Cela fait maintenant plus d’un mois que l’écrivain ougandais Kakwenza Rukirabashaija a été arrêté à son domicile à Kampala. Son dernier tweet disait :
Actuellement en résidence surveillée. Des hommes armés sont entrés par effraction chez moi.
— KAKWENZA RUKIRA (@KakwenzaRukira) 28 décembre 2021
En prélude à son arrestation, Kakwenza avait publié une série de tweets critiquant le fils du Président Yoweri Museveni, le général d’armée Muhoozi Kainerugaba, le commandant des forces terrestres de l’armée ougandaise. Les tweets ont depuis été supprimés.
Il y a eu des critiques en Ouganda sur la rapide ascension de Muhoozi dans les rangs des Forces de défense du peuple ougandais et son positionnement dans la politique nationale, largement perçu comme une préparation à la succession. Les tweets de Kakwenza ont remis en question la capacité du premier fils du Président à lui succéder.
Critique acerbe du gouvernement Museveni, Kakwenza s’est fait connaître en avril 2020 lorsqu’il a été arrêté et détenu pendant une semaine par le service de renseignement militaire, à propos de son livre The Greedy Barbarian, (Le barbare cupide) qui décrit la corruption de haut niveau dans un pays fictif. Il a été arrêté et détenu à nouveau en septembre 2020. En 2021, il a reçu le prix PEN Pinter Prize International Writer of Courage.
Détention illégale
Après son arrestation le 28 décembre 2021, Kakwenza a été emprisonné pendant plus de 48 heures prescrites par la Constitution. Alors que la police a initialement admis qu’il était détenu, la Commission ougandaise des droits humains, l’institution mandatée par la Constitution pour enquêter sur les violations des droits humains, a tweeté qu’elle n’arrivait pas à localiser l’endroit où il était détenu.
Ces derniers jours, l’UHRC a visité divers centres de sécurité et de détention dans le pays afin de localiser @KakwenzaRukira.
La Commission a également exigé à des agences de sécurité et des autorités gouvernementales compétentes qu’ils veillent à ce que justice soit rendue à Kakwenza.— Uganda Human Rights Commission (UHRC) (@UHRC_UGANDA) 7 janvier 2022
L’avocat de Kakwenza, Eron Kiiza, a tweeté que celui-ci était détenu dans un centre du Commandement des forces spéciales (SFC) à l’extérieur de Kampala. Le SFC est une unité des Forces de défense du peuple ougandais qui protège le Président et sa famille.
La @UHRC_UGANDA devrait exiger et se faire dire où se trouve @KakwenzaRukira par les agences de sécurité. Pourquoi @GovUganda, @PoliceUg & @updf_ devraient-ils faire en sorte que l’UHRC s’interroge comme si Kakwenza était enlevé par une bande criminelle ? Le SFC le détient à Entebbe. https://t.co/vgD3TJiIgq
— KIIZA ERON (@kiizaeron) 7 janvier 2022
Le Gouvernement a ignoré une ordonnance du tribunal exigeant la libération de l’écrivain, et il en a fallu une deuxième, émise par la Haute Cour de Kampala, pour contraindre les ravisseurs de l’écrivain à le présenter et à l’inculper au tribunal. Fait intéressant, Kakwenza a été inculpé devant le tribunal en l’absence de ses avocats et de la presse, un jour après la publication de la deuxième ordonnance du tribunal. Certains suggèrent que la comparution précipitée pourrait être due au fait que Kakwenza avait été torturé, et le présenter devant le tribunal dans cet état aurait eu une mauvaise image de l’État.
Un @KakwenzaRukira torturé et détenu secrètement à Kitalya jusqu’au 21/01/2022 vers 9h05 en l’absence de ses avocats. https://t.co/SnNP4Z86c2
— KIIZA ERON (@kiizaeron) 11 janvier 2022
Kakwenza a été libéré sous caution le 25 janvier 2022 et arrêté de nouveau quelques heures plus tard. Il lui est interdit de discuter de son cas avec les médias.
Une communication offensante
Kakwenza a été accusé de communication offensante et son premier procès public a eu lieu le 21 janvier 2022. La loi sur l’utilisation abusive des ordinateurs définit la communication offensante comme « utilisations répétées de la communication électronique pour troubler ou tenter de troubler la paix, la tranquillité ou le droit à la vie privée de toute personne et n’ayant aucun but de communication légitime sans qu’aucune conversation ne s’ensuive… »
Maitre Eron Kiiza, l’avocat des droits humains qui défend Kakwenza, soutient qu’il est inacceptable que l’armée détermine quel discours est offensant ou non.
La Computer Misuse Act (loi sur la mauvaise utilisation de l’ordinateur) a été utilisée ces dernières années pour étouffer les voix dissidentes. L’universitaire et écrivaine Dr Stella Nyanzi a été emprisonnée en 2018 pour des publications offensantes sur Facebook dans lesquelles elle qualifiait le Président de « paire de fesses ».
Eron Kiiza, l’avocat des droits humains qui défend Kakwenza, a fait valoir qu’il est inacceptable que l’armée détermine quels discours sont offensants ou non.
D’autres Ougandais ont pris la parole sur les réseaux sociaux pour remettre en question le rôle de la famille du président, dont plusieurs membres ont occupé de hautes fonctions publiques et militaires. Les critiques ont également relevé la détérioration de la gouvernance et de la situation des droits humains dans le pays, les promesses non tenues de l’État et la question taboue de la transition politique après plus de trois décennies de règne de Museveni. Il y a eu plusieurs cas très médiatisés dans lesquels des citoyens ont été accusés de communication offensante en raison de publications sur les réseaux sociaux concernant le Président et sa famille.
Dans un pays où les formes d’expression légitimes et légalement protégées sont de plus en plus fermées, les citoyens ont moins d’options. Selon le Dr Nyanzi, l’impolitesse est une forme de résistance qui « fait comprendre ce qu’une conversation polie ne peut pas faire ». La réponse du Gouvernement à l’expression en ligne de militants comme le Dr Nyanzi est brutale : arrestations, torture, taxe sur les réseaux sociaux et coupures d’Internet. Facebook est interditConvocati Mancini
dans le pays depuis 2021.
En 2019, des organisations de la société civile ont déposé une requête devant la Cour constitutionnelle de Kampala pour contester la constitutionnalité des frais de communication offensante. Une décision n’a pas encore été rendue.
Une pression croissante
Depuis son arrestation le 28 décembre 2021, le hashtag « FreeKakwenza » est devenu une tendance sur les réseaux sociaux ougandais. Les messages de soutien et les appels à la libération de M. Kakwenza proviennent de citoyens, d’organisations de la société civile, du barreau et d’ambassades en Ouganda.
Un @KakwenzaRukira torturé et secrètement renvoyé à Kitalya jusqu’au 21/01/2022 vers 9h05 en l’absence de ses avocats. https://t.co/SnNP4Z86c2
Nous sommes préoccupés par le fait que Kakwenza Rukirabashaija soit toujours en détention, malgré la décision de justice du 4 janvier de le libérer. Le respect de l’État de droit est vital pour toutes les démocraties.
— UK in Uganda
(@UKinUganda) 7 janvier 2022
L’Ouganda est l’un des principaux bénéficiaires de l’aide du Gouvernement américain. Cependant, ces dernières années, la détérioration de la gouvernance et des droits humains dans le pays a fait l’objet d’une attention accrue. En conséquence, des responsables ougandais ont été sanctionnés par le Gouvernement américain pour « atteinte à la démocratie ».
Un cas comme celui de Kakwenza confirme qu’à maintes reprises, les États-Unis se contentent de condamner les violations des droits humains tout en poursuivant leurs relations avec un gouvernement dont la police et l’armée commettent ces violations. En fin de compte, les tweets de Kakwenza ont mis à nu ce que signifient la liberté d’expression et l’indépendance judiciaire en Ouganda.
Depuis la publication en anglais de cet article Kakwenza Rukirabashaija a été libéré et il a été, selon ses propres mots » libéré des mâchoires du crocodile » et il se trouve en Allemagne depuis le 23 février.
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Billet écrit par l’avocat et écrivain ougandais Brian Oduti pour le réseau social globalvoices.org.
Traduit en français par Abdoulaye Bah. La traduction a été publiée le 18 mars 2022.