Mamou: retour sur les exécutions de mars 1984, les dernières cartouches d’un régime

La soif de sang guinéen de la part du tyran Sékou Touré n'a pris fin qu'avec sa propre mort. Alors qu'il devait mourir le 26 mars 1984, il a tué jusqu'au 21 mars, soit 5 jours avant que les guinéens soient délivrés de sa tyrannie.

Mercredi 21 mars 1984, cela fait maintenant 37 [39 aujourd’hui] ans que 4 citoyens de Mamou ont été exécutés au terrain de football de la ville. Ces exécutions ont été les dernières du régime Sékou Touré, car l’ultime prière des exécutés avant l’heure qui fut  » Que notre martyre soit le dernier en Guinée » fut exaucé  par Dieu, le président Sékou Touré décédant 5 jours plus tard, après ces fusillades.
Lire également: La cruauté de Sékou n’a eu d’égale que la rapacité de ses tortionnaires 
Notre reporter  à travers des témoins qui sont encore en vie, a décidé de vous faire revivre ce triste événement qui a plongé plusieurs familles de Mamou dans le désarroi.
Tout est partie d’une affaire de carte d’identité qu’un policier avait demandé à un citoyen de présenter. À la suite, une émeute éclata dans la ville. La police fut attaquée par des citoyens. Trois y perdirent la vie par balles. Plusieurs citoyens furent arrêtés à tort ou à raison. Quatre dont un muezzin furent condamnés à la peine capitale. Le quotidien Horoya dans son numéro 013,  paru le 12 mai 1984 mettra à sa Une  » Les dernières cartouches d’un tyran ».
Retour sur cet événement . Nous sommes le mardi 6 mars 1984, la ville connaît son animation habituelle. « Alpha Oumar Firo Bah en provenance du village Farenta, situé à une cinquantaine de kilomètres au sud de Mamou, portait son sac en bandoulière dans lequel il y avait de la monnaie léonaise, une somme qu’il a obtenu grâce à la vente de ses colas. Vers 10h, Il se promenait librement dans la ville de Mamou. Soudain, un policier l’arraisonne et exige de lui la présentation de la carte d’identité. Il ne l’avait pas sur lui. Il plaida le policier de l’épargner du contrôle.
C’est alors le policier lui intime de rebrousser chemin et de le suivre au commissariat situé à 300 mètres des lieux. Mamadou Lamarana Bah, le grand frère de Alpha Oumar, un marchand dont le kiosque est à quelques mètres, fut informé. Il intervient auprès du policier afin de laisser son jeune frère. Des curieux s’invitent pour observer la scène. Une chaude discussion s’en est suivie. Alpha Oumar confia son sac à son grand frère puis s’éclipsa pour chercher sa carte d’identité à son domicile situé dans le quartier Madina (qui était un PRL) à un kilomètre des lieux. Les disputes prennent une autre tournure.
Le policier sollicite un renfort de ses collègues. Au lieu de Alpha Oumar, c’est son grand frère Lamarana qui sera copieusement molesté par les policiers avant d’être conduit au commissariat« , rapporte le journal.
Horoya dans sa publication précise  » Au commissariat pour trouver une solution, arrivèrent Boubacar Fofana président du comité de surveillance du marché, Bobo Barry secrétaire général de la JRDA, Bobo Baldé membre du bureau fédéral, Mariama Dramé commandant de la section de gendarmerie et Guirassy Sano maire de PRL d’origine de Mamadou Lamarana Bah. La foule toujours compacte aux alentours du commissariat exige la libération de Lamarana. C’est alors que les Messieurs précités s’interposent et demandent l’évacuation des lieux. Mais en vain dit-on! Car, imperturbable, la foule demeure tout autant ferme que la police et pire, elle gronde, lance des cailloux et met le feu à la tapade qui tient lieu de clôture du commissariat. C’est dans cette mêlée que Boubacar Fofana et Mariama Dramé reçoivent l’un et l’autre des projectiles sur la tête et au nez. A leur tour pris en otage, les policiers et leurs supporters abandonnent les bureaux et se réfugient dans la cellule avec leurs prisonniers.
C’est en ce moment qu’un dignitaire de la place en informa le chef de l’État. Sékou Touré conclut immédiatement à un soulèvement contre son régime, ordonna dans un premier temps l’intervention du bataillon militaire de la place. L’armée intervient, en effet, quadrille la ville et tire en l’air quelques coups de sommations qui ne parviennent pas les manifestants. De Conakry, rivé au téléphone, le président Sékou Touré qui dirigeait en grand officier les opérations sur le terrain ordonna de tirer sur la population. Bilan trois morts dont Thialéré condamné en fin 1982 à 15 ans de travaux forcés par le tribunal de Kindia en était la première victime. Étant ce jour de corvée, certainement de transport d’eau, il avait échappé au contrôle du régisseur pour s’inscrire en première position dans les rangs des manifestants. Mamadou Bailo Bah 26 ans mécanicien soudeur« ,  lit-on.

Lire également: Comment est né le faux « complot peul » de Sékou Touré

Plusieurs personnes avaient été interpellées, parmi lesquelles, Amadou Oury Diallo « Hitler », un jeune commerçant bouillant très populaire à l’époque.
Saïdou DIALLO est jeune frère de Hitler, il revient sur les circonstances de l’arrestation de son frère  » ce jour là, mon frère était en brousse à la recherche des bois pour son four à briques. De retour à la maison, notre maman lui demanda de ne pas aller en ville car ça tirait partout. Il a décidé d’aller rester dans sa boutique pour éviter les pillages.
Dans la soirée, des agents lourdement armés à leur tête Bah Cubain arrivèrent chez nous à la recherche de mon frère. Ils fouillent toute la maison puis se retournent. Ma maman m’a dit d’aller m’informer des nouvelles de mon frère. Arrivé à sa boutique, j’ai informé mon frère qu’il était activement recherché. Il me demanda de s’enfermer dans la boutique pour qu’il se sauve. Dans la nuit, les policiers arrivent à la boutique. Ils m’ont bastonné avant de vider la boutique.
Les coups de crosse m’ont fracturé la jambe.  Plusieurs personnes furent arrêtées. Les cellules du commissariat étaient remplies à tel point que certains étaient ligotés dans la cour. Mon frère fut arrêté le lendemain et électrocuté à tel point qu’il a perdu l’usage de ses membres » explique t-il.
Une cinquantaine de personnes passeront du 7 au 11 mars 1984 devant la commission d’enquête avant de se retrouver devant la barre. Comme acte d’accusation, on note: « outrage à agent, rébellion manifeste, coups et blessures volontaires, destruction d’édifice, vol de denrées, abstention délicieuse et menace de mort.».
 Le procès s’est tenu publiquement à la maison des jeunes. Le président du tribunal de Mamou avait précisé que les interpellés ont tous reconnu les faits à leur reprochés. Les accusés avaient bénéficié de l’assistance de 4 avocats commis par le ministère public.
Malgré tout, la peine capitale sera prononcée contre 5 prévenus : Mamadou Lamarana Bah 37 ans, Oumar Diallo dit Belfegor, Hassane Bobo Banga, Mamadou Bailo Bah 47 ans muezzin et handicapé, Amadou Oury Diallo dit Hitler et Thierno Salmana dit Thierno Bouliwel 42 ans, ce dernier condamné par coutumace.
Sont condamnés à 15 ans de travaux forcés : Sory Sacko, Sory Camara Maninka, Mamadou Hady Baldé, Ibrahima Barry et Thierno Amadou Barry.
Sont condamnés à 10 ans de travaux forcés : Dyeila Barry, Issiaga Barry, Bintou Diallo et Guirassy Sano.
Sont condamnés à 5 ans de travaux forcés : Ibrahima Camara dit Séfou, Mouctar Fofana, Boubacar Tounkara, Moussa Keita, Mamadou Oury Diallo, Thierno Abdoulaye Barry, Mamadou Oury Barry, Kikala Traoré, Boubacar Barry et Boubacar Barry Dalaba.
A la suite du verdict, les familles des condamnés à la peine capitale ont décidé de cotiser chacune une somme de 100000 Sylis qui seraient octroyés à un certain dignitaire pour le rachat de la vie de leur proche. Saïdou DIALLO jeune frère d’Hitler précise  » notre frère avait commencé un bâtiment. Nous avons revendu ses 67 tôles à raison de 1500 sylis la feuille, somme à laquelle nous avions ajouté, de surcroît, la rondelette somme de 10000 Sylis« ,  indique t-il.
Hadja Fatou Banga l’épouse de Hassan Bobo Banga n’est pas restée les bras croisés « après la condamnation de mon mari, je suis partie à Kindia mon enfant au dos pour plaider sa cause. Mais en vain!«
Dans les colonnes de Horoya, Mamadou Bah, désigné émissaire des familles des condamnés pour plaider auprès des dignitaires du régime, témoigne « Dès après le prononcé du verdict, je suis parti à Faranah où j’ai remis à Hadja Passy épouse de Amara Touré la somme de 50000 Sylis. La démarche visait à déblayer le terrain et surtout à rentrer dans les bonnes grâces du grand frère du président. Le même jour, Amara reçoit par les soins d’un de ses familiers, en l’occurrence Mamoudou Condé, une enveloppe de 200000 Sylis.
Ce geste visait à l’amener à prendre fait et cause pour les condamnés à la peine capitale. En guise de réponse à cette doléance, Amara Touré ordonna à Mamoudou Condé de garder la somme en attendant qu’il intercède auprès de son jeune frère Sékou Touré seul habilité à octroyer la grâce. C’est dans cette perspective que j’ai préparé le terrain auprès du régisseur de la prison civile de Mamou à qui j’ai fait parvenir 30000 Sylis et ce, par l’entremise de Elhadj Moussa Bah, oncle de Bobo Banga. C’était le 14 mars, en début de soirée » souligne t-il.
Ainsi arriva le 21 mars, jour de l’exécution des peines. Déjà la veille, à 17h, un véhicule résonne dans les quartiers pour inviter la population à prendre part à l’exécution des condamnés au terrain de football.
Mercredi 21 mars, à l’embarcation des condamnés pour le terrain, les élèves de l’école primaire située à côté. Parmi les élèves présents, figuraient deux enfants de Amadou Oury Hitler. De là, ils ont couru en famille pour annoncer la mauvaise nouvelle.
Hadja Fatou Banga se souvient des derniers moments de son mari  » mon mari me demanda de lui préparer des courges c’est ce qu’il voulait manger. Sur le chemin de la prison, je rencontre leur cortège. On les conduisait au terrain pour l’exécution. Mon mari dans le groupe me regarda. Je ne pouvais rien. Certains me dirent de rentrer avec à la maison avec les enfants« .
Au terrain de football lieu d’exécution, les 4 condamnés furent ligotés contre des poteaux et emmaillotés dans des toges noires. Ils se débattaient et criaient leur innocence. Saïdou DIALLO revient sur les derniers propos de son frère Hitler «  Mon frère ligoté a dit: Dites à Sékou Touré d’arrêter de tuer injustement. Que nous soyons les derniers à être exécutés par lui » dit-il.
Quant à Mamadou Bailo Bah, le muezzin, il a formulé comme dernière volonté l’autorisation de faire ses ablutions et de lancer l’appel à la prière. C’est au troisième appel à la prière, que les balles du peloton lui transperçant la poitrine.
Après les exécutions, les corps furent traînés dans une fosse commune sous les manguiers du terrain où ils ont été enterrés. Les familles n’osaient pas pleurer leur mort. Les condoléances se présentaient dans la discrétion.
Cinq jours plus tard,  le 26 mars, le président Sékou Touré décède aux États- Unis.
Les jours qui ont suivi furent très rudes à Mamou. Pendant trois mois il n’a pas plu. Des sacrifices ont été faits. De lait caillé a été versé sur leur tombe et des prières mortuaires ont été formulées pour le repos de leur âme.

______

Un article de  publié sur guineenews.org le 23 mars 2021.

Laisser un commentaire avec Facebook
Quitter la version mobile