La formation de la police sous Sékou Touré
Avant on avait de l’avancement au mérite ou à l’ancienneté. Mais avec la politisation, le seul critère retenu était de savoir si l’on servait bien ou non le PDG et son chef
Ce billet reprend le Témoignage d’Ibrahima Sory Dioumessy, ancien policier, entrepreneur et président de l’AVR, l’Association des victimes de la répression sous la plume de Olivier Rogez. Il est extrait de l’ouvrage Mémoire collective, une histoire plurielle des violences politiques en Guinée de RFI et de la Fédération internationale des droits de l’homme paru en 2018, à l’occasion des 50 ans de l’indépendance de la Guinée. |
La formation de la police a toujours été un problème dans ce pays. Sous le ministre Fodéba Keita, il y avait une vraie ambition. On nous envoyait en Algérie, en Tchécoslovaquie etc. Mais cela n’a pas duré. Quand on a commencé à faire entrer n’importe qui dans la police – le premier militant venu ou des délateurs professionnels – les gens ont pensé que la police était un bon moyen de promotion sociale. Beaucoup n’avaient pas de formation, ce qui comptait c’était leur fidélité au parti. Par exemple, il y avait des quotas de recrutement. Il fallait faire entrer dans la police un certain nombre de miliciens. La milice avait été créée par Sékou Touré après le complot de 1969. Sur le papier, c’était une sorte d’armée de réserve que l’on occupait à divers travaux d’intérêt général, agriculture, routes. Mais en fait c’était un contre-pouvoir. La milice était chargée de surveiller l’armée et la police. Elle s’immisçait dans notre travail. Les miliciens qui n‘avaient aucun pouvoir de police judicaire ne se privaient pas d’arrêter les gens et d’empiéter sur nos prérogatives. C’est à partir de ce moment-là que des problèmes d’autorité ont commencé à voir le jour. Entre les commissaires politisés et membres du parti, et la milice qui interférait dans notre travail, les policiers finissaient par ne plus respecter la hiérarchie traditionnelle.
L’avancement dans la police a connu les mêmes dérives. Avant on avait de l’avancement au mérite ou à l’ancienneté. Mais avec la politisation, le seul critère retenu était de savoir si l’on servait bien ou non le PDG et son chef. Pourtant, cela fonctionnait peu ou prou. Les policiers qui commettaient des crimes ou des fautes passaient en conseil de discipline. J’ai personnellement vu plusieurs policiers radiés et sanctionnés durement. Même pour de simples faits de corruption. Mais avec l’arrivée de Lansana Conté au pouvoir, le Conseil de discipline a disparu, de même que le syndicat de la police. Aujourd’hui, ce conseil a été rétabli mais je pense, au vu de ce que je vois dans les rues, qu’il ne fonctionne pas correctement. La suppression du syndicat a aussi engendré des problèmes. Avant les policiers avaient une courroie de transmission pour toutes les questions d’avancement, de formation ou de condition de vie. Aujourd’hui cela n’existe plus.
Sous Lansana Conté les choses ont commencé à devenir plus difficiles. Tout le monde se souvient de ce qu’il disait aux fonctionnaires : « Prenez un peu, mais ne prenez pas tout » ou encore « les autres volent, moi je prends ». Avec des mots comme ceux-là, vous imaginez bien ce que les gens pensaient et ce qu’ils faisaient. L’administration est devenue très corrompue et la police en premier lieu. D’autant que les mécanismes de contrôle du travail des agents avaient été supprimés. Sous la Première République, il y avait des conférences périodiques dans les ministères. Les fonctionnaires devaient défendre leur bilan, expliquer les carences etc. Ce système a disparu avec Lansana. Les gens n’étaient plus redevables, ni envers à l’État ni envers la population. Il y a quand même un ministre qui a tenté d’aider la police, c’était René Gomez. En 1996, il a voulu augmenter le salaire des policiers. Immédiatement les militaires se sont mutinés et cela a conduit à la révolte des 2 et 3 février. René Gomez voulait juste mettre les policiers à l’abri de la tentation de la corruption. Mais les militaires l’en ont empêché.