Ce texte d’Olivier Roger a été extrait de l’oeuvre collective de RFI et de FIDH (la Fédération internationale des droits de l’homme) intitulé « Guinée : une histoire des violences politiques ». Cette partie est le recueil du Témoignage d’Ibrahima Sory Dioumessy, ancien policier, entrepreneur et président de l’AVR, l’Association des victimes de la répression. |
En 1958, j’étais dans les jeunesses du parti et nous préparions le fameux référendum sur l’indépendance. J’étais encore élève, et pendant les vacances, on nous envoyait travailler à la préparation de ce référendum. L’indépendance est arrivée, et le pays s’est rendu compte qu’il manquait cruellement de cadres. Le ministre de la Sécurité et de la Défense, Fodéba Keita a fait appel aux bonnes volontés. J’avais dix-neuf ans quand je suis parti à l’école de police en Tchécoslovaquie. Nous étions en octobre 1965 et j’étais très fier d’aller me former là-bas. Mais je ne suis pas resté jusqu’au terme de ma formation, car entre temps, Sékou Touré avait limogé Fodéba Keita. Tous ceux qui étaient liés de près ou de loin avec lui devenaient suspects et j’ai donc été rappelé à Conakry. La coopération avec Prague s’est arrêtée. Je suis rentré en 1967 et j’ai passé une semaine au camp Boiro.
Quand je suis rentré, tous les professionnels de la police avaient été mutés. À la place, on avait fait venir des cadres du PDG, le parti (de Sékou Touré, NDLR), pour diriger les commissariats. Fodéba Keita voulait un État fort mais Sékou Touré voulait un parti fort. Et les anciens commissaires avaient été mutés dans d’autres corps de l’administration comme la justice. Beaucoup étaient devenus juges d’instruction. Je me souviens d’un policier particulièrement en vue, il était à la fois journaliste et policier, c’était une célébrité. Il s’appelait Pathé Diallo. Lui a été muté à la banque.
Tous ces nouveaux commissaires ne connaissaient rien au métier. Ils ne connaissaient même pas le code pénal. Leur mission était de défendre le parti et de surveiller les policiers. Par la suite, Sékou Touré a fini par créer la police d’État, un corps de policiers considérés comme sûrs et dont la principale mission était de défendre l’État. C’est cette police qui est responsable des atrocités commises au camp Boiro. C’est elle qui montait les faux complots et envoyait les gens en prison.
Pour ma part, après la semaine au camp Boiro, j’ai voulu démissionner comme beaucoup de mes promotionnaires. Mais Fodéba Keita et le ministre Béhanzin, nous ont conseillé de rester. Je suis donc devenu inspecteur. Quant à Fodéba, il est devenu ministre de l’Économie rurale, avant d’être envoyé au camp Boiro et éliminé quelque temps plus tard. Je suis donc devenu inspecteur de police en 1967 et j’ai été envoyé à Mamou. Le commissaire avait bien entendu été nommé par le PDG et nous étions deux inspecteurs sous ses ordres. Au début nos rapports étaient cordiaux. Mais le commissaire avait tendance à politiser les infractions. Par exemple, entrer ou sortir du territoire sans une autorisation était un crime. Or, beaucoup d’éleveurs allaient vendre le bétail de l’autre côté de la frontière et ceux qui se faisaient prendre étaient considérés comme des criminels et envoyés en prison. Parfois au camp Boiro. De simples paysans ! Vous imaginez !
Après l’affaire du 22 novembre 1970 (NDLR : agression portugaise en vue de libérer des soldats portugais détenus en Guinée et de renverser le régime) j’ai été muté à Conakry au sein d’un commissariat où l’on politisait systématiquement les infractions pour monter des complots et envoyer les gens au camp Boiro. Je ne pouvais rien faire. J’obéissais. Le parti avait installé ses structures partout, dans l’armée, dans l’administration. À l’époque la délation était l’arme la plus couramment utilisée. On appelait cela « la vigilance ». Il arrivait des lettres anonymes de partout, parfois de simples mots avec un nom. Je devais vérifier les accusations et transmettre au commissaire qui décidait ou non de transmettre au juge. C’était une époque difficile, une époque où les pères avaient peur des fils, les maris de leur femme. La plupart du temps, cependant, je parvenais à obtenir la libération des personnes incriminées par les délateurs.
En 1983 j’ai été nommé directeur des Renseignements généraux et de la synthèse. Mais je n’y suis pas resté longtemps car j’avais fait arrêter des voleurs de ciment qui opéraient à grande échelle. Or ces trafiquants étaient protégés par un ministre. C’est donc moi que l’on a envoyé en prison ! J’y suis resté quatre mois. Entre temps Sékou Touré est mort et j’ai été libéré. À ma libération, on m’a nommé membre de la commission d’enquête du CMRN (le Comité militaire de redressement national mis en place par Lansana Conté et les militaires putschistes). La commission était chargée de répertorier les crimes commis sous Sékou Touré. J’ai moi-même interrogé le ministre qui m’avait envoyé en prison quelques mois plus tôt. Il était incarcéré et fut finalement exécuté dans la nuit du 7 au 8 juillet 1985 en même temps que 21 autres dirigeants de la première République. Entre temps, le général Diarra Traoré a tenté un coup d’État qui a échoué. Le régime a lancé une série de purges. Et l’on m’a accusé de faire partie des comploteurs, ce qui était faux bien entendu. J’ai donc été arrêté et j’ai fait trois ans de prison. Mes biens et ma maison ont été confisqués. Je n’ai jamais été jugé. Vous vous rendez compte ! Trois ans de prison sans jugement. Nous sommes 525 dans ce cas. J’ai la liste. Quand je suis sorti de prison, en janvier 1988, j’ai réclamé mes biens. Le président Conté a signé une ordonnance de restitution mais elle n’a jamais été appliquée jusqu’au jour d’aujourd’hui.