Cameroun: Ahmed Abba dans les geôles du régime de Paul Biya depuis deux ans pour avoir fait son travail de journaliste
Le 30 juillet 2015, Ahmed Abba, correspondant de la Radio France internationale (RFI) en langue haoussa à Maroua, au Nord-Cameroun, a été arrêté par les forces de l’ordre. Depuis, il a été transféré à Yaoundé où il a été interrogé dans le cadre d’une enquête sur les activités de la secte islamiste Boko Haram.
Makaïla Nguebla, blogueur Tchadien qui a connu les abus des régimes autoritaires africains avec les militants des droits humains, ayant été forcé à s’exiler du Tchad avant d’être expulsé du Sénégal et de la Guinée, présente les faits, après la condamnation de Ahmed Abba en avril 2017:
Ahmed Abba avait été arrêté le 30 juillet 2015 en lien avec sa couverture des attaques du groupe terroriste Boko Haram. Il avait passé sept mois détenu au secret durant lesquels il avait subi des sévices, avant d’être finalement présenté à un juge le 29 février 2016. Depuis, les demandes de libération sous caution de ses avocats ont été systématiquement ignorées lors des 17 audiences de son procès. Le journaliste devra donc purger une peine de 10 ans de prison. Ce dernier a déjà passé 20 mois en détention dans l’attente de ce verdict inique. Les avocats du journaliste ont immédiatement annoncé leur intention de faire appel.
La presse nationale camerounaise et internationale avait vivement dénoncé la faiblesse des preuves présentées contre journaliste. Pour Masbé NDENGAR du site droitlibre.net:
L’issue de ce procès indigne autant les défenseurs des droits humains que les défenseurs de la liberté d’expression de la presse. Il ressort qu’il n’existe pas de preuve irréfutable pouvant condamner le journaliste. L’accusation s’est basée sur un supposé téléphone qui aurait appartenu à un terroriste ou une de ses victimes et dont les données numériques seraient sauvegardées dans un cybercafé détenu par Ahmed Abba. On voit là une volonté manifeste de nuire. Mais pourquoi s’en prendre vertement à celui qui n’a que son micro pour accomplir sa tâche ? visiblement les autorités camerounaises se trompent de véritables cibles. Pendant qu’elles engagent une lutte acharnée contre la liberté d’expression et de la presse, les vrais collabos courent en toutes libertés dans les rues de Yaoundé, de Douala, de Gamdéré, de Maroua, etc.
Si condamner Ahmed Abba doit être vu comme un acte dissuasif alors c’est raté parce que cela n’a pas empêché les terroristes, en occurrence Boko Haram de continuer à sévir sévèrement ni aux petits esprits de leur apporter leur soutien.
Quant à Olivier Tchouaffe, il dénonce, sur blogs.mediapart.fr, les méthodes du régime du Président Paul Biya, à la tête du Cameroun (de 1975 à 1982, comme Premier ministre et depuis comme Président) soit depuis 42 ans, battant tous les records de détention du pouvoir au niveau mondial:
Par ailleurs, ces prisonniers, pour la plupart, sont aussi embastillés, non pas dans des prisons conventionnelles mais dans des institutions militarisées ou de sécurité dite maximale, ce que le président du CL2P, Joël Didier Engo, a appelé des “mouroirs concentrationnaires”.
Le cas d’Ahmed Abba montre, encore une fois, un gouvernement qui abuse de la notion de raison d’État afin d’inféoder la justice et de la placer sous ses ordres.
Inconstestablement, les methodes de destrution rapide et lâche du régime de Paul Biya ne méritent rien de moins qu’une vigilance implacable…Les enjeux en présence dans la crise actuelle nous permettent donc d’apercevoir l’étendue de la machine à déformation des faits, puis celle de l’orchestration des mensonges, eux-mêmes déclinés en véritables catégories de savoirs-pouvoirs intégrés à la lutte de pérennisation d’une dictature, pour laquelle uniquement certaines vérités – ses vérités – sont autorisées, pendant que toutes les autres doivent systématiquement être réprimées. Ces vérités voulues officielles sont naturellement enrôlées pour le maintien de l’ordre établi et dominant de Paul Biya depuis bientôt quarante ans, et n’ont en réalité jamais été une affaire de Justice.
Pour Denis Nkwebo, président du Syndicat national des journalistes du Cameroun (SNJC), affilié à la Fédération Internationale des Journalistes (FIJ), dans une interview sur les ondes de RFI, citée par ifj.org:
C’est une punition contre la presse, c’est une volonté de criminaliser le métier de journaliste au Cameroun. Tout ce qu’on reproche à Ahmed Abba, c’est d’avoir été en situation professionnelle. A aucun moment dans ce procès, on ne nous a donné la preuve qu’il a été impliqué dans quelque chose de grave. La presse était jusqu’ici sous le coup d’une oppression silencieuse, et la condamnation d’Ahmed Abba est un message fort à l’endroit des journalistes qui osent encore exercer ce métier dans un pays où l’on nous affirme tous les jours que l’on est en démocratie.
Maître Tchoungang, l’avocat du journaliste, dans une interview à Reporters sans frontières, à la question de savoir si son dossier n’avait toujours pas été examiné par les juges, a répondu que:
Il faut dire que son cas est particulier. D’abord, pendant trois mois après son arrestation, personne ne savait où il se trouvait ou ne voulait le dire, avant que les autorités avouent le détenir secrètement. Et encore, il avait fallu saisir la Présidence. Il avait été transferré auprès des services de renseignements à Yaoundé, interrogé sans la présence d’un avocat, puis renvoyé directement devant le tribunal militaire, sans instruction du dossier. Pendant ce temps-là, il a aussi clairement subi de mauvais traitements physiques et psychologiques. Lors de la prochaine audience nous demanderons que soit fixée une session spéciale afin que le dossier soit enfin examiné sur le fond.
Dans la même interview, RSF révèle que Maître Charles Tchoungang leur adit qu’il enlevé et drogué de la part d’inconnus afin à la veille de l’audience du 25 avril 2017. Ensuite l’avocat explique sa conviction quant à la différence de traitement réservé à son client par rapport aux autres journalistes poursuivis pour des chefs d’accusation similaires, Baba Wame, Rodrigue Ndeutchoua Tongue et Félix Cyriaque Ebolé Bola, qui ont comparu libres, contrairement à Ahmed Abba:
Ma conviction c’est qu’il était au mauvais endroit au mauvais moment. Il a d’abord été arrêté dans un contrôle de routine, mais lorsque les forces de l’ordre ont appris qu’il était correspondant de RFI, alors il a été transféré à la police politique à Yaoundé et accusé de donner des informations aux ennemis du pays. J’ai moi-même revu toute sa production journalistique et elle est irréprochable. Pour moi, sa seule circonstance aggravante est qu’il travaille pour une grande radio française. Vous savez, il y a un vaste courant anti-français dans l’opinion au Cameroun et certaines autorités ont peut-être souhaité faire un “coup”.
Ce que nous souhaitons aujourd’hui, c’est que M. Abba puisse recouvrer sa liberté, sa famille et surtout son travail. J’ai l’intime conviction de défendre un innocent.
La date 17 aout 2017 avait été retenue pour le procès en appel. Mais sans aucune explication, son cas a été rayé de ceux présentés devant le tribunal.
Sur sa page Facebook Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques (CL2P), s’indigne et dénonce:
Cameroun: Non à la prise en otage d’un journaliste dans un sordide chantage diplomatique exercé à la France sous couvert de la nécessaire lutte contre le terrorisme…
Il n’y a en effet que l’imagination fertile d’un tyran pour faire germer une telle manœuvre en détournant et instrumentalisant de la sorte la nécessaire et légitime lutte contre le terrorisme, dans le but non avoué d’exercer indirectement un ignoble chantage diplomatique sur sa puissance protectrice, La France.
Nous n’exigeons rien d’autre que la libération pure et simple du correspondant camerounais en langue haoussa de Radio France Internationale (RFI), Ahmed Abba.
Un Comité de soutien pour Ahmed Abba a été créé regroupant de nombreuses personnalités du monde des médias et de la musique ainsi que des organisations non-gouvernementales telles que Reporters sans frontières (RSF9, Africtivistes (un collectif de cyber activistes africains pour la démocratie), le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ), Journaliste en Danger (JED) et la Fédération internationale des journalistes (FIJ).
Dans le Classement mondial 2016 de la liberté de la presse établi par RSF, le Cameroun occupe la 126e place sur 180 pays pris en considération.
Pour signer la pétition, c’est ici.
J’ai écrit ce billet pour le réseau globalvoices.org qui l’a publié sous le titre de Le journaliste Ahmed Abba, en prison au Cameroun depuis 2 ans pour avoir fait son travail le 20 aout 2017. Il a été révisé par Lova Rakotomalal, responsable des contenus originaux concernant les pays francophones publiés sur Global Voices. Je l’avais repris avec le même titre. Mais, après quelques corrections, j’ai décidé d’adopter le nouveau titre.
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