Respectez vos promesses, Monsieur le Président!

À la mi-septembre CARLOS BAJO ERRO, journaliste du quotidien espagnol elpais.com où il traite, en particulier, de l’évolution des nouvelles technologies sur le continent, a procédé à une profonde analyse d’une récente prise de conscience de l’importance des associations de cyber-activistes dans notre région dans le processus d’amélioration de la démocratie.

Le quotidien espagnol elpais.com est l’un des journaux ayant la plus grande diffusion d’Europe, avec environ 2 000 000 de lecteurs par jour. Son tirage est supérieur à tous les journaux français.

Javier Moreno, son ancien directeur, dirige le projet Leading European Newspaper Alliance (LENA), qui regroupe 7 des principaux quotidiens européens: Die Welten (Allemagne), La Repubblica (Italie), Le Figaro (France), Le Soir (Belgique), Tages-Anzeiger et La Tribune de Genève (Suisse). 

En aout 2015, konakryexpress.org avait déjà publié un article dCARLOS BAJO ERRO lorsqu’il a interviewé Fodé Kouyaté Sanikayi, Président de l’Association des blogueurs de Guinée (ablogui). Le titre était En Guinée, les blogueurs veulent changer la manière de faire la politique. Dans un autre article, en aout 2016, il s’était aussi intéressé au combat des utilisateurs des réseaux sociaux pour la délivrance des pièces d’identité, sous le titre Guinée: Quand des Twits forcent le gouvernement à délivrer les pièces d’identité.

L’original du présent article a été publié e 13 septembre 2016, sous le titre de Cumpla sus promesas, señor presidente.

Respectez vos promesses, Monsieur le Président
Grâce à des plates-formes Web des sociétés civiles d’Afrique occidentale font le point sur la sincérité de leurs dirigeants. Quatre initiatives au Nigeria, au Burkina Faso, le Bénin et la Guinée.
CARLOS BAJO ERRO
Barcelone 13 SEP 2016 – 12:49 CEST

En langue nationale Soussou le mot Lahidi signifie « la promesse faite », et c’est la dernière initiative, venue de la République de Guinée, dans un phénomène qui se répand à travers les pays d’Afrique de l’ouest.

Les initiateurs de Lahidi l’ont expliqué à leurs utilisateurs d’une manière très simple: « Une promesse est une dette ». Ils se réfèrent à celles qui sont faites par les politiciens, parce que c’est là leur objectif: contrôler le respect des promesses électorales, qui ont conduit les citoyens à se prononcer pour l’un ou l’autre candidat pour qu’ils atteignent leurs fonctions.

Les présidents n’ont plus carte blanche, au moins en Afrique de l’Ouest. Pendant les campagnes électorales, ils ont fait des promesses, mais le jour de l’inauguration, passée cette période, ils oublient leurs promesses.

Ces dernières années un phénomène curieux s’est vérifié dans différents pays de la région. Les sociétés civiles dans de nombreux cas, en collaboration avec les communautés des cyber-activistes, mettent en place des plates-formes sur le web qui, non seulement leur permettent de faire constamment le bilan sur les engagements électoraux, mais aussi de faire savoir facilement si l’élu a pris au sérieux ou non la confiance placée en lui par ses citoyens.

Buharimeter est la première de ces expériences dans la région. Elle a été lancée au Nigeria en un moment particulièrement symbolique, une alternance politique pacifique. Les élections lors desquelles les citoyens ont renvoyé chez lui par les urnes Goodluck Jonathan et l’ont remplacé par Muhammadu Buhari, sans que cela provoque aucun traumatisme. La déception qui a conduit à retirer la confiance à Jonathan a également conduit à penser à des outils pour prévenir que la même déception ne se produise. La solution était de rendre compte constamment, ne pas exercer la démocratie seulement lors des appels aux urnes, mais de montrer aux candidats que la société civile les surveillait tout au long de leur mandat.

Yusuf Shamsudeen Adio, l’un des responsables de Buharimeter en tant que chargé de programmes principal au Centre pour la démocratie et le développement (CDD – Afrique de l’Ouest), explique l’esprit de l’initiative: « Une évaluation objective de la gouvernance au Nigeria et ailleurs en Afrique montrerait qu’il y a une déconnexion totale entre ce que les politiciens promettent de faire pendant les campagnes électorales et ce qu’ils font après avoir remporté l’élection.

Les politiciens promettent de remédier à la détérioration des infrastructures, ou de stimuler l’économie, par exemple, mais tout de suite après avoir gagné, les priorités changent et nous pensons que cela est une trahison de la confiance des électeurs « . D’autre part, il assure que la bonne interaction entre les gouvernants et les citoyens ne se produit pas. La deuxième raison qui a déclenché la naissance de Buharimeter, selon Adio, est de sensibiliser les citoyens au concept de participation démocratique qui aille au-delà des élections et les dirigeants avec la nécessité de rendre des comptes. L’ultime raison d’être de cette initiative est de « limiter la culture parmi les politiciens des promesses irréalistes. »

Le Buharimeter, au Nigeria. Source: elpais.com/

« Les hommes politiques ont fait des dizaines de promesses, » se plaint le responsable de Buharimeter, « seulement pour gagner la confiance des citoyens, sans aucune intention d’y conformer leurs politiques. Grâce à l’évaluation systématique, nous espérons renforcer la culture démocratique du Nigeria, veiller à ce que les politiciens fassent des promesses réalisables « .

Luther Yameogo, directeur de l’ONG Diakonia au Burkina Faso, l’une des forces motrices derrière la plate-forme Presimetre.bf, explique que, dans le cas de son pays, l’un des objectifs était de « contribuer à la ré-éducation démocratique et à la consolidation de la démocratie ». Il ne s’agit pas d’un objectif, encore moins dans le cas du Burkina, qui a récemment récupéré sa démocratie après un soulèvement populaire qui a contraint à la fuite en octobre 2014, l’ancien président, Blaise Compaoré, accusé d’avoir séquestré la souveraineté populaire; et qu’une résistance citoyenne ait fait échoué à la fin de 2015, un coup d’état qui cherchait à briser la transition.

Au Bénin, où les dernières du 20 mars dernier ont paraphé l’alternance à la tête du pays, l’un des pilotes du Talonmetre (du nom du nouveau président, Patrice Talon), assure que la plate-forme permettra d’éviter que la politique soit comme dans les années soixante, parce que « il y a une jeunesse active et engagée ainsi qu’une population qui peut surveiller les dirigeants ».

Le Bénin est un cas particulier. La plateforme de surveillance des promesses électorales a été conçue par un groupe de passionnés des TIC, qui, une fois lancé visent à « l’intégrer dans les organisations de la société civile.

Au-delà du cas béninois mentionné, les autres initiateurs des plates-formes sont des organisations de la société civile soutenues par des communautés cyber-activistes locales. Ils ont mis en place des équipes pour répertorier les promesses faites par leurs dirigeants lors des campagnes électorales ou dans les discours de prestation de serment.

Le Buharimeter nigérian surveille 222 promesses; dans le cas du Présimètre burkinabé, les engagements des candidats ont été classés en 14 groupes thématiques; dans le Talonmètre béninois, 196 promesses ont été identifiées; alors que dans le cas du Lahidi guinéen, le travail a été particulièrement approfondi et a abouti à identifier 431 mesures promises par le président ou l’un de ses ministres et avec des possibilités d’inclure des mises à jour de la liste au fur et à mesure que de nouvelles promesses seront faites.

Page web de Le Présimètre du Burkina Faso
Un citoyen, un gardien

La force de l’approche réside dans son caractère populaire. Des plates-formes qui essaient précisément de mobiliser les citoyens et de les inciter à s’impliquer dans la surveillance. Tout le monde peut se joindre à eux pour contribuer à faire le bilan sur la réalisation des promesses. Dans le cas du Bénin, deux mille personnes ont été enregistrées pour surveiller les mesures avancées par Patrice Talon pendant les élections.

« Ce sont les citoyens eux-mêmes», dit Yameogo, « qui expriment leurs préoccupations directement et qui évaluent régulièrement les résultats de leurs dirigeants à travers la plate-forme et les autres mécanismes d’interpellation. En retour, les autorités disposent ainsi d’un haut-parleur pour donner des explications et d’un support à partir duquel dialoguer « . Yusuf Shamsudeen Adio ajoute à cette explication, la réponse donnée par les dirigeants: « Dans les premiers mois ils ont été très critiques parce qu’ils nous accusaient de désinformer les nigérians, mais après ils ont été beaucoup plus collaboratifs et ils se sont prêtés à y participer. Ce qui est le plus encourageant c’est que les citoyens ont toujours été très actifs à offrir leurs analyses « .

Fodé Kouyate Sanikayi, Président de l’Association des blogueurs de Guinée (Ablogui), parlant au nom de ces derniers: « Pour nous, il serait impossible de contrôler le respect des 431 promesses que nous avons identifiés. La plate-forme est très ouverte, car tout citoyen peut remplir le formulaire. Du début la fin, ce sont eux qui sont les protagonistes du processus. Lorsque vous votez vous donnez votre voix, votre confiance à un seul candidat en échange de sa parole, ensuite vous devez vous assurer qu’il la maintienne. »

Portail du Talonmètre du Bénín.

En général, les responsables de ces quatre initiatives conviennent que la coopération des autorités avec ce contrôle n’est pas trop ferme, c’est peut-être quelque chose qui a à voir avec les résultats que provoquent leurs analyses.

A titre d’exemple, le Buharimeter, la plus ancienne de ces expériences, a montré qu’en plus d’un an depuis son élection, Muhammadu Buhari n’a maintenu qu’un seul des engagements qu’il avait faits, tandis que 45 autres sont en cours, mais la réalisation des autres 176 qui restent n’a toujours pas commencé. La situation est très différente au Bénin, où la plate-forme a certifié que Patrice Talon a commencé la mise en œuvre de 11 des 196 promesses enregistrées, le reste, à part une qui a été écartée, n’ont même pas été abordés cent premiers jours après le début du mandat.

La vérité est que les protagonistes eux-mêmes reconnaissent que la participation du public n’est pas constante, bien qu’il s’agisse d’une dynamique logique dans ce type d’activités. Ce sont des moments spécifiques qui encouragent les citoyens à prendre parti dans ces campagnes de surveillance.

Un des pilotes du Talonmètre béninois explique que le jour de la fête de l »indépendance nationale ou des cent premiers jours au pouvoir encouragent la participation. Le meilleur exemple de la façon dont ces initiatives sont mises en œuvre s’est celle des cent jours du mandat présidentiel de Roch Kabore au Burkina Faso, la campagne d’évaluation lancée par Le Présimètre a été combinée avec une émission de télévision « Dialogue Citoyen » qui a élargi son l’impact. « Dans cette émission, le président a répondu en direct aux préoccupations des citoyens », déclare Luther Yaméogo avec satisfaction.

Une évolution logique

Les promoteurs de ces projets ne sont réellement pas dépourvus d’expérience. Il est à relever que dans les quatre pays, ils ont mené des campagnes intenses de surveillance citoyenne des élections. Les communautés de cyberactivistes ont accompli une mobilisation considérable pour que les élections soient pacifiques et transparentes. Après ces efforts, il ne semble pas étrange que les militants maintiennent leur implication sur le contrôle des élus.

Page web de Lahidi, Guinée

« GuinéeVote a réussi à mobiliser la société civile et a obtenu de très bons résultats. Il est logique, maintenant, de maintenir la préoccupation et que, comme nous avons surveillé les élections, que nous continuions à suivre le candidat élu. Lahidi est la continuation de  la participation et de la responsabilité des citoyens tout au long du processus démocratique », déclare Fode Kouyate, Président d’ablogui, l’une des organisations qui conduisent Lahidi.

« Au cours des élections au Nigeria, la participation de la société civile a été très intense », ajoute Yusuf Shamsudeen Adio, « et maintenant cet engagement a évolué en une initiative comme Buharimeter.

Yaméogo fait la même réflexion et rappelle qu’après les épisodes de résistance populaire vécues au Burkina, la société civile a participé activement à la surveillance de la dernière élection présidentielle à travers la plate-forme de BurkinaVote; ce qui s’est reproduit ensuite lors des législatives et municipales. « Après l’insurrection d’octobre 2014, la société civile a pris conscience de sa responsabilité. Avec les dernières élections les institutions démocratiques ont été restaurées et la société civile sait qu’elle doit poursuivre son rôle de surveillance pour renforcer la crédibilité des institutions et de la démocratie au Burkina « , déclare Yameogo.

Effet de boule de neige

L’apparition de toutes ces initiatives dans un très court laps de temps et dans un espace géographique limité n’est pas une coïncidence. Il ne s’agit pas d’expériences isolées, mais c’est un phénomène qui ne cesse de croître. Les sociétés civiles ont été renforcées ces dernières années et, en effet, leurs performances leur ont conféré un plus grand prestige, ce qui explique cette vague d’activités de surveillance des citoyens. À cela s’ajoute l’accès aux outils numériques qui facilitent la participation de la population et l’émergence de communautés de cyber-activistes qui maitrisent ces outils et font preuve d’une grande créativité pour trouver des solutions imaginatives.

Ces plates-formes ont un impact direct sur le développement des processus démocratiques

Les responsables de ces initiatives se sont engagés dans un processus d’apprentissage mutuel, de réflexion commune et d’échange d’expériences qui coïncident régulièrement à divers forums régionaux pour partager les connaissances, les projets et les résultats. « Nous nous inspirons de ce que font les autres dans la sous-région (Afrique de l’Ouest) », dit Kouyaté, qui, étant le dernier à lancer sa plate-forme, a obtenu le soutien des promoteurs de projets similaires des autres pays.

De son coté, un des créateurs de Talonmètre reconnaît qu’ils ont été en contact avec ceux qui mènent des initiatives similaires au Burkina Faso et au Nigeria.

Yusuf Shamsudeen Adio, représentant de l’initiative avec le plus d’expérience, estime cette collaboration comme une partie fondamentale des initiatives: « La coopération régionale est très importante étant donné que tous les pays d’Afrique de l’ouest font face à des défis de développement similaires. La région est à la traîne dans tous les indices de développement ce qui peut être imputé à la qualité du leadership et de l’exercice de la citoyenneté. »

Ces plates-formes ont un impact direct sur le développement des processus démocratiques, mais certains de leurs initiateurs pensent que leur effet pourrait être encore plus profond. « Avoir des plates-formes régionales de surveillance des promesses électorales implique le recueil et la maximisation des efforts de la société civile pour promouvoir la rendement de compte de la part des élus en améliorant la capacité des citoyens à participer activement dans l’espace public.

Voici comment on peut vraiment répondre aux défis économiques et sociaux attendus depuis si longtemps et s’acheminer sur la voie du développement » soutient Yusuf Shamsudeen Adio, activiste nigérian et représentant de Buharimeter.

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