Dans son livre Camp Boiro. Parler ou périr (disponible entièrement et gratuitement sur le site campboiro.org), l’ancien ministre Alsény René Gomez du Général Lansana Conté, nous raconte comment il a eu connaissance de l’agression du 22 novembre 1970contre la Guinée et comment il a vécu les heures successives.
Cependant, je voudrais rappeler ce que j’écrivais dans un billet le 29 septembre 2015 relatant son arrestation qui eut lieu le 22 septembre 1971:
De son passage au gouvernement de feu le Général Lansana Conté, il est difficile de retenir des faits marquants à son actif dans l’établissement d’un état de droit ou pour une tentative de réhabilitation des victimes innocentes du régime dictatorial. Pourtant, il faisait partie de l’Association des victimes du Camp Boiro.
Je l’ai connu durant un séjour qu’il a effectué à Vienne, dès sa libération. Il était jovial et plein d’anecdotes marrantes. C’est ce qui explique qu’il était populaire parmi les autres prisonniers au Camp Boiro car il réussissait à rendre la vie carcérale moins pénible.
C’était un samedi, 22ème jour du mois de ramadan. Les fidèles musulmans respectueux des prescriptions du saint Coran, prenaient un repos bien mérité avant d’aborder la dernière semaine de carême. Malgré cela, les lieux de loisirs étaient bien fréquentés par la jeunesse de la capitale. En ce qui me concerne, je dormais profondément lorsque je fus réveillé par mon épouse qui avait le sommeil très léger à cause de l’enfant en bas âge. Des bruits sourds et répétés étaient perceptibles au lointain. Une fois réveillé, je regardai l’heure, il était 02h30 du matin. Surpris et inquiet, je pris immédiatement le téléphone pour appeler mon ministre de tutelle, Karim Bangoura. Il mit du temps avant de répondre car il dormait. Puis je le mis au courant de la situation :
— Monsieur le ministre je m’excuse de vous déranger, mais des bruits sourds et répétés sont perçus au lointain, et semblent provenir de la ville.
— Je n’entends rien.
— Il faut alors ouvrir votre fenêtre.
— Oui j’entends à présent, mais j’ignore ce que c’est. Y aurait-il des explosifs dans un bateau en rade ?
— A ma connaissance, non.
J’avais alors demandé d’interrompre la communication pour me permettre de sortir dans la cour.
Notre villa trônant sur une colline, les bruits étaient devenus plus faciles à identifier, et l’on pouvait à présent penser à des armes lourdes.
Je fis le compte rendu à mon Ministre. Cela l’inquiétait et il voulut se rendre en ville, car disait-il, « dans ces conditions, ma place est auprès du Président.»
Je lui avais alors recommandé d’attendre le lever du jour, pour avoir de plus amples informations, et surtout d’éviter d’aller à l’aveuglette, au risque de ne jamais arriver à destination. Quant à moi, je m’étais habillé pour me rendre à mon bureau qui se trouvait à quelques centaines de mètres plus bas.
Une fois sur place, je constatai que tous les hommes étaient à leur poste, et que la situation était normale. Je décidai alors de me rendre au village de Gbessia, situé en bordure de mer, au sud de la piste, pour voir Bangoura Facinet. Etant travailleur à l’aéroport, il était aussi membre de la section du parti, donc la plus haute autorité politique dont le domaine de compétence couvrait le secteur de l’aéroport. J’avais dû traverser seul en voiture la piste d’atterrissage pour me rendre sur place. Comme tout le monde, les populations de cette localité située en haute banlieue étaient au dehors et semblaient très angoissées.
J’embarquai Facinet dans ma voiture et nous sommes revenus au bureau. Une fois sur place, je lui demandai de prendre un camion incendie pour se rendre au Camp militaire Alpha Yaya, qui se trouvait non loin de là, afin de connaître les dispositions envisagées par la hiérarchie militaire pour les installations de l’aéroport.
Au Camp, c’était la frustration voire même un début de débandade. En effet, les officiers étaient là impuissants, car disait-on, « les clefs de l’armurerie étaient détenues par le Président, et tout le monde était dans l’attente. »
En fin de compte, je suis resté consigné à mon bureau pendant quarante-huit heures sans regagner mon domicile. Mes repas étaient servis sur place. Le téléphone sonnait à tout moment et je devais répondre à chaque appel. L’aéroport étant une zone stratégique. Chacun cherchait à connaître ce qui s’y passait. Fort heureusement, aucune perturbation n’était à signaler.
Toutefois, après le lever du jour, les préoccupations de mes interlocuteurs avaient changé. La priorité c’était l’arrivée des troupes de renfort venant du Camp Kémé Bouréma de Kindia, une garnison située à 150 kilomètres de la capitale. Conakry n’avait à l’époque qu’une seule voie d’accès, les convois devaient donc nécessairement passer devant l’aéroport. J’ai encore en mémoire les appels répétés et angoissés de certains de mes interlocuteurs, qui étaient de hauts dignitaires du régime. Au fur et à mesure que le temps passait, l’inquiétude et le désespoir étaient nettement perceptibles dans leur voix. Il m’aura fallu attendre plusieurs mois et des témoignages de détenus pour savoir que :
- Le groupe des assaillants qui devait attaquer l’aéroport et détruire les avions au sol, avait refusé d’exécuter les consignes. Le responsable de l’opération Jean Januaro Lopez avait justifié son refus en précisant qu’au moment où il recevait les instructions au port d’embarquement, leur destination n’avait pas été révélée. C’est une fois le débarquement effectué, qu’il se serait rendu compte qu’il s’agissait de la Guinée. Il était donc resté en embuscade avec ses hommes dans les hautes herbes le long de la piste.
Au lever du jour, il avait effectivement envoyé un émissaire au village pour signaler leur présence, et transmettre la décision de leur reddition. - Si la mission de Lopez avait été exécutée jusqu’au bout, peut-être que le cours des évènements aurait changé, et que, moi-même, je n’aurais pas eu l’occasion de relater ces faits. Ce geste, avec tout ce qu’il comporte comme signification, n’avait pas épargné Januaro Lopez et ses hommes. Ils subirent le même sort que tous les autres assaillants faits prisonniers.
- Les appels angoissés que je recevais provenaient, pour certains, de dignitaires cachés dans des chambres de l’hôtel Camayenne, alors que d’autres étaient terrés dans des maisons de quartier, au point que l’on disait qu’ils étaient sous les lits.
De son côté, dès l’aube le ministre Karim Bangoura s’était rendu à la Présidence. Plus de doute possible sur les origines des coups de feu nocturnes car les dégâts humains et matériels étaient visibles à certains points stratégiques de la capitale, tels que la route passant devant la centrale électrique en ville, et l’entrée du Camp Boiro en banlieue. Stationnant dans nos eaux territoriales, les navires ennemis étaient encore là, à portée de canon, comme pour nous narguer face à l’impuissance de notre marine et notre aviation.
Mais comment en était-on arrivé là ?