André Lewin, lorsqu’il était en poste comme ambassadeur de France à Conakry s’était lié lié d’amitié au tyran Sékou Touré. A la mort de sanguinaire il a écrit une volumineuse oeuvre pour sa thèse de doctorat, en 8 volumes, Ahmed Sékou Touré (1922-1984). Président de la Guinée de 1958 à 1984.
Moi, j’ai fait sa connaissance lorsqu’il a été nommé ambassadeur de France à Vienne. A peine il a rejoint son poste, il a invité la communauté guinéenne dans la capitale autrichienne. Nous n’étions alors que: le doyen Mamadou Barry, l’écrivain Mohamed Touré, connu comme Fantouré en tant qu’auteur et moi.
Ses opinions et prises de position sont souvent biaisées à cause des sentiments personnels qui le lient à notre tyran. Ensuite, ses livres contiennent, souvent, des erreurs dues à une connaissance incomplète de certains faits. Le prof. Tierno S. Bah, Directeur du site du Mémorial Camp Boiro, qui est professeur d’histoire aux États Unis, veille sur ce point à faire les corrections nécessaires.
Dans la nuit du samedi 21 au dimanche 22 novembre 2, plusieurs unités navales battant pavillon portugais (probablement six bateaux de guerre et péniches de débarquement) pénètrent dans les eaux territoriales guinéennes et aprrochent de la côte en face de Conakry.
Des centaines de commandos en tenue militaire et munis de brassards verts 3 débarquent en plusieurs vagues à bord de petites barques sur les plages de la capitale et se dirigent vers des objectifs clairement désignés (au nombre de 53) et attribués au préalable à chacun des groupes : le Camp Boiro (où croupissent encore, parmi nombre d’autres détenus, des prisonniers plus illustres, tels le colonelKaman Diaby, rescapé du « Complot des militaires » de l’année précédente, ou l’ambassadeur auprès de l’ONU Marof Achkar), le quartier général du PAIGC où est installé l’état-major du mouvement de libération de la Guinée-Bissau, les camps militaires Samory et Alpha Yaya, l’aéroport, la centrale électrique, la poste, le bâtiment de la radiodiffusion nationale, le siège des principaux ministères, ainsi que le palais présidentiel (le Palais en ville, et sa résidence de banlieue, la villa Belle-Vue).
[Erratum. — Colonel Kaman Diaby avait été fusillé « la nuit du 26 au 27 mai 1969 » en même temps que ses co-accusés Fodéba Keita, Diawadou Barry, Karim Fofana, etc. (Kindo Touré, “L’extraction des condamnés” in Unique Survivant du Complot Kaman Fodéba, 1987) — Tierno S. Bah]
Pour les Portugais et leurs unités largement formées d’originaires de la Guinée-Bissau, l’objectif prioritaire était de libérer des militaires fait prisonniers par des groupe du PAIGC et emprisonnés à Conakry, le second objectif était d’anéantir ou de frapper durement l’état-major du PAIGC, installé dans des bâtiments du quartier de Belle-Vue, pas très éloignés de la côte.
Pour les opposants guinéens qui étaient venus avec les forces portugaises (et grâce à elles), ainsi qu’éventuellement pour les services secrets français ou occidentaux qui seront ultérieurement mis en cause, l’objectif était de libérer certain détenus politiques emprisonnés au Camp Boiro, mais plus encore de frapper et si possible de renverser le régime : idéalement se saisir de Sékou Touré lui-même, d’un certain nombre de dignitaires du Parti ou du gouvernement, et occuper des centres du pouvoir pour pouvoir lancer une proclamation et annoncer la formation d’un nouveau gouvernement.
Le moment de cette opération n’a pas été choisi par hasard. Et ce n’est pas, comme Sékou Touré le croit ou fait semblant de le croire, et ainsi qu’il le dit à plusieurs reprises dans ses proclamations, parce que le 22 novembre est l’anniversaire du général de Gaulle (décédé deux semaines auparavant, le 9 novembre) et que cette opération aurait été montée — par les Portugais ? — pour lui rendre un hommage posthume ! En fait, une dizaine de dates différentes avaient été envisagées, l’opération avait déjà été retardée à plusieurs reprises, et c’est finalement une conjonction d’éléments favorable qui avaient permis de la déclencher cette nuit-là : une nuit sans lune, une forte marée haute permettant aux navires d’approcher plus près de la côte, une brume intense les protégeant longtemps des regard des veilleurs, un week-end coïncidant avec la fin du Ramadan (période où les musulmans pratiquants sont généralement un peu las en raison des jeûnes), alors que de nombreux responsables civils et militaires étaient en train de célébrer cette fête en famille et ne faisaient certainement pas preuve de grande vigilance ; les habitants de la capitale, y compris les militants, les miliciens, les policiers, étaient eux aussi en pleine célébration et leur mobilisation n’a certainement été ni facile ni rapide.
Pourtant, assez vite, la population s’est rendu compte qu’il se passait quelque chose d’anormal, d’autant que des fusillades ont rapidement éclaté, que de obus ont été tirés depuis les navires qui avaient jeté l’ancre non loin du rivage, et que des avions survolaient la capitale (ce qui ne se produisait pratiquement jamais de nuit). Les autorités ont été alertées, des unités de l’armée, de la police et de la milice populaire ont commencé à circuler en ville en cherchant à localiser les assaillants, et les échanges de coups de feu se sont intensifiés.
Il y eut assez vite des mort des deux côtés, ainsi que des blessés. Parmi les morts, un ressortissant de la République fédérale d’Allemagne, le Comte Ulf von Tiesenhausen, un aristocrate issu d’une illustre famille ayant des liens avec la Saxe et les pays baltes, directeur de l’entreprise ouest-allemande Fritz Werner, membre influent de la communauté des Européens de la capitale, tué alors qu’il rentrait chez lui après une soirée avec des amis et en les reconduisant dans leur maison de La Minière, selon lui, mais, selon les mises en cause ultérieures de la RFA dans l’agression, en allant montrer le chemin à des groupes d’assaillants.
L’objectif recherché par les Portugais a été assez rapidement atteint, et plusieurs militaires portugais ou originaires de GuinéeBissau retenus prisonniers ont été repérés et libérés.
Certains officiers portugais blancs avaient d’ailleurs été transférés peu avant le débarquement depuis la prison de Mamou vers Conakry.
Les militants du PAIGC en revanche ne s’étaient pas laissé surprendre dans leur état-major du quartier de La Minière, pratiquement vide, et surtout, le leader du mouvement, Amilcar Cabral, était en visite en Roumanie et donc absent de Guinée, à la grande déception des responsables portugais, qui détruiront sa maison 6. De multiples bâtiments ont été démolis ou endommagés. A l’aube ou dès les premières heures de la matinée du dimanche, les forces portugaises étaient en fait prêtes à rembarquer. Si elles ne l’ont pas fait, c’est sans nul doute à la demande des opposants guinéens venus avec eux, et qui étaient bien loin de parvenir à leurs fins.
Sans doute avaient-ils libéré un certain nombre de détenus du Camp Boiro (dont l’ambassadeur Marof Achkar), et y avaient-ils enfermé quelques uns des (rares) responsables civils ou militaires sur lesquels ils avaient pu mettre la main. Contrairement à ce qu’affirmera quelques jours plus tard une lettre ouverte adressée par le RGE (Rassemblement des Guinéens en Europe) au Secrétaire général de l’ONU, le général Lansana Diané, qui aurait été dénoncé par des prisonniers libérés « exigeant qu’il soit fusillé, ce qui fut fait sur le champ », a pu échapper aux assaillants. Mais par suite d’une préparation insuffisante ou d’une négligence incroyable, ils se sont dirigé vers un bâtiment de la radiodiffusion qui n’était plus en service depuis plusieurs semaines déjà, et ils ont donc été dans l’incapacité de diffuser leurs communiqués.
Pour ce qui est de la personne de Sékou Touré lui-même, les versions divergent. Selon certains, averti très vite de la tentative de débarquement, il se serait caché dans une maison amie, peut-être celle de la mère du directeur général de la sécurité présidentielle, Guy Guichard ; selon d’autres, il se serait dissimulé dans la case Belle-Vue, résidence présidentielle secondaire mais plus moderne ; selon d’autres, il serait réfugié dans la villa du consul soviétique ; selon d’autres encore, le général Noumandian Keita, chef d’état-major de l’armée et une délégation d’officiers seraient venus au Palais lui rendre compte, demander des instruction ainsi que l’autorisation de se faire ouvrir les réserves de munitions, et Sékou Touré aurait cru qu’ils venaient pour l’arrêter ; il les aurait alors suppliés de le tuer plutôt que de le livrer à la foule. En fait, il n’y a semble-t-il aucun témoignage crédible sur ce qui s’est passé au Palais cette nuit là.
[Erratum. — A propos de ces lieux de refuge la version généralement admise est celle de A. Portos Diallo, qui était aux côtés de Sékou Touré aux premières heures de l’attaque et qui organisa les cachettes du président une semaine durant en fin novembre 1970. — T.S. Bah]
Ce qui est certain, en tous cas, c’est qu’à 9 heures du matin, Sékou Touré lit à la radio une proclamation intitulée :
« Premier Appel à La Nation » (mais on ne sait où l’enregistrement a été effectué).
Le peuple de Guinée allait être bombardé de communiqués et de discours qui duraient des heures. Mais le plus grave, ce furent les arrestations sur la base de fausses accusations qui allaient vider le pays de la plupart de ses cadres, nationaux et étranger, des entreteneurs, de toutes les forces vives dans tous les domaines.