Le Mois de mai 1979, comme à l’approche de chaque anniversaire du PDG, c’était l’espoir dans les familles et dans les cellules.
Alseny René GOMEZ, décédé à Paris le 31 mars 2012 des suites d’une longue maladie, a passé 7 ans au Camp Boiro, sous le régime sanguinaire de Sékou Touré. Il fut libéré le 13 mai 1979. Il alla passer quelques mois à Vienne, en Autriche, chez un ami commun, où j’ai eu l’occasion de le connaitre. C’était une personne très attachante, qui savait faire rire au point qu’au Camp Boiro, il était fameux pour le soutien qu’il apportait à ses compagnons de malheur.
À sa libération, il a occupé plusieurs postes de hautes responsabilités. Il a été notamment ministre de l’intérieur et de la sécurité, ambassadeur de Guinée au Libéria, secrétaire général à la présidence de la République sous le Général Lansana Conté.
Malheureusement, bien qu’étant membre de l’Association des victimes du Camp Boiro, il est difficile de retrouver un seul un acte positif qu’il ait posé pour que les martyrs de la révolution aient la justice, l’identification des fosses communes, la réhabilitation ou la restitution de leurs corps et le reste de leurs biens à leurs familles.
Il est l’auteur de deux ouvrages :’’Parler ou Périr’’ (accessible gratuitement sur campboiro.org) et « La Guinée peut –elle être changé? »(qu’on peut acheter en ligne). C’est du premier livre que j’ai tiré le passage que je vous propose aujourd’hui.
Il nous raconte ici comment il a été libéré et ses premiers instants de liberté.
Ce billet est extrait d’une première version publiée le 31 mars 2016
Mois de mai 1979, comme à l’approche de chaque anniversaire du PDG, c’était l’espoir dans les familles et dans les cellules. D’un côté avec le frigidaire garni, et le pyjama neuf soigneusement rangé dans l’armoire, puis côté cellule, où l’on avait déjà dressé la liste de ceux qui devaient hériter de la vieille couverture, de la tenue délavée, ou des ustensiles fabriqués localement. Depuis plusieurs jours déjà, bien avant la date anniversaire du parti le 14 mai, nous étions prêts et nous attendions. Dès le 9 mai j’
Le 13 mai vers 20h00, je me trouvais à l’infirmerie, lorsque le major Sakho fit son apparition. Il venait tout droit du bureau de Siaka Touré :
— Je crois qu’il va y avoir libération, dit-il, on vient tout juste d’amener la liste. Je n’ai pas pu la lire, mais je pense que l’opération est imminente.
Je venais tout juste de raccrocher ma blouse blanche. Les détenus avaient rejoint leurs cellules, mais les portes étaient restées ouvertes. En rejoignant ma cellule, j’avais eu le temps de propager la bonne nouvelle sur mon passage. Trente minutes plus tard, le papier était arrivé au poste de police. Nous étions dix-huit sur la liste. A notre sortie du Bloc nous avions fait un bref arrêt au bureau de Siaka Touré, le temps de recevoir les dernières recommandations.
Puis comme tout le monde, j’avais reçu un certificat de libération en date du 13 mai 1979, confirmant que j’avais été gracié par le Responsable Suprême de la Révolution. Après cette formalité nous avons été livrés dans nos différentes familles comme des colis. Quant à moi, je fus ramené chez mon oncle, car j’ignorais le domicile de ma famille. D’ailleurs, même si je le savais je ne pouvais pas le dire, sans que l’on me demande comment je l’avais su.
Arrivé au quartier Sans-Fil, en franchissant la porte du salon pour aller me jeter dans les bras de ma tante, j’ai dépassé sans même m’y attarder, un adolescent qui était à la porte. Puis le pointant du doigt ma tante me dit :
— Voilà ton fils.
Alors, en une fraction de seconde j’avais pu mesurer le temps passé en prison, et tout le préjudice fait à ma famille.
Après avoir embrassé mon fils, je fus conduit, coutume oblige, au bord de la mer pour un bain de purification, tout juste derrière les bureaux des anciens combattants, tout un symbole. De là j’ai été conduit accompagné de mon fils à Dixinn, dans la concession familiale. Ma femme, qui avait été informée par ma tante, n’avait pu attendre à la maison. Elle avait donc décidé d’aller à Dixinn à notre rencontre. Quel bonheur de retrouver mon épouse, ma mère et mes soeurs. Il avait fallu à ma tante beaucoup de tact et de persuasion pour m’arracher à la foule des voisins et amis du quartier, où tout le monde connaît tout le monde. Puis ce fut le départ pour la maison, celle qui allait devenir maintenant ma maison. Par coïncidence il se trouvait que le 13 mai était la date anniversaire de Yayé Aye, une belle-soeur.
Lorsque je suis arrivé le premier à la porte du salon, les décibels et la lumière inondaient la pièce. Personne ne faisait attention, car personne dans l’assistance ne me connaissait. Puis tout s’est arrêté tout d’un coup, lorsque mon épouse, qui était derrière, est rentrée à son tour. La soirée d’anniversaire était achevée, et une autre commençait pour moi, qui allait se prolonger presque jusqu’au petit matin, avec les visiteurs qui venaient voir et toucher l’extra-terrestre que j’étais. Au milieu des pleurs des proches et la curiosité des autres visiteurs, une lueur d’espérance pour l’avenir. On dit que bon sang ne peut mentir. C’est ainsi qu’après avoir embrassé ma fille, qui avait quatorze mois à mon arrestation, et qui avait eu ses neuf ans à présent, celle-ci était sortie en courant pour aller interpeller ses copines :
— Venez voir, moi aussi, j’ai un père.
Je crois que c’est à partir de ce moment que je me suis senti réellement libéré.
La première semaine de liberté est toujours épuisante. Beaucoup de mains à serrer, et très peu de visages retenus. Surtout des nuits blanches au cours desquelles nous avions eu à revivre en huit jours, huit années d’absence.
Puis par Décret no. 210 en date du 21 mai 1979, j’apprenais avec étonnement que j’avais été effectivement condamné et emprisonné à la prison civile de Conakry. Moi, qui croyais avoir fait tout mon temps au Camp Boiro, je ne me retrouvais plus. J’avais oublié que la République Populaire et Révolutionnaire de Guinée n’avait pas de détenus politiques. Je n’étais que le quatre cent vingt-trois (423ème) détenu de droit commun ayant bénéficié d’une remise sur une peine de durée inconnue, à l’occasion de la fête du PDG.
Après ma sortie, je fus très soulagé par le soutien moral et matériel de ma famille. Avec ma première voiture offerte par mon oncle Linseni, je m’étais tout d’abord rendu à Dalaba, où se trouvait ma belle-famille afin de pouvoir profiter non seulement du climat et de la quiétude des lieux, mais aussi pour passer quelques bons moments auprès de ma belle-mère et de ma fille, qui s’y trouvait. Après ce séjour, faute d’autorisation de sortie pour l’extérieur, j’avais pu finalement profiter de la généreuse hospitalité de mon ami d’enfance, Coumbassa Abdoulaye, dit Durac, directeur des douanes à Kamsar une ville industrielle située à 300 kilomètres de la capitale. Ainsi grâce à ses relations, j’ai pu bénéficier gratuitement d’une prise en charge par l’hôpital de la compagnie CBG, dont les équipements et le personnel étaient de très grande qualité. Finalement les dégâts physiques étant circonscrits et jugés acceptables, il me restait une dernière obligation.
Il veut parler de sa conversion à l’Islam. Une première « cérémonie », certes sommaire, mais qu’il juge suffisante avait eu lieu au Camp Boiro. Mais il tenait à la refaire dans une mosquée et surtout avec la participation de la famille et des proches.