Les États arabes réconciliés avec le Qatar, mais les militants saoudiens pour cette cause restent derrière les barreaux
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Une rupture entre le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn et l’Égypte a conduit à un boycott ainsi qu’à un blocus absolus du Qatar en juin 2017. Alors que ces pays arabes se réconcilient [fr] beaucoup de gens se demandent ce qu’il adviendra des citoyens saoudiens détenus pour avoir exprimé leur opposition à ce boycott et milité pour l’unité du monde arabe.
Depuis le mouvement connu sous le nom de Printemps arabe, les alliances régionales ont éclaté, laissant d’un côté le Qatar et de l’autre un quatuor de pays qui accusent les Qataris d’ingérence dans leurs affaires intérieures.
Doha, capitale du Qatar et siège du pouvoir, a accueilli avec faveur les changements politiques dans les pays touchés par les soulèvements et soutenu les Frères musulmans en Égypte ainsi qu’ailleurs, alors que les dirigeants des quatre autres États jugeaient ces changements politiques préjudiciables à leurs intérêts et considéraient les Frères musulmans comme une organisation terroriste islamiste.
En fin de compte, les tensions se sont intensifiées, conduisant les quatre pays à boycotter et à bloquer le petit État du Golfe riche en gaz, le poussant plus profondément dans les bras de leurs rivaux régionaux que sont la Turquie et l’Iran.
À la suite de plusieurs tentatives de rapprochement entre les États du Golfe, le 5 janvier, les dirigeants jadis opposés de l’Arabie saoudite et du Qatar ont signé un accord négocié par le Koweït et les États-Unis, pour régler leurs différends et rétablir leurs relations diplomatiques.
À l’aéroport saoudien d’al-Ula, au nord de Médine, le dirigeant de facto du royaume, le prince héritier Mohammed ben Salmane, communément connu sous ses initiales MBS, a accueilli son rival, l’émir du Qatar, le cheikh Tamim bin Hamad al-Thani, les deux dirigeants arborant des masques chirurgicaux en raison du coronavirus.
Presque immédiatement après l’annonce de la réconciliation, les médias proches de chacun des deux côtés dans la querelle et qui, pendant des années, s’étaient livrés [ar] une guerre médiatique féroce consistant à élaborer des théories du complot et à dénigrer leurs rivaux, ont commencé à louer [ar] la réconciliation et à saluer l’unité dans les rangs des frères du Golfe.
Pendant ce temps, au moins 20 citoyens saoudiens qui ont exprimé des sentiments allant dans le sens de cette réconciliation au début de la querelle et semblaient donc s’opposer à leurs dirigeants à Riyad, restent en prison, sous le coup d’une multitude d’accusations.
Un compte Twitter appelé «Prisoners of Conscience» (en français : Prisonniers de conscience), visant à soutenir les Saoudiens emprisonnés pour avoir exprimé leurs opinions, a tweeté :
🔴 NOUS DEMANDONS LA LIBÉRATION IMMÉDIATE DE TOUS LES PRISONNIERS DE CONSCIENCE QUI SONT DÉTENUS JUSTE PARCE QU’ILS ONT SOUHAITÉ UNE RÉCONCILIATION AVEC LE QATAR, IL Y A 3 ANS.
Parmi ces prisonniers se trouve l’éminent religieux islamique Salman al-Odah, dont la détention en 2017 est intervenue quelques heures après la publication du tweet suivant le 8 septembre :
Ô Dieu, louange à Toi. Mettez l’harmonie dans leurs cœurs pour qu’ils agissent dans le meilleur intérêt de leurs nations.
Depuis lors, M. Odah, âgé de 63 ans, est détenu principalement à l’isolement, avec des périodes d’accès limité ou sans accès à sa famille, et dans des conditions qui, selon son fils, reflètent l’intention des autorités de «le tuer à petit feu».
Ô Seigneur, ramène-le dans sa famille, auprès de ses proches, parmi les nations musulmanes arabes et dans le monde. #Ne_Tuez_Pas_Salman_Al_Odah
Le fils de M. Al-Odah, Abdullah, qui réside aux États-Unis, décrit la situation sanitaire du religieux :
Après un an de détention sans procès, le procureur général saoudien a demandé la peine de mort pour M. Odah pour 37 chefs d’accusation, notamment incitation à agir contre le dirigeant, appel au changement de gouvernement et possession de livres interdits.
Alors que les camps rivaux font amende honorable, les appels à la libération de M. Odah, ainsi que d’autres prisonniers, se sont multipliés.
Michael Page, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch, a tweeté :
Maintenant que l’Arabie saoudite apaise les tensions et ouvre la frontière avec le #Qatar, que diriez-vous de libérer des détenus comme @salman_alodah, accusés de s’opposer à un blocus (qui n’a abouti qu’à séparer les familles, bloquer les travailleurs et interrompre les soins médicaux des malades) ?
Awad al-Qarni et Ali al-Omari sont d’autres détenus notables sur lesquels pèsent des accusations similaires. On leur reproche notamment d’avoir entretenu des liens avec les Frères musulmans et le gouvernement qatari, et exprimé publiquement leur soutien aux dissidents emprisonnés :
🔴Dernière minute 2
Nous confirmons que
Cheikh Salman al-Odah
Cheikh Awad al-Qarni
Cheikh Naser al-Omar
sont toujours à l’isolement dans de très mauvaises conditions.
Parmi les autres détenus éminents figurent l’universitaire Mustafa al-Hasan, l’écrivain Abdullah al-Malki, et l’économiste Essam al-Zamil.
Leur arrestation a eu lieu il y a plus de trois ans, à peu près au même moment où plusieurs militantes revendiquant le droit de conduire pour les femmes ont été interpellées. Parmi elles se trouvait l’activiste emblématique Loujain al-Hathloul [fr].
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Ce billet que j’ai traduit de l’anglais en français a été écrit par Dahlia Kholaif pour le réseau globalvoices.org qui l’a publié le 2 février 2021.