Dans les sinistres camps de concentration de Sékou Touré, la vie et la mort n’ont plus aucune signification
Pendant qu’il tonitrue à la radio et qu’il terrorise la population, on continue de torturer et d’assassiner, sans autre forme de procès, dans ses camps de dantesque réputation
Dans son livre Guinée, le temps des fripouilles, Sako Kondé nous révèle comment naissait les complots du tyran Sékou Touré. Il démontre que les monstrueux procès de janvier 1971 suivi par les pendaisons, dont notamment celles de Barry III et ses compagnons n’a été que la continuation d’un processus de violences orchestrées par le PDG qui a débuté avant l’indépendance. |
On sait depuis longtemps que dans la Guinée P.D.G., le « complot » n’est autre chose qu’un moyen de gouvernement, qu’une arme politique utilisée par le despote quand il comprit que s’usait cette autre arme: la démagogie primaire et grasse. Il n’est que de remonter la longue chaîne des gens « complots » pour se convaincre que le « procès » de janvier, malgré son exceptionnelle ampleur, ne tranche nullement sur les précédentes turpitudes baptisées telles. On retrouve les mêmes constantes, le même scénario, désormais inséparables des méthodes du despote et ses complices : intoxication, arrestations plus ou moins massives, annonce du « complot » plus souvent imaginaire que réel, érection d’un « tribunal révolutionnaire », « jugement », rebondissement et, de nouveau, arrestations arbitraires…
Le processus haineux se poursuit jusqu’à ce que le tyran ait liquidé tous ceux qu’il visait, et assouvi sa soif de sang. Pendant qu’il tonitrue à la radio et qu’il terrorise la population, on continue de torturer et d’assassiner, sans autre forme de procès, dans ses camps de dantesque réputation. Notamment au Camp Alpha Yaya, de Camayenne et de Kindia. Dans ces sinistres lieux, la vie et la mort n’ont plus aucune signification. C’est pourquoi, les anciens prisonniers politiques sont plutôt rares.
On sait aujourd’hui que les pensionnaires des camps du P.D.G. vivent dans des conditions infrahumaines. Nous ne les ferons pas parler ici, puisqu’on pourrait les soupçonner d’exagération, de passion partisane. Nous préférons plutôt rappeler le témoignage d’un non-Guinéen 3. Si l’on garde à l’esprit qu’il s’agit d’un cas remontant au premier « complot » de mars-avril 1960, et concernant un prisonnier non guinéen, c’est-à-dire un privilégié relatif, alors on se fera une idée plus précise de la conception que le despote se fait des droits et de la vie de l’homme.
« La prison de Kindia, écrit l’auteur, est emplie d’une étrange clientèle : des anciens combattants soupçonnés de « complot », des métis, suspects en raison de leur ascendance française; des enfants: les habitants d’un village entier ayant été arrêtés, des bébés sont nés en prison. »
Puis, après avoir dit qu’au début, on laissa le détenu (M. Rossignol, un Français) dans sa cellule (2,20 m sur 1,50 m) … sans nourriture, l’auteur ajoute :
« La prison de Kindia ne désemplit pas. Au bout d’un certain temps, Rossignol est parvenu à une macabre constatation : les détenus africains meurent généralement le samedi. Explication : l’infirmier du camp passe la visite le vendredi ; soit inexpérience, soit ordres reçus, il fait à certains détenus des piqûres mortelles dont ils succombent le lendemain… Presque tous des morts sans jugement, des cadavres non enregistrés dans la macabre comptabilité du régime.
Voilà comment se conçoit, s’exerce et s’applique la « justice » sous le règne de Sékou Touré. Le mot : arbitraire est faible. Ces quelques lignes lèvent suffisamment le voile sur ses traits monstrueux, sur ces autres constantes de sa façon de régner : procès expéditifs, racisme, génocide.
C’est volontairement que nous avons choisi cet exemple remontant à une date où le régime avait à peine plus d’un an et demi. Déjà ses méthodes fascistes étaient évidentes. Le silence qui les avait entourées ne change pas grand-chose à leur nature intrinsèque.
Mais allons plus loin. Demandons-nous si de telles conceptions et méthodes ne sont pas, en quelque sorte, congénitales au « Parti Démocratique de Guinée ». Il suffit de remonter aux deux ou trois ans qui ont précèdé l’indépendance. C’est-à-dire à une époque où ce parti était devenu majoritaire, et qui coïncide en gros avec le temps d’application de la Loi-cadre de 1956 accordant l’autonomie interne aux territoires français d’outre-mer. Le parti n’avait donc pas les mains tout à fait libres. Mais que pouvait-on voir déjà? Un R.D.A.-P.D.G. de plus en plus sûr de lui, intolérant et démontrant à sa manière sa force : incendies de maisons, et assassinats des militants non R.D.A. qualifiés par lui de « saboteurs »…
Les « saboteurs » d’hier, dans la terminologie P.D.G , sont devenus les «comploteurs », « traîtres », « valets de l’impérialisme », « agents de la 5è colonne » aujourd’hui. Les provocations et démonstrations de force d’alors annonçaient les « complots » et « procès » de l’ère d’indépendance. Bref, les méthodes employées naguère par le P.D.G. étaient en soi tellement révélatrices qu’on se demande aujourd’hui quel aveuglement a bien pu empêcher les Guinéens d’en tirer les enseignements qui s’imposaient avec tant d’évidence. Engagés alors dans la lutte anti-coloniale, ils n’avaient pu y prêter l’attention voulue, ni penser qu’elles pouvaient être utilisées contre eux, contre leur dignité d’homme, leur liberté et tout ce pour quoi ils se battaient.
Il n’y a donc pas eu, en janvier 1971, mutation profonde dans la nature du pouvoir P.D.G., ni « tournant ». Tout juste, a-t-on assisté à une accélération de la machine de mort du despote, accélération qui lui a imprimé, pour ainsi dire, le régime de croisière qu’on lui connaît depuis.
C’est cette vérité élémentaire pourtant qu’on a ignorée même dans certains milieux de l’émigration guinéenne au lendemain du « procès ». Là, on s’est efforcé, mais en vain, de dresser un bilan en énumérant d’une façon incomplète d’ailleurs des personnalités et anciens camarades d’université victimes de la démesure du tyran.
Mais où sont donc tous ces Guinéens disparus avant, pendant et après le «procès », sans jugement même arbitraire ? Que sont devenus ces centaines et centaines de Guinéens de toutes conditions sur qui se sont refermées les portes des sinistres camps de Sékou Touré ? Nous renonçons d’avance, pour notre part, à faire cet impossible martyrologe.
Disons simplement que le gâchis humain est effroyable.
En un mot, disons une fois de plus que les chiffres officiels ne rendent compte que d’une façon très imparfaite de l’ampleur des forfaits perpétrés par un tyran aujourd’hui ivre de sang. Tout au plus, le « carnaval » du mois de janvier 1971 a-t-il aidé à une certaine prise de conscience chez nombre de Guinéens de la diaspora 4.
Reste la seconde série de raisons : la démentielle publicité orchestrée par le régime autour de ce « procès ». Pourquoi le tyran de Conakry, ce récidiviste de l’assassinat collectif perpétré à l’insu de l’opinion internationale et même guinéenne, pourquoi donc est-il sorti cette fois des ténèbres ?
Pourquoi a-t-il étalé à la face de l’Afrique et du monde ses hideux forfaits ? Les raisons en sont bien simples. La première réside dans l’affaiblissement du sens moral du despote. Absolument corrompu par l’exercice illimité et sans contrôle du pouvoir, il ne se soucie plus du tout des échos de ses tueries dans l’opinion internationale. On se souvient avec quelle arrogance il accueillit le mouvement d’indignation provoqué par son « carnaval ». On se rappelle aussi la désinvolture dont il fit preuve dans sa réponse au Saint-Père intervenu en faveur de Mgr Tchidimbo, archevêque de Conakry, arrêté en fin 1970 et soumis à un traitement d’une sauvagerie insoutenable.