Dans le Vol. I de son monumental mémoire Ahmed Sékou Touré (1922-1984) Président de la Guinée de 1958 à 1984 que l’ambassadeur (1975-1979) de France en Guinée et qui se vantait d’être son ami, André Lewin a consacré au tyran. L’auteur nous apprend beaucoup de choses sur les relations du tyran avec les femmes mariées à certaines personnes bien connues dont la propre femme de Houphouët-Boigny, son grand amour avec Raymonde Jonvaux, une jeune syndicaliste de la CGT qu’il a rencontrée à Paris, mais également sur sa supposée homosexualité et ses rapports ambigus avec le gouverneur Cornut-Gentille que l’on peut lire dans les renvois sur les notes de bas de page. On remarquera que bien qu’il ait déclaré la guerre aux Peuls, parmi ses conquêtes les femmes de cette ethnie ne manquaient pas parmi ses conquêtes. |
Les femmes de Guinée, souvent militantes du PDG qui a très vite multiplié ses sections féminines (la première d’entre elles est créée à Conakry le 6 décembre 1949), sont nombreuses à suivre Sékou, dont le verbe ardent et assuré les subjugue et dont elles admirent la prestance et l’élégance ; Georges Balandier note “son emprise presque amoureuse sur les foules à forte présence féminine. ” 318
Les commerçants libanais et français de Conakry lui fournissent volontiers costumes et cravates chatoyantes, dans l’espoir sans doute de se le concilier à l’avenir ; il a, disent-ils, la “taille mannequin”. D’ailleurs, l’un de ses sobriquets à l’époque est “Monsieur Trois Pièces” (“Monsieur T.P.”, en raison du pantalon, du costume et du gilet) ou encore “Sékou drap” ! Seuls, dit-on, Nabi Youla et Keita Fodéba le surpassent en élégance ; en fait, ils recourent souvent à Paris au même tailleur 319. Il est réputé aussi pour ses chapeaux noirs à bords roulés, à l’anglaise, de style Eden. On le considère comme un dandy et lorsqu’on l’approche en privé, il sent le patchouli et le savon anglais. Mais il commencera à s’habiller plus volontiers en tenue africaine à partir de 1957, et plus systématiquement à partir du début des années 60.
Les femmes sont l’un des points faibles de Sékou, bien que certains témoins 320 affirment que pendant une brève période de sa vie, il ait peut-être failli “virer de bord” ; en fait de jeunes Européens ne pouvaient manquer de s’intéresser à cet élégant et bouillonnant jeune homme dont le pouvoir de séduction s’exerçait “tous azimuts”. C’est l’époque où on le voit beaucoup avec un journaliste français établi à Dakar, Charles-Guy Etcheverry 321 ou encore avec un pharmacien installé à Conakry, futur directeur de laboratoire un certain Girodel.
Quelques observateurs — qui ne sont pas tous forcément des adversaires de Sékou — avancent même une explication homosexuelle à propos de la réelle fascination que ce dernier a exercée sur Cornut-Gentille 322. Rien n’est avéré cependant, et l’on peut fort bien penser que ce sont d’authentiques et solides amitiés viriles qui furent alors nouées, à moins qu’il ne s’agisse d’une autre manifestation de l’ambivalence du personnage.
Avec le sexe féminin, en revanche, Sékou n’éprouve aucun complexe ; africaines ou libanaises, françaises ou métisses, jeunes ou moins jeunes, célibataires ou mariées, il ravage les coeurs, brise les ménages, se brouille avec les maris, les amis ou les amants, jusqu’à la bagarre. Il pratique les cinémas comme le Vox, le Rialto ou le Rex, dîne dans les restaurants de l’hôtel du Niger, de l’Avenue-Bar, de la plage Perrone, de la Plantation, du Terras Hotel (au kilomètre 7, anciennement nommé Denis, tenu par Madame Moret), du Rat Palmiste ou de la Brasserie du Port (mais il reste fidèle aussi à de modestes échoppes-restaurants comme celle que tient en ville, près de la 4ème avenue, “Marie-Brochette”, une Guinéenne qui le nourrissait gratuitement aux jours difficiles). Il adore les rythmes syncopés, danse la valse, le boston, le fox-trot, la rumba ou le tango, et fréquente régulièrement les night-clubs comme Paris Biguine, le Palmier, le Cosmopolite, la Pergola à Camayenne-Plage et plus tard la Minière, où se produisent alors quelques uns de ses amis, dont Damantang Camara, Nfamara Keita et plusieurs autres jeunes militants qui ont formé ensemble un petit orchestre-musette appelé “La Parisette” 323.
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Ses conquêtes féminines défraient la chronique et alimentent les mille rumeurs de Conakry. On y connaît bien entendu la réelle histoire d’amour qui le lie plus profondément que durablement à Raymonde Jonvaux, la jeune syndicaliste CGT qu’il a rencontrée à Paris 324. Mais on cite également — parfois sur des indices, mais aussi souvent sans aucune preuve :
- l’épouse d’un Libanais borgne, photographe et éditeur de cartes postales, Edmond Abkouk 325
- la métisse Yvonne Guichard
- [ou] la jeune et jolie fille du commandant Salah Diallo, qu’il manquera épouser et qui ne se remettra jamais complètement de la belle histoire d’amour qu’elle a vécue ou imaginée
- Maria Bernadette Diallo, métisse guinéo-brésilienne, étudiante à Paris, la seule à en avoir fait état 326, une sage-femme métisse venue de Bamako
- Aminata Diallo, qui sera aussi pendant huit ans sa fidèle secrétaire 327
- une cousine de Mgr Raymond-Marie Tchidimbo, qu’il aurait volontiers épousée en 1953 sans le veto du futur prélat, alors simple vicaire de la petite paroisse missionnaire catholique Saint-François-Xavier de Faranah 328
- madame Man, une jeune femme d’origine sénégalaise, chargée du courrier personnel de Sékou lorsqu’il devient en 1957 vice-président du Conseil de gouvernement
- Marcelle Ouegnin, surnommée l’“Ivoirienne au grand coeur” par ses amis, productrice à Radio-Dakar, militante de l’Association des femmes du Sénégal, maîtresse attitrée de Sékou Touré 329, qu’elle rejoignit à Conakry après la Loi-cadre pour aider à la mise en place de la jeune radiodiffusion guinéenne 330
- la belle et intelligente Rallou Miloyannis, métisse guinéo-grecque originaire de Dinguiraye 331
- Thérèse, l’épouse de Félix Houphouët-Boigny
- une jeune Suissesse, Annerösli Streit, épouse d’un nommé Schill qui aurait après l’indépendance entraîné des recrues guinéennes
- Maimouna, une jeune Sénégalaise épouse d’un ingénieur, camarade d’études d’Ismaël Touré, que Sékou Touré fit emprisonner parce qu’il avait battu son épouse qu’il soupçonnait — peut-être à tort — d’avoir reçu chez lui le président en son absence, et dont elle eut le courage d’aller demander la libération au Président, qui le fit relâcher mais qu’il releva de ses fonctions directoriales et exila dans une lointaine région
- [et] dans les dernières années de sa vie, Fally Kesso Bah, une jeune femme peule, épouse de Thierno Hassan Sow, directeur de cabinet du Premier ministre, elle-même vice-gouverneur de la Banque Centrale de Guinée.
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Il va même séduire la femme de l’un de ses principaux adversaires politiques du moment, Framoï Bérété. Agent du CCFA (Comptoir Commercial Franco-Africain), Framoï Bérété fonda naguère avec lui l’Union du Mandé et en sera le président, avant d’occuper des postes de responsabilité au PDG (il en fut l’un des secrétaires à sa fondation), qu’il quittera pour se faire élire Conseiller territorial et devenir président de la commission permanente de l’Assemblée territoriale 332. Fatou, c’est le nom de la jeune femme, va jusqu’à subtiliser à son mari des lettres compromettantes que Sékou peut ensuite brandir en pleine réunion électorale en provoquant la sensation que l’on devine ; il s’en servira également lors d’un procès en diffamation qu’il intente contre Bérété en septembre 1949 pour des articles publiés dans “La Voix de la Guinée” et qu’il gagne, spectaculairement, comme nous l’avons déjà vu 333.
Il y aura ainsi à travers les années de nombreuses et délicates “histoires de femmes” entre Sékou et certains notables africains ou français ; certains lui en tiendront longtemps rigueur comme Jean-Marie Cadoré et Houphouët-Boigny lui-même… 334
Sékou Touré s’était marié une première fois en 1944, vers la fin de la guerre, avec Binetou Touré ; de l’union avec cette jeune Guinéenne, élégante et séduisante mais illettrée, il semble que soit née une fille, Oumou, morte quelques mois après sa naissance ; en tous cas, le divorce fut prononcé le 4 juillet 1947 par le Tribunal de 1er degré de Conakry.
Il s’est remarié le 9 janvier 1948 avec une jeune femme catholique pratiquante d’origine sénégalaise (elle était née à Saint-Louis), Marie N’Daw, qui travaillait avec lui aux PTT 335. Le mariage a lieu à Labé, dans la maison du docteur Traoré. Le couple s’installe dans le quartier de Sandervalia, non loin du 8ème boulevard et de l’hôpital Ballay (aujourd’hui hôpital Ignace Deen). Sékou s’y fait construire une belle concession et répond, contre toute évidence, lorsqu’on lui demande comment il avait pu la financer, que l’argent provient de sa famille !
Mais les relations au sein du couple finissent par se dégrader ; Sékou multiplie les aventures amoureuses et son épouse veut lui donner une bonne leçon ; une nuit, Sékou rentre tard et la trouve en compagnie de Sow, un maçon sénégalais qui travaille à l’entreprise Peyrissac ; il décide alors de s’en séparer 337. Leur divorce sera prononcé à la fin de l’année 1952, quelques mois avant son union avec Andrée Kourouma, seul mariage qui figure dans sa biographie officielle.
Marie N’Daw gardera avec elle les deux garçons nés de l’union avec Sékou. Ils vont en classe à la Petite École Française de Conakry, où étudient également les enfants d’autres syndicalistes guinéens, et pas seulement les chrétiens. Un jour, le responsable de l’enseignement de la Guinée française, Chambon, envisage de fermer cet établissement, ou tout au moins de mieux le contrôler; les parents cherchent un défenseur dynamique ; ainsi Sékou Touré devient-il pour un temps président de l’Association des Parents d’Élèves de la Petite École Française !
Mais, avec les responsabilités, le souci de respectabilité sociale de Sékou s’affirme, d’autant que sa famille fait pression sur lui. Délaissant pour un temps les amours passagères et parce qu’il faut bien s’établir, parce qu’il est tombé très amoureux aussi, il va se marier avec Marie-Andrée Kourouma, originaire de Macenta en Guinée forestière, une métisse sérieuse, intelligente et jolie, fille du docteur Paul-Marie Duplantier et de Kaïssa Kourouma 338.
Andrée (c’est le prénom qu’elle privilégiera) nait en 1934, mais son père quitte la Guinée alors qu’elle a deux ans seulement, et elle sera élevée à Kankan dans la famille de son oncle, Sinkoun Kaba. Elle s’y familiarisera avec l’Islam 339, tout en restant fidèle à sa religion catholique d’origine 340. Après son certificat d’études, obtenu à douze ans en 1946, elle suit les cours du Collège des jeunes filles de Conakry (tenu par les Soeurs de Saint-Joseph de Cluny) et en sort avec le Brevet élémentaire, pour devenir alors secrétaire de l’Association des Femmes de l’Union Française.
Chez son oncle Sinkoun Kaba, elle a fait la connaissance de Sékou Touré, lequel vient pendant l’été 1952 faire à Kankan sa demande officielle. Il s’agit plus ou moins d’un mariage arrangé par les deux familles, qui ont d’ailleurs un point commun, puisque le grand-père maternel de la jeune fille a été élevé chez l’almamy Samory Touré.
Le mariage est décidé en dépit de maints obstacles : ainsi l’influente Union des Métis cherchera-t-elle à s’y opposer pour des raisons raciales et ethniques; Sékou souhaite de son côté soumettre son choix au comité directeur du PDG et adresse parallèlement un courrier aux militants de la CGT 341 ; il aimerait également se marier à la Cathédrale Sainte-Marie de Conakry, mais il n’arrive pas à convaincre Mgr Michel Bernard, archevêque de la capitale, de célébrer cette union 342. Certains de ses amis, tels le Dr. Kanfory Sanoussi, le poussent également à se marier selon le rite musulman.
C’est finalement à la mosquée de Kankan que le mariage religieux est célébré le 18 juin 1953, en l’absence des époux, comme le permet la pratique musulmane : la jeune femme séjourne au sein de sa famille et Sékou est resté à Conakry. L’administrateur français de Kankan ayant refusé d’enregistrer le mariage civil en raison du turbulent militantisme de Sékou, c’est finalement à la mairie de Conakry qu’il sera célébré quelques semaines plus tard 343.
Le couple s’installera dans le quartier de Sandervalia, 7ème boulevard (également appelé boulevard Sanderval), dans la concession d’un ami, François Bandjo, avant de s’établir, en 1956, dans la résidence attribuée au maire de Conakry, près de l’Hôtel de Ville. Un marabout aurait dit un jour à Sékou que son pouvoir ne courrait aucun risque tant qu’il garderait sa “femme blanche” ; mais on connaît aussi son goût mystique pour la symbolique de la couleur blanche. En tous cas, le couple traversera tous les orages de l’indépendance et des années de pouvoir ; avec dignité, douceur et intelligence, celle que l’on appellera “Madame Andrée” ou “La Première Dame” ignorera les fredaines de son présidentiel époux et tentera de tempérer ses humeurs 344, tout en renforçant progressivement les positions de sa propre famille 345.
De cette union 346 naîtra, le 12 mars 1961, un fils, prénommé Mohamed 347.
Mais Sékou Touré avait déjà eu le 12 décembre 1953 une fille Aminata ; Sékou ne l’a pourtant pas reconnue tout de suite — il le fera lorsqu’elle aura huit ans et lui fera donner le nom de sa propre mère. La mère d’Aminata, Marguerite Cole (ou Colle), mourra en décembre 1971 ; chrétienne (protestante anglicane), elle était originaire des îles de Los et avait suivi les cours de l’École Normale de Rufisque. Cette institutrice, également épisodique cheftaine d’une troupe féminine de Scouts, travaille comme secrétaire à l’Assemblée territoriale ; c’est là que Sékou la rencontrera en 1951, avant même qu’il y soit élu ; elle rendra de notables services au leader du PDG, l’informant de quelques manoeuvres manigancées par ses adversaires.
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Il est rapidement question de mariage, d’autant que la jeune femme est enceinte ; quelques formalités préalables sont accomplies par les familles, mais le père de Marguerite, Temple Cole, exige la conversion du prétendant à la religion anglicane, ce que Sékou refuse catégoriquement, affirmant ne pouvoir renoncer à l’Islam, dont il n’est pourtant pas à l’époque un pratiquant trop régulier. Les fiançailles sont donc rompues en 1953 348. Après quelques années de réticences (“cette naissance est une erreur”, disait-il), Sékou finira par reconnaître Aminata lorsqu’elle eut huit ans et lui vouera jusqu’à la fin une adoration sans faille. Un jour, il racontera l’une de ces paraboles dont il était coutumier et qui pourrait bien avoir été inspirée par le souvenir de cette aventure intime.
“L’enfant appartient plus à sa mère qu’à son père. Jamais une femme ne peut donner naissance à un enfant à son insu. Mais il arrive malheureusement que par violation des règles sociales, un homme ait un enfant à son insu. Cet homme rencontrera un jour le petit enfant dans la rue et lui demandera le prix des cacahouètes. Il ne sait pas que c’est son enfant. Il restera tout à fait indifférent à l’égard de ce jeune être issu de lui à son insu. S’il était vraiment croyant, tout enfant qu’il verrait serait considéré par lui comme le sien propre et s’il en possède les moyens, il lui viendrait en aide.
Mais un jour, sa partenaire vient lui faire des confidences : Mon cher ami, excuse-moi, voilà ce qui s’est passé à tel endroit en telle année. Ce petit enfant, c’est le tien ; regarde-le.” Il le regarde, il fait des recherches, tout est rigoureusement fondé. Il prend conscience que c’est son enfant. A partir de ce jour là, il changera d’attitude vis-à-vis du jeune être. Maintenant, l’affection naît. Maintenant, il se considère responsable de l’enfant et il s’occupe de lui.” 349
Aminata épouse le 24 avril 1974 Camara Mamadouba, dit Maxime, l’un des plus prestigieux footballeurs du pays, chef de cabinet du ministre de la coopération. Leur union, célébrée à la mosquée de Coronthie et devant le Pouvoir Révolutionnaire Local du comité Mbalia, donne lieu à une journée fériée, chômée et payée dans tout le pays. Leur fils, né en 1977, sera prénommé Ahmed, comme Sékou lui-même ; celui-ci jouait fréquemment avec lui, l’adorait visiblement et admirait en son petit-fils un caractère et un tempérament déterminés où il se retrouvait 350.