Ce billet est extrait du Chapitre IX intitulé Le « socialisme » de Sékou Touré du livre Noviciat d’un évêque : huit ans et huit mois de captivité sous Sékou Touré, de Mgr Raymond Marie Tchidimbo archevêque de Conakry. L’homme d’église analyse le pseudo socialisme du tyran, qu’il a connu et aidé avant son accès au pouvoir
« Chers frères et soeurs africains, vous n’avez pas à vous leurrer sur les vertus d’idéologies qui vous font miroiter un bonheur complet toujours remis à demain » (Jean-Paul II, Abidjan, 12 mai 1980).
La méprise française
On a longtemps cru en France, et un peu partout en Europe, que le socialisme de Sékou Touré était simplement une technique de développement et non un dogme. C’est pour cette raison que, vingt-six années durant (1958-1984), le dictateur de la Guinée aura bénéficié de la bienveillance des uns, et de la complicité des autres.
Il importe d’ajouter que Sékou Touré lui-même, au travers des « discours de bonne volonté » dont lui seul avait le secret, aura contribué à entretenir cette illusion sur sa personne. Mais écoutons-le plutôt.
A des journalistes qui, en 1959, lui posaient la question de savoir s’il était marxiste, Sékou Touré avait répondu : « Je vous mentirais, si je ne reconnaissais pas avoir lu beaucoup d’oeuvres de Mao-Tsé-Toung et beaucoup d’oeuvres des grands penseurs du marxisme… En Guinée, poursuivait-il, ce pays essentiellement croyant, nous pensons que ce sont les principes d’action concrète qui pourraient être adaptés à ses nécessités évolutives, et permettre ainsi l’action du peuple sur la nature et sur lui-même.»
Il avait dit « principes d’action concrète ». Il importe de tenir ce membre de phrase ; nous y reviendrons un peu plus loin.
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Certes, il reste vrai que son capital intellectuel ne permettait pas à Sékou Touré d’être au fait de l’idéologie marxiste ; mais grâce à des stages successifs dans la centrale syndicale française de la C.G.T., et grâce aussi à des périodes de formation répétées en Tchécoslovaquie, Sékou Touré était parvenu à assimiler les méthodes d’action du marxisme.
Le vrai personnage
Sékou Touré, sous ce rapport, était communiste ; un communisme passablement primaire, un peu vague et mystique.
Nous pouvons dire, en schématisant un peu, que pour Sékou Touré, le capital, c’était la puissance coloniale ; et le travail, c’était le peuple colonisé de Guinée. Aussi postulait-il dès 1944 la suppression de l’un des termes de cette relation, sans saisir vraiment le lien immanent, et encore moins les possibilités de dépassement de ces deux termes colonialisme et peuple exploité.
Cette connaissance un peu étriquée du communisme de Marx aura fait du communisme de Sékou Touré un communisme de caractère exclusivement négatif ; soit un communisme on ne peut plus simpliste
C’est ce qui explique, qu’une fois en possession du pouvoir, Sékou Touré se sera attaqué, pour les détruire, non seulement aux colons et aux commerçants, étrangers et guinéens tous confondus, mais aussi aux officiers guinéens formés dans le creuset de l’armée française, aux intellectuels guinéens formés dans les universités françaises ; enfin à tout ce qui ne peut devenir propriété de tous, tout ce qui est personnel et inégal, comme le talent et l’intelligence, et même la foi, malgré toutes les apparences de religiosité qu’il affectait.
Certes, la fortune peut bien être nivelée, mais pas le talent ; et encore moins l’intelligence et la foi !
Le communisme vulgaire de Sékou Touré l’aura conduit à nier la personnalité de « l’homme guinéen » dans sa prétention bien primaire d’incarner lui-même le peuple guinéen.
Ainsi aura-t-il essayé, sans y réussir, de détruire la culture et la civilisation guinéennes pour instaurer la nouvelle société qui devait naître de son communisme politique. Voilà l’explication du pouvoir despotique de Sékou Touré ; lui qui, tel un rouleau compresseur, se sera évertué à réduire en poussière la société guinéenne ; celle de notre enfance dans laquelle la liberté personnelle échappait à l’empire de la communauté, à l’emprise du pouvoir colonial, celle où l’homme guinéen était respecté en tant que tel.
Il faut ici avoir la probité intellectuelle de reconnaître que le pouvoir colonial quant à lui avait compris — malgré plusieurs erreurs dans l’exercice du pouvoir — que la sphère de la liberté personnelle demeurait celle qui échappe et échappera toujours à l’emprise de la société et du pouvoir.
Les méfaits d’une idéologie
Dans le domaine économique
Sékou Touré, avec son socialisme archaïque et inadapté, était arrivé, en vingt-six années de règne, à tout démolir de ce qui avait été construit patiemment en soixante années de colonisation.
Oh ! certes, ce qui avait été fait par les colons et l’administration française était encore loin de la perfection ; mais cela avait quand même le mérite d’exister.
Sur le plan économique
Sékou Touré avait provoqué le déséquilibre, ce qui est reconnu aujourd’hui. Plus grave, il avait confisqué pour le seul profil de son clan, le capital national de la Guinée ; lequel capital était constitué par la bauxite, l’or et le diamant. L’agro-pastoral ne fut pas davantage épargné ; et la pêche non plus.
Sékou Touré, en collectivisant l’un et l’autre de ces secteurs, avait réussi un tour de force : il avait ramené la Guinée au dernier rang des anciennes colonies françaises de l’Ouest-Afrique. Cette Guinée qui, grâce au travail laborieux des colons français et des agriculteurs guinéens, était devenue, dans cette zone de l’Afrique, le premier pays exportateur de bananes, de café et d’ananas.
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Grâce à la politique avisée des gouverneurs de la Guinée française, ce beau pays s’était constitué un cheptel ovin et vin de bonne qualité, et qui n’avait rien à envier à celui des pays voisins.
Il faut ajouter ici quelque chose qui chatouillera probablement l’épiderme de nos frères ivoiriens, mais qui est pourtant vrai ; à savoir que la Côte-d’Ivoire aura dû, en partie, son décollage économique aux échecs successifs de Sékou Tourédans son système de développement. La Côte-d’Ivoire, quant à elle, en la personne de son président, M. Félix Houphouët-Boigny, avait su tourner le dos à un prétendu « socialisme africain », pour expérimenter ce qu’il appelait son « capitalisme d’État ».
Sur le plan politique
Comme nous l’avons déjà évoqué, Sékou Touré parlant du marxisme mettait plutôt l’accent sur, je cite, « les principes d’action concrète » ; et nous y voici.
Avant la loi cadre, Sékou Touré s’était employé à domestiquer le mouvement syndical, au profit de la politique de son parti le R.D.A.-P.D.G. (entendez par ce sigle: le Rassemblement démocratique africain – Parti démocratique de Guinée).
L’agitation syndicale était devenue pour une arme privilégiée de combat pour accéder au pouvoir.
Il avait, entre-temps, réussi à s’infiltrer dans la police et à y constituer le syndicat des policiers ; une police qui, par la suite et avec la bénédiction du haut-commissariat de la République française à Dakar, fermera les yeux sur les actes de violence commis par le P.D.G.-R.D.A. de Guinée.
Le directeur de la Sûreté nationale à cette époque-là était M. Humbert, un Français de souche vietnamienne. Dès l’instauration de la loi cadre et le fonctionnement des gouvernements autonomes dans les territoires français d’outre-mer, Sékou Touré devenu vice-président fera de M. Humbert, son directeur de cabinet, pour services rendus au P.D.G.-R.D.A. Ce dernier, du reste, le suivra à l’Élysée guinéenne, la Guinée étant indépendante depuis le 2 octobre 1958.
Sous la loi cadre, Sékou Touré, vice-président du gouvernement autonome de Guinée, procédera sans délai à la suppression des dirigeants traditionnels, pour les remplacer par des cadres de son parti. Et, avec le concours de ses tueurs à gage tels que les Momo-Jo et les Momo Koulé-Khanyi, il organisera la terreur dans la ville de Conakry qui abritait les principaux leaders des autres partis politiques. Certains durent choisir l’exil, pour échapper au coutelas des tueurs de Sékou Touré. Ceux qui avaient quand même voulu demeurer en Guinée aboutirent dans les geôles de Sékou Touré ; plusieurs y trouvèrent la mort, comme les Kaba Dia Fodé, les Barry III, les Barry Diawadou.
La fameuse loi cadre permettra aussi à Sékou Touré de se débarrasser définitivement du pluralisme syndical. Le secrétaire général de la C.A.T.C. (Confédération africaine des Travailleurs croyants), David Soumah, verra sa propriété de Conakry saccagée, et sa maison détruite. C’est sous la protection de l’armée française qu’il pourra, à bord d’un avion, prendre la route de l’exil. Son adjoint, Firmin Coumbassa, connaîtra la prison, par trois fois.
L’indépendance de la Guinée permettra à Sékou Touré d’achever de tisser sa toile d’araignée sur l’ensemble de ce qu’il appelait, avec la morgue que nous lui connaissions, « son peuple » ; effectivement le peuple-martyr de Guinée, son peuple !
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*Né à Conakry en Guinée (colonie française en Afrique de l’Ouest jusqu’en 1958), Mgr Raymond Marie Tchidimbo est entré dans la Congrégation du Saint-Esprit en 1949 et a été ordonné prêtre deux ans plus tard.
Créé archevêque de Conakry en 1962, il est chargé par le pape Jean XXIII de renouer le dialogue avec le communiste Ahmed Sékou Touré, premier président de Guinée dont le régime répressif conduit des milliers de Guinéens à la mort. Arrêté en 1970, condamné à la prison à vie, Mgr Tchidimbo passera neuf ans dans le camp de Boiro.
Libéré et expulsé de Guinée le 7 août 1979, le pape Jean-Paul II le reçoit à Castelgandolfo quelques jours plus tard. Après plusieurs années à Rome, il prendra sa retraite dans l’archidiocèse d’Avignon, à l’Institut Notre-Dame de Vie, à Vénasque, puis non loin, dans le village de Saint-Didier.