Dans son livre L’itinéraire sanglant Almamy Fodé Sylla, d’où ce billet est tiré, témoigne sur les six premiers faux complots dénoncés par Sékou Touré. Depuis ses débuts en politique ce tyran n’a usé que de la démagogie et la violence pour s’imposer. Avec le mélange de ces ingrédients il a su mobiliser « citoyens marginaux (voyous sans adresse, femmes ambitieuses, fainéants de tous bords) » pour casser et détruire tout ce qu’il pensait pouvoir nuire à ses intérêts ou pour qui il éprouvait de la jalousie par leur compétence ou réussite. |
Notre propos n’est pas de décrire chacun de ces complots qui ont présenté les mêmes caractéristiques générales mais, pour saisir le sens de la démocratie, de la liberté Sékou Touréennes, un résumé substantiel de ces fameuses manifestations, fruit de l’imagination fertile d’un groupe hitlérien, est nécessaire.
Premier « complot » dit Ibrahima Diallo, 1959-1960
Ibrahima Diallo, tout comme la plupart des intellectuels guinéens, dans l’euphorie de l’Indépendance nouvellement proclamée, rentre en Guinée, décidé à mettre à la disposition du jeune état son expérience et ses connaissances. Exploitant les dispositions de la constitution, il envisage de créer le parti progressiste de Guinée, P.P.G., en accord avec d’autres jeunes cadres dont Jean-Marie Yattara, avec qui il rédige un manifeste : la démocratie à l’ombre de Sékou Touré. Diallo voulut envoyer imprimer ce document en Suisse, mais il fut saisi à l’aéroport de Conakry. A une conférence du P.D.G. à Kankan en février 1960, une affaire est évoquée au tribunal concernant le non paiement d’indemnités de déguerpissement versées par la compagnie des Bauxites de Kassa à un syndicat représenté par Sékou Touré. Diallo Ibrahima plaide pour les déguerpis et prouve la malhonnêteté du « grand syndicaliste » Sékou Touré qui se fait passer pour le plus grand saint.
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Ça y est ! le prétexte est tout trouvé. Voici un complot qualifié de crapuleux par le P.D.G. contre le gouvernement. Les arrestations commenceront à partir du 20 avril 1960. Elles ont lieu de nuit, les victimes étant trouvées généralement en plein sommeil. C’était déjà une atteinte très grave au droit d’inviolabilité du domicile du citoyen pendant la nuit (du coucher au lever du soleil). Diallo Ibrahima, arrêté, torturé aurait été fusillé au sommet du mont Kakoulima le 17 mai 1960.
Deuxième « complot » dit des Enseignants, 1961
Trois ans de souveraineté mais aussi de difficultés socio-économiques sans solution satisfaisante.
En août 1961, lors d’une conférence nationale du Parti, la question scolaire avait fait l’objet d’un désaccord entre la Direction du P.D.G. et celle du Syndicat des enseignants. Le gouvernement, ne tenant aucun compte de ses promesses, publie un texte « statut particulier de l’Éducation nationale », le 30 septembre 1961, où, au lieu d’améliorer leurs conditions salariales, les enseignants sont plutôt brimés. Un mémoire est ainsi rédigé et communiqué au gouvernement. Une rencontre eut lieu entre la direction du Syndicat et le gouvernement ; celui-ci chercha à réfuter le mémoire mais cela était plutôt malaisé car il s’agissait de cas très concrets. Après l’exposé du Président Sékou Touré, la séance fut levée sans que le syndicat ait dit son point de vue. Il devait exprimer celui-ci dans une lettre où il constatait n’avoir pas été convaincu par le gouvernement.
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Voilà que s’ouvre le 16 novembre 1961 une conférence de la C.N.T.G. (Confédération nationale des travailleurs de Guinée) qui entend ses sections exposer en grand nombre leur appui au mémoire des enseignants. La direction du P.D.G. y trouve une occasion à ne pas manquer ; celle de frapper l’imagination des masses, de les terroriser, de mettre fin aux velléités de revendications salariales. L’opération consistait surtout à éliminer de la scène publique M. Keita Koumandian, Secrétaire général du Syndicat des enseignants de l’Afrique noire, membre du bureau de l’U.G.T.A.N. (l’Union générale des travailleurs de l’Afrique Noire). En effet, un homme aussi moralement sain que politiquement honnête, grand syndicaliste africain, M. Keita Koumandian, anti-thèse de Sékou Touré, ne pouvait être qênant pour le leader du P.D.G. dont on ne saura les véritables intentions qu’à partir de 1961.
L’arrestation et la condamnation des dirigeants syndicalistes enseignants secoua profondément les esprits des élèves et étudiants qui réclamèrent leur libération immédiate et inconditionnelle ; ce qui eut pour résultat de durcir la Direction du P.D.G., c’est-à-dire Sékou Touré qui était de facto « Responsable Suprême de la Révolution ».
L’arrestation des dirigeants syndicalistes enseignants et les mouvements d’opinion et de masse qui en résulteront conduisirent la direction du P.D.G. à approfondir le « complot » qui devient celui des intellectuels.
Ainsi, bien des intellectuels de la diaspora actuelle se sont enfuis à l’époque, rejoignant ceux qui avaient décidé de s’exiler tant que sera au pouvoir le régime du P.D.G. en Guinée. Cependant, d’autres, des opportunistes saisirent cette occasion pour faire une planque dans l’appareil d’État pour jouir et non pour servir. Cette mentalité se forgera un slogan qui fera fortune et qui fera bien du mal à la Nation et à l’État guinéens, à savoir que l’engagement politique d’un cadre est plus important que sa compétence professionnelle (ce qu’ils appelaient engagement politique n’étant en fait qu’une subordination verbale ostentatoire à Sékou Touré dans le but d’obtenir de lui des nominations de faveur).
Troisième « complot », l’affaire des femmes, octobre 1964
Au cours de la rentrée scolaire d’octobre 1964, un grand nombre d’enfants avaient été refusés dans les écoles de Conakry. Les mères manifestèrent leur mécontentement en organisant une marche de protestation sur la Présidence. Le cortège fut intercepté par Mafory Bangoura, alors Présidente des femmes du P.D.G., dispersant les femmes après les avoir calmées.
Mais ce n’est pas fini ! Pour M. Sékou Touré, c’est le 3e complot contre le gouvernement. Et, pour mater l’esprit ainsi né et affirmé, il ordonne une rafle de femmes devant les entreprises d’État et dans les rues de Conakry. Les malheureuses femmes en très grand nombre furent envoyées au Camp Alpha Yaya où elles subirent les pires traitements.
Elles furent déshabillées et, toutes nues, obligées de marcher du camp au Palais de la Présidence (15 km). Certaines en moururent de honte, alors que d’autres s’exilèrent. Cette affaire eut une terrible impression au sein du public et, c’est après ce travail psychologique de terreur qu’il inventa sa fameuse loi-cadre du 8 novembre 1964.
Quatrième « complot » dit complot Petit Touré, 1965
Cette autre violence est la suite logique de l’affaire du 8 novembre 1964 qui avait été dirigée contre les commerçants privés. Puisque la population n’avait pas accepté les thèses de novembre 1964, le dictateur devait préparer un autre complot plus monstrueux, faisant plus d’effet par sa cruauté et sa dimension que les précédents.
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Mamadou Touré dit Petit Touré, riche commerçant précédemment installé en Côte-d’Ivoire, Kélétigui Touré et Moussa Touré sont trois frères, fils de Bô Touré, lui-même fils de Kèmé Kourema, frère de Samory. Le rappel de leur naissance n’est pas inutile car c’est un alibi valable et suffisant pour leur arrestation et leur liquidation, car Sékou Touré a juré d’éliminer systématiquement trois catégories de personnes :
les intellectuels de toutes formations
les riches, possesseurs d’argent ou de biens matériels
les « biens nés », souche féodale surtout.
Mais écoutons plutôt Kinsan Sylla, fils d’Almamy Bakary Sylla, ex-chef de canton de Kinsan (Kindia), un ami de Petit Touré, expliquer le mécanisme qui a emporté tout le peuple de Guinée :
« Nous avons fermement cru en l’homme qui, par ses déclarations convaincantes, passait pour le plus grand défenseur des intérêts des masses populaires opprimées. Nous avons pris pour argent comptant tout ce qu’il disait avec force dans ses meetings. Nous nous sommes littéralement jetés dans les bras de l’hypocrite qui tournait autour de nous comme un vautour affamé. Il était effectivement un carnassier avide de sang. C’est, fort des dispositions de notre constitution qui stipule la liberté de parole, d’association, de presse, de créer un parti, que Petit Touré décida de créer le parti de l’Unité Nationale Guinéenne. Le 11 octobre 1965 à 10 h, Petit Touré, son frère Kélétigui, Kémoko Samake dit Kolatambi, Sékou Touré un commerçant et moi-même, sommes rendus au Ministère de l’Intérieur pour déposer les statuts de notre Parti. Petit Touré remit un exemplaire au Président de la république et des exemplaires à la presse. »
Voilà ce que Sékou Touré appelle le grand complot des commerçants qui a fourni le prétexte d’arrêter et tuer tous les grands commerçants qui avaient survécu à la loi-cadre du 8 novembre 1964.
Les trois frères Touré sont arrêtés, comme des centaines de commerçants, de fonctionnaires, de privés, d’étrangers, d’africains et de militaires trop vises l’époque.
Petit Touré et son frère Kélétigui sont tués par la diète noire (mort par privation totale d’eau et de nourriture) ; ils sont morts respectivement le 21 octobre et le 2 novembre 1965.
Quelques jours plus tard les familles des deux frères tués sont expulsées .e leurs maisons, tous les biens confisqués, du balai aux bâtiments. Diao Diallo, frère d’une des femmes expulsées reçoit chez lui les membres des deux familles « reniées ». Il sera lui-mêmeêté quelques jours après, interné à Boiro, puis menotté et escorté jusqu’à N’Zérékoré où il purgera cinq ans de détention sans aucune forme de procès. Alamdia, l’épouse de Petit Touré, une nigérienne, sera également arrêtée, alors qu’elle était en grossesse de 4 mois. Elle accouchera en prison d’un garçon qui fera lui-même la prison jusqu’à l’âge de trois ans, avant d’être rendu à la famille de son père tandis que sa mère continuera à purger sa peine jusqu’en 1970, date à laquelle, elle sera renvoyée à Niamey sa ville natale. Kadiatou Diallo, l’épouse de Kélétigui, sera arrêtée le 19 décembre 1965 à 2 h du matin et emmenée en prison avec son bébé de 20 jours.
Cinquième « complot », non baptisé, 1968
D’humbles citoyens, pour la plupart des mécaniciens, chauffeurs, manoeuvres, exploitent les dispositions de la constitution qui autorise tout citoyen majeur d’être électeur et éligible, pour présenter un candidat à la présidence de la République, un certain Fofana Boubacar qui sera immédiatement arrêté avec 13 autres partisans. Ils seront accusés de crime de lèse-majesté et gardés longtemps en prison pour ceux qui n’ont pas été tués.
Sixième « complot » dit Complot Kama-Fodéba, 1969»
Quelques jours après le coup d’État du Mali, Sékou Touré redoutant la contagion en Guinée du fait des relations amicales existant entre les nouveaux dirigeants de Bamako et certains officiers guinéens (compagnons de stages de formation ou d’études dans les académies militaires), décide de prévenir toute velléité de putch en Guinée.
Pour ce faire, il nomme à la tête de quelques entreprises d’État certains officiers très populaires, et le Colonel Kaman Diaby, en qualité de Secrétaire d’État à la milice, en vue de les éloigner des camps.
Le détonateur sera au camp militaire de Labé où certains parachutistes font un petit mouvement de revendication interne sans importance. Sékou Touré s’en saisit pour trouver moyen d’inventer un complot, celui qu’il a toujours redouté et dont il a imaginé si bien le scénario. Ce complot prétendûment ourdi par les officiers et les Ministres très populaires, tendant à assassiner le Chef de l’État », fournit le prétexte pour arrêter les meilleurs parachutistes de la jeune armée nationale : Namory Keita, Aboubacar Camara dit M’Bengue, Mouctar Diallo, etc. Une commission d’enquête est dépêchée à Labé où elle procède à l’arrestation de plusieurs officiers, sous-officiers et hommes de troupe (10 mars 1969). Ainsi naquit le fameux « complot Kaman-Fodéba » qui emporta les cadres sursitaires des « complots » précédents :
Colonel Kaman Diaby, secrétaire d’État
Keita Fodéba, Ministre
Fofana Karim, Ministre
Barry Diawadou, Ministre
Deen Jean-Baptiste, Ambassadeur
Camara Balla, Ministre
Marof Achkar, Ambassadeur
Cdt Keita Check, Chef de bataillon, commandant du Camp Elhadj Oumar Tall de Labé
Capitaine Baldé Abdoulaye
Capitaine Soumah Abou : (a réussi à prendre la fuite au cours de l’agression du 22 novembre 1970. Il est mort à Conakry de retour d’exil après le 3 avril 1984)
Capitaine Diallo Mamadou Balo
Capitaine Kouyaté Sangban
Capitaine Diallo Thierno
Lieutenant Koumbassa Aly, commandant de la garnison des parachutistes de Labé
Lieutenant Bah Amadou
S/Lt Mouctar Diallo
S/Lt Aboubacar Camara dit M’Bengue
Adjudant-chef Keita Namory
Sergent-chef Kourouma Mamadi
Sergent Bachir Bangoura
Sergent Bah Oury Telly
Caporal Camara Ibrahima
Caporal Gbamou Niankoye
Caporal Oulare Tamba Sewa
Caporal Soumaoro Karamoko
Caporal Koivogui Siba
Caporal Beavogui Pévé
Caporal Drame Mohamed
Touré Kindo, commissaire de police
Diallo Mamadou Alpha, professeur
Traore Lamine, magistrat-procureur
Dr Marega Bocar
Drame Hamidou, ingénieur
Barry Aguibou, ingénieur
Diop Tidiane, ingénieur
Diarra M’Bemba, Directeur service des logements
Dr Bah Thierno, vétérinaire
Almamy Dédé Sylla, magistrat
Almamy David Sylla, ancien chef de canton
Koivogui Charles, instituteur
Keita Bakary, fonctionnaire
Guèye Baïdy, commerçant
Sow Mamadou Alpha, soldat
Mohamed Lamine, soldat
Soumah Bassirou Bangoura, soldat
Pour la première fois est organisée une parodie de tribunal dit révolutionnaire. L’on passe les bandes magnétiques des accusés qui sont condamnés sans être entendus ni défendus. Verdict :
Treize (13) condamnations à mort, exécutées le 24 mai 1969 au poste d’enrobage sur la route de Kindia (ancien champ de tir de l’armée)
Neuf (09) condamnations aux travaux forcés à perpétuité
Douze à vingt (20) ans de travaux forcés
Six (06) à 10 ans de prison ferme
Un (01) à 5 ans de prison
Quatre (04) acquittés au bénéfice du doute.
Ces malheureux prisonniers, tous innocents, détenus dans des sordides cellules du triste Camp Boiro, seront libérés par les Portugais le 22 novembre 1970. Repris quelques heures après, ils seront transférés à Kindia et, au cours du transfert, le Capitaine Pierre Koivogui sera tué d’une balle tirée par des agents de la sécurité routière. Signalons deux faits troublants : Sékou Touré était décidément un « grand stratège ». Il fait exécuter des prisonniers le 3 janvier 1971 sous le mont Gangan à Kindia alors que le tribunal chargé de les juger est convoqué pour le 2 janvier à Conakry. On vient donc juger des cadavres dont Sékou seul sait la mort. Il se moque de qui ?
C’est ainsi que le Ministre Balla Camara, l’ambassadeur Achkar Marof et Koivogui Charles, frère de Pierre Koivogui tué sur la route de Kindia, sont exécutés avant cette parodie de jugement.