Encore un autre extrait du livre d’Adolf Marx Maudits soient ceux qui nous oublient. Ce citoyen allemand qui fut directeur de la seule brasserie de Guinée, a éé arrêté en pleine nuit chez lui, sans savoir pourquoi le 28 décembre 1970. Il n’en sortira qu’à la fin de juillet 1974. À sa libération, il écrira ce livre qui est disponible gratuitement sur le site campboiro.org, comme la plupart de ceux que j’utilise pour mon blog concernant le Camp Boiro. Dans ce texte que j’ai emprunté à ce livre, il raconte comment il a reçu la visite du Ministre italien des Affaires étrangères, Aldo Moro, qui connaître lai rapt et la prison, quelques temps après
Je suis allongé sur mon lit — ne me doutant de rien — lorsqu’un sous-officier arrive et donne l’ordre de me sortir de la cellule. On me rase et me coiffe, puis on me lave la figure et les mains. Un soldat apporte une chemise en nylon bleu clair, un pantalon gris, une ceinture et une paire de chaussures. Pendant que je m’habille et pense à un retour au monde civilisé, j’aperçois dans la cour l’archevêque Tchidimbo qui a également reçu des vêtements neufs. J’éprouve un sentiment de crainte à la pensée de ce qui m’attend peut-être et je me mets à trembler. Les pensées se pressent dans mon esprit, je n’arrive pas à y voir clair. Une grande faiblesse m’envahit, due sans doute à l’effort inhabituel que je fournis pour m’habiller. Si jamais on me traîne à nouveau devant la Commission et si on me pose encore des questions-pièges, je ne serai sûrement pas capable de m’apercevoir à temps de leur danger. Dans cet état de faiblesse, je suis complètement à la merci de mes tortionnaires et j’ai peur de commettre des erreurs qui pourraient me valoir des conditions de détention encore plus mauvaises.
On me ramène dans la cellule n° 14 et on me dit d’attendre. Toute la journée, j’essaie d’apaiser les craintes qui m’assaillent. Je suis très inquiet et je ne cesse de me demander quel est le sort qui m’attend. Vers le soir, un soldat vient enfin me chercher et m’accompagne à la jeep où un officier m’attend. Il me conseille de penser aux entretiens précédents et de ne pas faire de déclarations irréfléchies :
— Vous n’avez sûrement pas oublié les conséquences que cela, pourrait avoir.
Ces recommandations contribuent évidemment à augmenter mes craintes. La jeep me conduit au bâtiment où se trouve la Commission. On m’amène dans la salle où ont eu lieu tous mes interrogatoires antérieurs. Je me trouve en présence de tout un tas de personnalités :
- le Ministre des Affaires Etrangères de la Guinée
- le Ministre italien des Affaires Etrangères Aldo Moro
- le Commandant du Camp, l’ambassadeur de la Guinée à Rome
- l’ambassadeur italien en Guinée
- le Sous-Secrétaire d’Etat italien Pedini
- un conseiller italien pour les questions juridiques
Je les salue. Le Ministre guinéen des Affaires Etrangères se lève et déclare qu’il désire me présenter à ces messieurs. Je me prépare à leur adresser la parole, mais ceux-ci se contentent de hocher la tête sans mot dire. Alors je leur dis combien je regrette de ne pouvoir leur parler. Puis je repense à ce que m’a dit l’officier avant de venir et je n’ose plus rien dire. Je suis paralysé par la peur et attends que les présentations soient terminées.
Ce cérémonial ne dure que dix minutes, puis on me ramène dans ma cellule.
Je sais à présent que j’ai de nouveau laissé passer une chance. J’aurais dû crier mon innocence et protester contre cet internement injuste qui durait depuis deux ans et demi. J’aurais dû dire que je ne savais toujours pas pourquoi ce sort m’était réservé. J’aurais peut-être dû les secouer, leur dévoiler la vérité sur les hommes dont ils étaient les hotes et qui étaient ceux-là mêmes qui extorquaient des dépositions au moyen de tortures brutales, sans se préoccuper de justice. J’aurais peut-être pu rompre leur silence si je leur avais dit que j’avais encore moins de droits que les criminels qui, eux, savaient au moins pour combien de temps ils étaient enfermés.