Guinée: L’année 1971 fut celle de la terreur et des pendaisons dans tout le pays

Il y a 50 ans ces jours-ci, notre peuple vivait dans une atmosphère ténébreuse et pleine de terreur. Après l’agression du 22 novembre 1970, le régime de Sékou Touré a profité de cet évènement, certes tragique, pour semer terreur, deuil et expropriations accompagnées de pendaisons publiques dans tout le pays.

André Lewin qualifie dans le chapitre XVI de son oeuvre Ahmed Sékou Touré Président de la Guinée de 1958 à 1984, la page de l’histoire guinéenne qui s’est ouverte le 22 novembre comme la “période sombre de l’histoire” de la Guinée 1. Mais en réalité, c’est Sékou Touré lui-même, d’après la note du Prof. Tierno Bah, qui aurait qualifié ainsi cette période. En effet, notre éminent historien, créateur et animateur de site du Mémorial Camp Boiro, écrit:

En réalité, c’est plutôt Sékou Touré qui fut un cadeau empoisoné de Bernard Cornut-Gentille et de Félix Houphouët-Boigny à la Guinée. Il se retourna par la suite contre ses deux parrains et plongea le pays dans une époque ténébreuse de violations du droit et de crimes contre l’humanité. Longue de 31 ans, elle commença par l’assassinat de Yacine Diallo le 29 mars 1954, et ne prit fin qu’à sa mort à Cleveland, USA, le 26 mars 1984. — Tierno S. Bah]

Sékou Touré exploitera à fond l’occasion pour d’une part, alerter l’opinion internationale et de l’autre faire ce qu’il sait le mieux faire, à savoir de longs discours pour galvaniser la population et couvrir de mensonges des personnalités qui n’avaient rien à faire cette triste histoire pour les arrêter, les torturer et organiser des séances publiques de pendaison.

Dès que l’agression portugaise fut connue du reste du monde, des messages de solidarité affluent de toute part. Le Conseil de sécurité envoie une importante mission composée du Népal (Padarn Bahadur Khatri), de la Zambie (Vernon Johnson Mwanga), de la Colombie (Augusto Espino a), de la Finlande (Max Jakobson) et de la Pologne (Eugeniusz Kulaga). Il y avait aussi des membres du Secrétariat dirigés par M. Debrito, un Brésilien, chef de la section d’information du Département politique.

Dans son livre Alsény René Gomez Parler ou périr nous décrit ce qui se passait à l’intérieur du Camp Boiro:

Dans les cellules, c’était d’abord l’angoisse rapidement transformée en peur panique. Puis, l’agent porte-clefs, tenu en joue, avait ouvert les portes les unes après les autres. Il était suivi par un groupe d’hommes en uniforme, armés et portant plusieurs ceintures de munitions. Pendant ce temps, d’autres communiquaient par radio avec des correspondants éloignés mais dans une langue qui ressemblait au portugais.

Une fois regroupés au dehors, les soixante-seize détenus surpris ne savaient que dire à ces libérateurs peu ordinaires. Abordant celui qui semblait être le meneur, docteur Bocar Maréga demanda : 

— Chef, si vous savez que le Président Sékou Touré est en place, pardon n’aggravez pas notre sort, laissez-nous ici !  

Le capitaine Pierre Koivogui répliqua immédiatement :

— Mes frères, si nous devons mourir, ne mourons pas dans ce trou. Sortons d’ici.

Et il continue en décrivant les conséquences que subirent les personnalités qui étaient déjà ne prison avant l’agression:

Comme il fallait s’y attendre, les évènements avaient donné raison au docteur Maréga plus tôt que prévu. En effet, les anciens pensionnaires de Boiro furent les premiers invités par communiqué radio à se présenter dans les permanences du parti dès le lendemain. Une fois récupérés, ils furent accusés de complicité avec les agresseurs et transférés à la prison de Kindia, une ville située à 135 kilomètres de la capitale. Au cours de ce transfert, alors qu’ils étaient tous ligotés aux coudes et aux pieds, arrivés au niveau du barrage de contrôle de Foulayah, sans raison apparente, un gendarme sorti du groupe se saisit d’un fusil mitrailleur pour tirer à bout portant deux rafales sur le véhicule. On entendit alors le Capitaine Pierre Koivogui s’écrier :

— Oh ! maman.

Mortellement atteint au bas ventre, il s’effondra sur la poitrine de Touré Kindo 4. Ce dernier, malgré son handicap, parvint cependant à lui fermer les yeux, mais ne put retenir ses larmes. Le véhicule, qui était à l’arrêt, avait le plancher ruisselant de sang car deux autres personnes grièvement blessées avaient également rendu l’âme. Il s’agissait d’un deuxième détenu, et d’un adjudant-chef assurant l’escorte du convoi. Quant aux survivants, à quelques exceptions près, ils seront fusillés avant la fin de l’année 1971.

Lire également: L’arrestation de Mody Amadou Baillo, témoignage de sa nièce Oumou Hawa Bah

Dans son livre Unique Survivant du Complot Kaman-Fodéba, Kindo Touré fournit quelques détails sur ce que fut cette année de douleur dont les conséquences se font sentir encore aujourd’hui. Malheureusement, bien qu’assez impressionnant, ces information s sont loin d’être complètes:

L’année 1971 fut celle de la terreur. L’année 1971 fut celle de la terreur. Après les pendaisons généralisées dans toutes les villes du pays, des vagues d’arrestations se succèdent, suivies d’exécutions.

Le 6 janvier 1971

Hauts cadres et personnalités remarquables :

En tout et avant l’aube, 70 codétenus ont été exécutés et jetés dans une fosse commune au pied du mont Gangan. Paix et Miséricorde divines pour eux ! Amen !

Le 25 janvier 1971

Enlèvement de nombreuses personnalités et hauts cadres :

Le 27 mars 1971

Les derniers (si l’on veut bien m’excepter) du « Complot Kaman-Fodéba » :

Le 30 août 1971

Une trentaine de victimes provenant de la seule Maison centrale de Kindia ont été liquidées:

Le 18 octobre 1972

Une trentaine de détenus sont enlevés encore à Kindia pour être exécutés :

Lire également: Cruauté, rapacité et discours soporifiques au nom de la révolution de Sékou Touré

Vers la fin de 1972, me raconta un geôlier devenu un intime ami, afin d’éviter au peloton d’exécution la tâche contraignante et, il faut bien le dire, répugnante de ramasser les lambeaux de chair ou les membres des suppliciés pour les jeter dans la fosse, on prit la précaution de coucher les condamnés affreusement ligotés dans les les fosses communes avant de les « arroser » avec la mitraillette. Il arrivait qu’un condamné sous le tas ne soit pas atteint ; il se signalait, on le félicitait pour son « militantisme ». Il « bénéficiait » alors d’une rafale, pour lui tout seul… Il ne restait plus qu’à pelleter la terre sur les corps encore en convulsion…

À cette longue liste, Bah Mamadou Lamine, grand reporter au Lynx, ajoute:

Ainsi, au cours de cette même nuit du 30 au 31 Juillet à Kankan sont exécutés, entre autres :

Barry Samba Safè Gouverneur, le Commandant Baldé de la Gendarmerie de Kankan, Sidimé Mamady Secrétaire fédéral de Kankan, Diané Louis, Directeur de l’Ecole de Bordo.

Cette même nuit à Conakry, au pied du mont Kakoulima sont assassinés entre autres,

le Général Noumandian Keita, le colonel Diallo Mamadou, les commandants Barry Mamadou Siradio, Bavogui Kékoura, Camara Diouma et Zoumanigui Kékoura, les Capitaines Condé Mamadou et Doumbouya Kémoko, le Lt Fofana Boubacar, Barry Baba, Directeur de Soguirep, Soumah Théodore Directeur de Banque, Baldé Abdourahmane, Directeur du Tourisme, Fofana Almamy, Ingénieur, Dr Sow Mamadou, Vétérinaire, le père de Saifoulaye Sow [la victime de Mathias], Baldé Mamadou Saliou, chauffeur.

Le 18 Janvier 1971, par la Loi Numéro 001/71, l’Assemblée Nationale populaire est érigée en Tribunal Révolutionnaire Suprême. Cette décision est sans appel et sans recours.

Une semaine plus tard, ce sont les pendaisons de Barry Ibrahima dit Barry III, Ministre, Keita Kara de Soufiana, Commissaire de Police, Baldé Ousmane Gouverneur de la BCRG et Magassouba Moriba, Ministre. Leurs corps sont enterrés le lendemain au champ de tir de Kissosso, dans une fosse commune. Mme Camara Loffo, leur compagne de détention de Kindia qui n’avait pas été pendue avec eux, est fusillée et jetée dans la même fosse commune.

Toujours au cours de cette année terrible, le 18 Octobre à Conakry, la liste de quelques victimes :

quatre Ministres, Emile Condé, Bama Marcel Mato, Savané Moricandian et Sagno Mamady, Keita Fadiala, ancien Ambassadeur, tout comme Mbaye Cheick Oumar, Diallo Souleymane dit Yala, Ghussein Fadel, Sassone André Alimag, Sylla Fodé Aliou, Magistrat, Coumbassa Abdoulaye, Commissaire de Police.

Le même jour à Kankan,

Barry Sory, Ministre, Camara Doussoumory, Financier, Keita Kemoko, Procureur, Sow Aliou, des Contributions diverses, Camara Ali, Camara Fama Douanier, Habas Paul, Commissaire de Police, Camara Filoi, Contrôleur du Travail, Camara Bakary, Président de Tribunal, Kaba Mamady notable, Dr Diallo Abdoulaye, Chirurgien.

Exécutions du 18 Octobre 1971 à Kindia. Liste de quelques victimes :

deux ministres, Diallo Alpha Amadou et Dr Diallo Taran, Baldé Oumar Secrétaire Exécutif de l’OERS, Camara Baba Gouverneur, Gnan Félix Matos, Banquier, Koivogui Massa, Secrétaire Fédéral de Macenta, Touré Sékou Sadibou, Industriel, Barry Mody Oury, fils de l’Almamy du Fouta, Mody. Amadou Baillo Bah, industriel, Boussoura, faisait partie de cette fournée. Il fut arrêté une 1ère fois en décembre 1970 et une deuxième fois le lundi 27 avril 1971.

BAH Mamadou Lamine

NB : Les informations publiées ici ont été recueillies sur la base d’expérience personnelle et grâce à feu Alseny René Gomez. Paix à son âme !

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