befeqadu a ensuite écrit un récit de première main de son expérience au centre de détention, que nous partageons ici dans le but de mettre au grand jour la dure réalité de Maekelawi sous le gouvernement éthiopien actuel.

Dans une lettre envoyée en août 2014 à Global Voices par les avocats des blogueurs, Befeqadu écrivait :

L’idée de mettre un pied dans l’enceinte du centre de détention mal famé de Maekelawi donne le frisson à quiconque en connaît l’histoire. Mais mon optimisme absolu et ma confiance dans le fait que le traitement brutal et inhumain des gens était un lointain souvenir m’empêchaient de trembler lorsque je fus escorté dans l’enceinte. La même chose était vraie pour mes amis, je suppose. De plus, nous n’avions rien à craindre, car nous ne sommes ni des agents infiltrés ni des membres des forces armées. Nous sommes juste des écrivains.

Mais dès que je suis arrivé à Maekelawi, [d’autres] détenus m’ont informé que j’avais été placé dans l’une des sections les plus célèbres du centre de détention, connue sous le nom de «Sibérie». En moins d’une semaine, j’avais l’impression de vivre au milieu d’un récit tiré du rapport 2013 de Human Rights Watch intitulé «Ils veulent des aveux».

Le documentaire “They Want a Confession” (Ils veulent des aveux) traite des graves violations des droits de l’homme, des techniques d’interrogatoire illégales et des mauvaises conditions de détention au centre de détention de Maekelawi à Addis-Abeba, à partir d’entretiens avec d’anciens détenus et des membres de leur famille. Parmi les personnes emprisonnées à Maekelawi figurent des dizaines de d’opposants politiques, de journalistes, d’organisateurs de manifestations et de prétendus partisans des insurrections ethniques.

Befeqadu a décrit les méthodes d’interrogation à Maekelawi comme étant “plus axées sur la domination et la soumission que sur la confiance ou la créativité”.

“S’ils ne parviennent pas à vous extorquer des informations de cette manière, ils forcent les aveux en vous frappant à coups de poing et en vous battant, en vous obligeant à faire des exercices physiques intensifs et en vous flagellant”, écrivait-il. “J’ai parlé avec des détenus qui avaient subi des procédures encore plus pernicieuses qui étaient clairement des violations de leur vie privée. Certains détenus ont été contraints de se déshabiller et de se mettre debout nus, ou de faire des pompes jusqu’à l’aube. “

Il continuait, décrivant comment lui et ses collègues ont été forcés d’avouer :

Dans notre cas, pour finir on nous a fait plaider coupables. Nous avons avoué sous la contrainte. Nous ne pouvions supporter la pression brutale et psychologiquement dégradante incessante. Nous ne pouvions pas continuer à survivre à l’enfer de Maeklawi. Nous avons fini par dire à nos interrogateurs ce qu’ils voulaient entendre. Pour leur plus grand plaisir, nous avons ajouté autant de phrases auto-accusatrices que possible. Mais des phrases comme “oui, nous voulions inciter à la violence” ne les contentaient jamais. Alors ils ont réécrit nos confessions pour les adapter à leur canevas. Certains d’entre nous ont essayé de s’expliquer. D’autres ont dû endurer des coups. Mais nous avons fini par succomber à la pression et signé les pages de confession soigneusement écrites, à l’exception de notre collègue Abel, qui a refusé de signer à ce moment-là. Il a survécu à la douleur qu’il a endurée depuis, et sa confession, une fois finalement extraite, est complètement fausse, pour ne rien dire des nôtres.

Nous savons maintenant que la torture est la partie du cérémonial à Maekelawi qui révèle la “vérité” d’un crime. J’ai longtemps pensé que les interrogatoires de police étaient complexes, impliquant des compétences sophistiquées, des connaissances et des techniques psychologiques pour établir des faits. Je sais maintenant que les interrogatoires de police à Maekelawi ne sont pas si élaborés. En fait, ils sont simples. Ils sont comme des machines à produire de la culpabilité chez les détenus.

A Maekelawi, le principe directeur des interrogatoires de police est que vous êtes coupable jusqu’à preuve du contraire. Vos plaidoyers d’innocence – ou même d’explication – tombent dans des oreilles de sourds.

Befeqadu a passé 18 mois dans les prisons éthiopiennes avec ses collègues avant d’être libéré en octobre 2015. Lui et ses collègues ont été acquittés sans jamais comparaitre devant un tribunal.

Les membres de Zone9 se sont réjouis de la libération de Befeqadu Hailu (deuxième à partir de la gauche avec une écharpe) en octobre 2015. Photo partagée sur Twitter par Zelalem Kiberet.

Befeqadu a également présenté les récits qu’il avait entendus de ses compagnons de cellule, qui avaient été amenés à Maekelawi après avoir souffert d’épreuves encore plus graves dans d’autres centres de détention du pays. “Ces détenus ont souffert d’une barbarie diabolique telle que l’extraction brutale des ongles de leurs doigts, la flagellation et la cagoule”, écrit-il.

Les informations extorquées aux détenus dans le centre de détention sans nom sont ensuite vérifiées par un interrogatoire plus poussé au centre de détention d’avant-procès. Les détenus ne savent jamais où ils ont été emmenés pour cette enquête brutale parce qu’ils sont cagoulés de bout en bout. Les centres de détention sans nom sont des trous noirs.

Faisant référence aux violations des droits de l’homme sous le régime du Derg [fr] dont le gouvernement actuel de l’Éthiopie cherche maintenant à s’éloigner, Befeqadu a comparé ces expériences à celles du passé.

“Il s’avère que l’angoisse des prisonniers éthiopiens, quelque chose qui semblait si lointain dans la mémoire, n’est pas si loin après tout”, a-t-il dit.

Répondant aux nouvelles de cette semaine, Befeqadu a écrit sur Twitter :

Le Premier ministre Hailemariam a déclaré: “Maekelawi était une maison de torture sous le régime du Derg” ; c’est trop peu. Je suis une victime vivante de cette chambre de torture sous son règne. À l’époque, je souhaitais me suicider au lieu de voir des interrogateurs le lendemain. Ces types rendent le pardon difficile.

Befeqadu et ses deux collègues Atnaf et Natnael ne sont pas vraiment libres, au sens propre du terme. Bien que leurs accusations de terrorisme aient été retirées, ils attendent des décisions sur d’autres chefs d’accusation, tous déclenchés par leurs critiques pacifiques du pouvoir.

Lire aussi [en anglais] :

Ce billet a été écrit par Ellery Roberts Biddle pour le réseau Global Voices Advocacy dont elle est la directrice. La traduction française que j’ai assurée a été publiée le 10 janvier 2018.

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