Révisé le 30 décembre à à 21:07
Dans ce billet Mahmoud Bah nous raconte pourquoi et comment le tyran Sékou Touré après avoir arrêté et condamné à 7 ans les principaux responsables du syndicat des enseignants pour avoir demandé une revalorisation de leurs conditions de vie s’en est pris violemment aux étudiants. |
L’enthousiasme, l’unanimité et la ferveur des derniers mois de 1958 font place de plus en plus à une profonde amertume.
C’est dans cette atmosphère de crise sociale et politique que le Syndicat des Enseignants, après avoir tenu officiellement son Congrès en avril 1961, adresse une lettre au Gouvernement à propos d’une revalorisation des salaires longtemps promise et récemment octroyée. La lettre constate, sous forme de mémorandum, l’insuffisance de la revalorisation et demande qu’elle soit reconsidérée, améliorée, tout en affirmant sa soumission à la décision que prendra le Parti. La lettre se termine par ces mots: « Le propre de la Nation, c’est d’être le Bien commun de tous ses fils. »
Le 15 novembre 1961, l’UNTG (Union Nationale des Travailleurs Guinéens) tient une conférence des cadres. Cette conférence souhaite trouver un accord de l’ensemble du mouvement syndical sur la revalorisation des salaires.
En réaction à cette situation, le Bureau Directeur du Syndicat des Enseignants est « accusé de haute trahison » et pris comme bouc émissaire. Ses membres sont traduits devant un Tribunal spécial, accusés de diffusion illégale de documents calomnieux et anti-Parti. Le Tribunal, présidé par Saifoulaye Diallo, condamne chaque enseignant à sept ans de prison ferme. Ainsi :
- Koumandian Keïta
- Ibrahim Kaba Bah
- Mamadou Traoré (Ray Autra)
- Djibril Tamsir Niane
- Mamadou Gangué Bah, etc.
sont immédiatement mis aux arrêts.
Le Syndicat des fonctionnaires proteste contre ces mesures. Plusieurs de ses Responsables sont arrêtés:
- Mountagha Baldé
- Hacimiou Baldé
- Kolon Koundou Diallo
- Kenda Diallo, etc.
En apprenant l’arrestation de leurs maîtres et professeurs, les élèves de Conakry se mettent en grève, bientôt suivis par ceux de l’intérieur. Les jeunes filles quittent leur collège situé en ville pour rejoindre les garçons au Lycée de Donka. Elles sont arrêtées par l’Armée au niveau de l’hôpital de Donka: matraques, gaz lacrymogènes, coups de crosse. Plusieurs sont blessées ou tombent évanouies. L’Armée, sous la direction de Fodéba Keita, ministre de la Défense et de la Sécurité 3, encercle le Lycée par un cortège de chars et de camions. Après trois jours de siège, on oblige les élèves à sortir un à un, les mains en l’air, pour embarquer dans les camions. Ils sont conduits au Camp Alfa Yaya, près de l’aéroport.
A l’intérieur du pays, les élèves se révoltent. Ils sont sauvagement matés et les écoles fermées. A Labé, la répression est particulièrement féroce. L’Armée quitte le Camp El Hadj Omar situé à 7 km de la ville et investit le centre de Labé. Des tirs de chars sont ordonnés. Un ouvrier peintre qui réalise une affiche pour le Parti à l’entrée de la permanence est tué net.
Décembre 1961: toutes les écoles de Guinée sont fermées, les élèves emprisonnés, torturés, avant d’être renvoyés chez leurs parents. Des meetings sont organisés où on oblige des parents à renier leurs enfants.
Sékou Touré, dans de violents discours, traite les enseignants et universitaires d’intellectuels tarés. Certains de ces enseignants, croyant naïvement que Sékou Touré était des leurs, n’avaient pas caché au Président leur penchant marxiste. Sékou en profite pour accuser l’URSS de vouloir exporter la Révolution en Guinée et crie:
« La Révolution ne s’exporte pas ! »
Il ordonne le départ de l’Ambassadeur soviétique après avoir demandé et obtenu des assurances du Gouvernement des USA, présidé alors par John F. Kennedy. Il jouera toujours ce jeu de bascule d’une puissance à une autre, d’une part pour se soustraire à ses engagements, d’autre part, pour être seul maître à bord de l’embarcation guinéenne.
Le riz manque dans le pays pour les raisons avancées plus haut. Le Président déclare carrément que ce sont les enseignants qui ont empêché la livraison de riz ! Il n’explique pas comment, mais ajoute que c’est pour inciter les populations à la révolte.
Le PDG tient un Conseil National à Labé. Dans un ton encore plus violent qu’à Conakry, le Président menace d’extermination ceux qu’il appelle « les féodaux, les ennemis du Parti ». Il promet « d’étouffer dans l’œuf tous les comploteurs ». Car pour lui, c’est là un nouveau complot ourdi par les enseignants.
Le comploteur en fait, est toujours lui. Il va enfoncer le pays dans un bain de terreur psychopolitique et physique, supprimer les droits et libertés qui subsistent.
A partir de 1961, les Syndicats sont dirigés par le Parti: le Président de la CNTG est nommé par le Parti; les activités syndicales doivent « suivre la ligne du Parti ».
Qui aurait cru, en novembre 1953, alors que le Syndicat Guinéen était en grève, que Sékou Touré domestiquerait un jour ce même Syndicat et lui ôterait toute raison d’exister?
Le fait est encore une fois que, en matière de droits et libertés de l’individu, le régime colonial a été plus tolérant que le régime du PDG-Sékou Touré.
A l’extérieur du Pays, les étudiants guinéens manifestent vivement contre les mesures répressives visant l’Ecole guinéenne. Bien qu’étant intégrés dans le Mouvement JRDA, les étudiants n’hésitent pas à adresser des télégrammes au Gouvernement Guinéen pour condamner ses actes et exiger la libération des détenus et la réouverture des écoles.
En France, les étudiants guinéens alertent l’opinion sur les événements en Guinée par de nombreux tracts et réunions d’information. Le Gouvernement exige que les étudiants reviennent sur leurs déclarations. L’Ambassadeur Tibou Tounkara envoie un télégramme à chaque étudiant boursier. Les étudiants ne se laissent pas intimider. Devant le refus de ceux-ci, le Gouvernement coupe leur bourse. Il ordonne à l’Ambassadeur de rapatrier en Guinée tous les étudiants pour « explication et réintégration. » La guerre est ouverte entre le PDG et le Mouvement étudiant.
A Dakar, l’Ambassadeur de Guinée décide de passer aux actes et entreprend de ramener de force les étudiants en Guinée. C’est l’époque où Siradiou Diallo 4, menacé d’enlèvement et de liquidation par les agents de Sékou Touré doit quitter l’Université de Dakar pour venir en France.
Les étudiants qui sont dans les pays de l’Est (Allemagne de l’Est, Pologne, URSS, etc.) sont ramenés manu militari à Conakry pour « explication ».
Après ce coup contre les enseignants et les élèves guinéens, l’insécurité devient plus inquiétante dans le pays. C’est le début de l’exode massif des élèves et des cadres intellectuels. Le cadre et les conditions de vie deviennent de plus en plus insupportables.
Les cadres progressistes étrangers venus en masse au lendemain du Référendum pour prêter main-forte à un Gouvernement qu’ils croyaient soucieux du développement social et économique du pays, s’empressent de repartir. Nombre d’entre eux sont ouvertement menacés. L’un deux, Yves Bénot 5 écrira: « Sékou Touré, c’est Staline moins Manitogorsk ». Un seul restera qui s’est rangé du côté de Sékou Touré, qui en a épousé les méthodes et qui le servira inconditionnellement jusqu’à la fin du régime: Louis Béhanzin, originaire du Bénin.