Après les tentatives de destruction des Arméniens et des Juifs d’Europe, le génocide des Tutsi en 1994 est le dernier des génocides du 20e siècle. Orchestré par le parti au pouvoir au Rwanda, le génocide a fait un million de victimes en l’espace de 3 mois.
A l’instar des génocides précédents, celui des Tutsi a commencé par une phase de stigmatisation de la population, s’est poursuivi par la persécution qui allait déboucher sur la mise à mort.
Pour autant, ce meurtre de masse caractérisé a ceci de particulier qu’il est le premier « génocide de proximité ». Bourreaux et victimes étaient en effets des voisins, comme sont aujourd’hui voisins les survivants Tutsi et les Hutu convaincus de crimes par les juridictions de proximité mise en place par le nouveau régime.
Par son ampleur comme par les mécanismes mis en oeuvre, le génocide des Tutsi pose aux Etats, aux organisations internationales et au citoyen des questions cruciales et toujours actuelles.
Conditionnement haineux de la population
Le génocide des Tutsi s’enracine dans la politique coloniale et l’idéologie du XIXe siècle. Le colonisateur belge choisit en un premier temps de s’appuyer sur les Tutsi en créant le mythe de leur supériorité sur l’autre communauté, les Hutu.
L’antagonisme né de cette hiérarchisation est exacerbé lors de l’indépendance du Rwanda dans les années 60, marquées par un renversement du pouvoir qui échoit alors aux Hutu avec l’appui de la Belgique. Le jeune Etat rwandais réduit toute forme d’opposition politique à une lutte raciale opposant des soi-disant ethnies, en fait des communautés apparentées historiquement à des clans.
Chassés et tués comme des animaux
Dans ce contexte, alors que le multipartisme autorisé en 1991 permet à l’opposition de se manifester, le pouvoir hutu développe une propagande haineuse qui prépare psychologiquement la population au génocide. Le rôle de conditionnement des médias comme le poids des mots est déterminant. Les Tutsi sont assimilés à des insectes nuisibles dont il faut se débarrasser.
Le processus d’animalisation va déboucher en avril, lorsque commence le génocide, sur une chasse au « gibier » suivie d’une mise à mort des victimes, abattues avec cruauté et comme du bétail.
L’inaction de la communauté internationale
La rapidité et l’ampleur des meurtres expliquent pour une part l’absence de réaction dans le pays où les actions qui sont alors menées touchent davantage au sauvetage, y compris par des Hutu hostiles au génocide, qu’à la résistance armée.
Sur ce plan, la défection de la communauté internationale a été catastrophique. Disqualifiée par son soutien au régime du président hutu, Juvénal Habyarimana, la France a retiré ses forces en 1993.
L’implication de la population civile
À la différence du génocide des Juifs, la mise à mort des Tutsi n’est pas concentrée dans des sites spécifiques comme des camps d’extermination. L’assassinat planifié se déroule dans l’espace du quotidien. Dès le 7 avril 1994, des barrières sont montées à tous des carrefours stratégiques, à Kigali la capitale, puis sur l’ensemble du pays.
Les possesseur d’une carte d’identité portant la mention « tutsi » sont abattus sur place. L’implication de la population civile dans les massacres est un des traits marquant du génocide.
Regroupés en petites formations, appelées ibitero, les meurtriers comptent aussi bien des jeunes hommes que des femmes et même des d’enfants.
Le 4 juillet 1994, la victoire militaire du Front Patriotique Rwandais, créé par les Tutsi en 1987, marque la fin des massacres, et le début d’une reconstruction civile et morale qui passe par le jugement des responsables du génocide, et non des seuls exécutants.
Le Mémorial de la Shoah a consacré une exposition au génocide des Tutsi au Rwanda du 11 avril au 5 octobre 2014.
Comment est-on arrivé là?
Ce génocide est le résultat d’une long processus qui trouve ses origines dans la politique coloniale d’abord allemande, puis belge. En voici les derniers développements.
Obsession du nombre, obsession de la menace
Le 5 juillet 1973, le président Grégoire Kayibanda est renversé par le général-major Juvénal Habyarimana. Le coup d’État intervient quelques mois après un nouveau massacre accompagné de purges menées dans les écoles et la fonction publique contre une présence tutsi jugée intolérable. L’avènement de la IIe République ne change pas fondamentalement la nature d’un régime fondé sur un parti unique créé en 1975 – le Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement (MRND) – et sur la discrimination institutionnalisée d’une partie de la population.
Loin de rompre avec la rhétorique du « peuple majoritaire » justifiant l’exclusion des Tutsi, le nouveau pouvoir se proclame héritier de la « révolution sociale » de 1959 dont il entend affermir les principes. Sous couvert d’une rhétorique de justice sociale, la politique d’« équilibre ethnique et régionale » masque une véritable institutionnalisation de la discrimination à l’encontre des Tutsi. Dès le mois d’août 1973, le ministre de l’Éducation encourage les directeurs d’écoles secondaires à prêter une attention scrupuleuse aux proportions « ethniques » et « régionales » dans les modalités d’accès à leurs établissements.
Cette force du nombre, le « peuple majoritaire » ne saurait la préserver sans le recours à un appareil statistique s’imposant dans toutes les sphères de la vie sociale. Ainsi, la politique du nombre conduite par le régime Habyarimana confère à la « majorité » une existence rationnelle et objective quand elle entretient l’imaginaire d’une « minorité » sournoise et menaçante.
Texte extrait du site Mémorial de la Shoah