Tandis que le COVID-19 sévit désormais davantage dans le reste du monde qu’en Chine, les discours xénophobes se propagent sur les réseaux sociaux chinois.
Après observation d’un nombre élevé de cas d’infection au COVID-19 chez les étrangers et les nationaux de retour dans leur pays ces dernières semaines, les autorités chinoises commencent à surveiller les premiers de plus près afin d’éviter une nouvelle vague d’infections.
Bien que la communauté africaine ne corresponde pas à la plus grande partie de la population étrangère résidant en Chine, les Africain·e·s sont les plus visé·e·s par les mesures de contrôle et les réactions xénophobes.
Expulsions des Africain·e·s à Guangzhou (Canton)
Ces derniers jours, plusieurs journaux ont rapporté [en] qu’un grand nombre d’Africain·e·s avaient été expulsé·e·s de leur appartement ou de leur chambre d’hôtel et obligé·e·s de passer un test de dépistage avant d’être mis·es en quarantaine pendant 14 jours.
« Nous avons payé notre loyer, nos papiers sont en règle, mais on nous expulse en nous demandant d’être parti au bout d’une heure » – racontent les membres de la communauté africaine de Guangzhou. »
Une grande partie de ces expulsions ont eu lieu dans le quartier surnommé « Little Africa », près du centre-ville de Guangzhou, où de nombreux Africain·e·s sont installé·e·s pour faire des affaires ou pour leurs études. Le 7 avril, le gouvernement local a confirmé la contamination de cinq personnes [en] originaires du Nigeria qui auraient été infectées après avoir mangé dans un restaurant du district de Yuexiu, où se trouve « Little Africa ». Cette petite résurgence a incité les autorités à demander l’arrêt des activités commerciales à « Little Africa » et a instauré un climat de panique dans le quartier. Des propriétaires ainsi que des gérants d’hôtels ont ainsi décidé d’expulser les Africain·e·s de leurs locaux.
Un utilisateur de Twitter a publié une photo prise dans une des rues concernées :
Voici comment ça se passe pour toutes les personnes d’origine africaine présentes à Guangzhou une fois sorti des centres de quarantaine : les hôtels refusent de les accueillir. C’est cruel.
[vidéo] Un groupe d’Africain·e·s attendent dehors, protégé·e·s de la pluie par l’auvent d’un immeuble.
Voyant que des centaines d’Africain·ne·s du Nigéria, du Kenya, du Ghana et d’autres pays sont désormais sans-abri et sont obligé·e·s de dormir dans la rue, plusieurs représentant·e·s de ces pays ont exprimé leur indignation.
Le 10 avril, le président de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a appelé le consulat [en] chinois à donner des explications concernant ces allégations de maltraitance envers les Africain·e·s de Guangzhou.
La même nuit, le consul général du Nigeria à Guangzhou, Anozie Maduabuchi Cyril, s’est confronté [en] à la police, s’insurgeant contre ces nouvelles mesures de contrôle jugées discriminatoires dans leur façon de stigmatiser les personnes d’origine africaine :
Au Nigeria, nous avons beaucoup de Chinois·es. Or je ne pense pas que vous ayez déjà entendu dire que nous serions allés à leur porte pour les amener en quarantaine. Alors comment se fait-il que les Africain·e·s, et notamment les Nigérian·e·s, soient pris·es pour cible en Chine ?
Peur, rumeurs, xénophobie
Récemment, le dernier épisode d’hostilité envers les Africain·e·s a éclaté suite à un incident au cours duquel un Nigérian a attaqué une infirmière en tentant d’échapper à la mise en quarantaine, après avoir eu un résultat positif au dépistage du coronavirus à Guangzhou le 1er avril.
La vidéo est devenue virale. Des rumeurs, selon lesquelles une seconde vague d’infections au coronavirus toucherait les Africain·ne·s à Guangzhou, ont déclenché la panique dans la ville.
D’après les rumeurs [zh], 300 000 Africain·e·s résideraient actuellement à Guangzhou. Les élus locaux ont tenté de rectifier cette information, indiquant que le nombre s’élèverait plutôt à 4 000. De nombreux habitants restent néanmoins convaincus que la majorité des Africain·e·s résident de façon illégale et vivent par conséquent dans l’ombre.
En date du 11 avril [zh], 347 cas d’infection au coronavirus ont été le fait d’une transmission locale, contre 119 cas arrivés de l’étranger, dont la majorité sont des Chinois·es revenant de l’étranger.
Le 10 avril, la municipalité de Guangzhou a indiqué [zh] que seulement 30 768 étrangers et étrangères résident à Guangzhou. La communauté étrangère vient majoritairement de Corée du sud (4 600), puis du Japon (2 987), et compte actuellement 4 553 d’Africain·e·s. De plus avec l’arrivée du coronavirus, un grand nombre de ces résident·e·s ont quitté la Chine et la restriction des voyages internationaux a fortement diminué le nombre d’étrangers et d’étrangères séjournant en Chine.
Alors que ces informations officielles démontrent que la « menace » qu’est supposée représenter la communauté africaine n’est pas plus grande que celle des autres communautés à Guangzhou, les médias locaux ont minimisé les chiffres de la contamination au niveau local et ont en revanche insisté sur les cas apportés de l’étranger.
Cette tendance a conduit a catégoriser les étrangers et étrangères comme potentiellement plus « contagieux et contagieuses ». Les Africain·e·s, plus aisément identifiables par leur couleur de peau, sont des cibles faciles pour ce type de harcèlement.
Un « traitement extra-national »
Ces réactions xénophobes à Guangzhou ont pris place sur fond de discours patriotiques qui décrivent les personnes étrangères comme peu coopératives et recevant un « traitement extra-national » – un terme populaire utilisé pour désigner les classes qui reçoivent plus de privilèges qu’un·e citoyen·ne lambda.
En plus de l’incident de l’infirmière attaquée à Guangzhou, une quantité de faits rapportés et de vidéos ont alimenté le discours xénophobe sur internet. Dans l’une des vidéos qui ont circulé, trois étrangers, dont un homme de couleur noire, sont allés au devant de la file d’attente pour un test de dépistage du coronavirus en criant, « Dégagez les Chinois ! » alors qu’une foule faisait la queue dans le quartier de Loshan à Qingdao. Dans une autre vidéo, une étudiante s’enfuit d’un centre de quarantaine. Enfin, une autre histoire raconte comment un anglais a obtenu le privilège [zh] d’être en quarantaine chez lui plutôt que dans un centre de quarantaine public grâce à l’appui de sa belle famille à Shanghai.
Sur Weibo, un avocat de Pékin qualifie les étrangers bénéficiant de traitements de faveur « d’ordures étrangères » :
Je ne rejette pas les étrangers. Par contre, je rejette ces « ordures étrangères » et je suis contre les traitements extra-nationaux. Dans ce village planétaire, nous sommes un pays régi par l’état de droit. Il est nécessaire que nous soyons un pays ouvert, mais je souhaiterais que l’appareil administratif ainsi que les organisations au service de la communauté agissent en adéquation avec la loi, ne délaissent pas leur dignité et ne se rabaissent pas en accordant un traitement extra-national à ces « ordures étrangères ».
Le 10 avril, l’administration nationale chinoise de l’immigration a déclaré [zh] que toutes les personnes étrangères refusant de coopérer avec les mesures de contrôle anti-virus devront quitter le territoire. Les personnes expulsées pourraient se voir interdites d’entrée en Chine pour une période pouvant aller jusqu’à 10 ans. Le journal officiel du Parti communiste, Le Quotidien du Peuple, s’est fait l’écho [zh] de ces opinions populistes circulant sur le net :
Tout étranger refusant de respecter les mesures de quarantaine devra assumer les conséquences légales. Une ligne rouge se trouve devant chacune de ces personnes. Que ce soit un·e citoyen·ne chinois·e revenant de l’étranger avec une attitude insolente ou un gendre étranger qui se considère tout permis, il n’est pas question de faire de compromis ni de dévier de ce qu’édicte la loi. L’ordre et l’harmonie nécessitent de se conformer à la loi. Nous sommes dans un pays ouvert, notre peuple est connu pour son hospitalité. Aussi nous attendons des personnes venant en Chine qu’elles respectent les mêmes règles que les autres.
Les nationalistes du net
Tandis que du côté africain, certains dirigeants réagissent contre la discrimination et la maltraitance d’Africain·e·s à Guangzhou, sur la toile chinoise, les réponses de certains commentateurs mêlant sentiments nationalistes et racisme se font plus fréquentes. En voici un exemple typique [zh] :
En ce moment, comment ne pas évoquer ces vidéos devenues virales ? Ces ordures étrangères, il y en a énormément en Chine. Eh bien, qu’on les expulse tous. Les Chinois ne doivent pas laisser les étrangers enfreindre la loi du pays. Ne vous courbez pas. Arrêtons de parler de diplomatie dès qu’un étranger est impliqué. Quiconque enfreint la loi doit en assumer les conséquences.
Sans manquer de rappeler les discours d’extrême-droite présents dans d’autres pays, les nationalistes du net chinois soutiennent aussi parfois l’idée d’une purification raciale. Cet utilisateur de Weibo écrit :
Expulsez ces « ordures étrangères » restées illégalement en Chine ! Expulsez ces Noirs qui dépassent la limite de leur séjour ! Sinon dans quelques années Guangzhou sera la première ville à changer de couleur. Les étoiles peuvent raviver la puissance de leurs flammes. Courage Guangzhou.
Une vidéo virale montrant un homme à la peau noire exprimant son « amour pour la Chine » a également attiré de nombreux commentaires xénophobes tels que celui-ci:
Tu aimes la Chine ? Est-ce que tu connais l’histoire de la Chine ? Est-ce que tu connais la culture chinoise ? Est-ce que tu penses pouvoir souffrir avec les Chinois dans les moments difficiles ? Est-ce que tu pourrais combattre avec la Chine contre ses envahisseurs ? Tu aimes la Chine parce qu’elle t’a donné bon nombre d’avantages, parce que tu as subi la discrimination des Blancs. Mais si le monde occidental t’offrait plus d’avantages, tu partirais immédiatement pour un autre pays. Tu oses dire que tu aimes notre pays. Ne souille pas notre drapeau de tes mains sales. Ce n’est pas ainsi que nous utilisons notre drapeau.
La plupart des citoyen·ne·s chinois·es ont vécu une quarantaine obligatoire pendant plus de deux mois. Cependant, beaucoup de personnes étrangères, en particulier les Africain·e·s, se retrouvent dans une situation vulnérable sachant qu’ils n’ont pas de visa de résident, ni parfois de visa de travail.
Un mois plus tôt, une proposition de loi leur permettant de demander le visa de résident en Chine a provoqué un tollé [en] de la part de nationalistes du net qui ont critiqué les étrangers qui se marient avec des femmes chinoises puis quittent le pays ou trahissent la Chine pendant la crise du COVID-19.
Au bout du compte, ce rejet des nationalistes quant à l’idée d’accorder la citoyenneté aux étrangers contredit leur revendication selon laquelle ceux-ci ne devraient pas recourir à un « traitement extra-national ». Plutôt que de considérer ces questions de manière rationnelle, les autorités chinoises ont bien souvent tendance à encourager des discours nationalistes contre les étrangers et étrangères.
Consultez le dossier spécial de Global Voices sur l’impact mondial du COVID-19 [fr].
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Ce billet a été écrit pas Oiwan Lam, militante des médias, chercheurs et éducatrice actuellement basé à Hong Kong. Il a été traduit en français par Mélissa qui est à ses debuts avec Global Voices. Il a été publié par ce réseau en français le 16 avril 2020.
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