Guinée: La micro-finance en Guinée
Dans un pays où l’économie informel est la source principale de revenus de la grande majorité de la population, la micro-finance joue un grand rôle. Les acteurs principaux de l’économie informelle ne sont pas en mesure de remplir les conditions requises par les banques et autres institutions traditionnelles qui accordent des crédits. Les institutions de micro-finance au contraire ont pour objectif de fournir à ces opérateurs économiques les moyens pour réaliser leurs projets avec le minimum de bureaucratie et de conditions à remplir. Quelles sont ces institutions? Comment opèrent-elles? Et quelles sont leurs réalisations?
Le blogueur Fodé Kouyaté a effectué cette interview à ma demande . Elle sera aussi publiée sur son blog: http://guinee50.blogspot.com
Entretien avec El hadj Kémo Condé Directeur de la supervision des institutions de micro finances, Banque centrale de Guinée (BCRG)
1) A quoi consiste le travail de votre département ?
Ici, c’est la direction de la supervision des institutions de micro finance. C’est cette direction qui est chargée d’élaborer la réglementation. Quand je dis : Réglementation, il s’agit des textes de loi et les instructions de leur application. Elle est également chargée de la supervision. La supervision consiste donc à veiller à l’application de ces textes réglementaires en effectuant des contrôles sur pièces (c’est-à-dire à travers les états financiers que ces institutions nous transmettent) ou à travers des contrôles sur place en se rendant sur le terrain pour savoir ce qui se passe. Globalement, c’est la mission dévolue à notre direction.
2) Il y a aujourd’hui combien d’institutions de micro finance en Guinée ?
Les institutions de micro finance qui sont autorisées à exercer cette activité sont au nombre de treize (13). Ce sont : Crédit Rural de Guinée (CRG) ; Caisses Populaires d’Epargne et de Crédit de Guinée (CPECG) ; Programme Intégré pour le Développement de l’Entreprise ( PRIDE FINANCE) ; Agence Autonome d’Assistance Intégrée aux Entreprises (3AE) ; Société Coopérative de Mobilisation des Ressources pour l’Investissement en Guinée ( MIGUI) ; Société Anonyme Financial Développement (FINADEV SA) ; Caisses Communautaires d’Epargne et de Crédit et de Crédit de Guinée (CCECG) ; Centre d’Appui et de Formation au Développement à l’Epargne/Crédit et à l’Education Civique (CAFODEC) ; Mutuelle d’Epargne et de Crédit des Pêcheurs Artisanaux de Guinée (MECREPAG) ; Réseau d’Assistance Financière aux Organisations Communautaires (RAFOC ; Coopérative d’Epargne et de Crédit Nafa (COOPEC NAFA) ; Groupement d’Appui à l’Auto promotion Economique et Sociale (GAAES) et Maison Guinéenne de l’Entrepreneur (MGE).
Elles sont implantées un peu partout sur le territoire national.
3) Quels sont les apports de ces institutions à l’économie nationale ?
Je pense que ce sont elles mêmes qui sont mieux indiquées pour répondre à cette question. Ce sont elles qui mesurent l’impact du service qu’elles fournissent aux populations à la demande, souvent, des différents bayeurs de fond. Nous, en tant que banque centrale, nous assumons la tutelle, la supervision pour s’assurer de la bonne marche des différentes structures. Mais nous ne faisons pas d’étude pour mesurer l’impact.
4) Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans l’exécution de votre mission ?
L’une des principales difficultés que nous rentrons avec ces institutions, c’est le non respect -par la plupart d’entre elles- du délai de transmission des états financiers. La loi dit qu’à partir du 15 avril de chaque année, elles doivent nous fournir leurs états financiers certifiés. Mais avec le manque d’électricité (par exemple) elles ont des difficultés de tenir ce délai. L’autre difficulté c’est la concurrence déloyale. Je viens de citer les institutions agréées par la banque centrale. Il y en a d’autres qui opèrent de façon illégale sur le terrain livrant ainsi une concurrence déloyale à celles qui sont agrées. Un autre problème est que les fonds se font de plus en plus rares. Avec tout ce que notre pays a vécu comme crises ces dernières années, la plupart des bayeurs avaient fermé les robinets.
5) Est-ce que la banque centrale apporte de l’aide financière aux institutions de micro finance en Guinée ?
Non. Cela ne fait pas partie des attributions de la banque centrale. C’est l’Etat, à travers sa politique de lutte contre la pauvreté, qui peut faciliter l’intervention de certains bayeurs de fonds dans le domaine des micro-finances.
6) Vous parliez tantôt de structures qui opèrent de façon illégale. Est-ce que cela veut dire qu’il y a des institutions fantômes dans le secteur des micro-finances en Guinée?
Effectivement, il y en a. Les gens leur déposent de l’argent et un beau matin, ils apprennent que la structure a disparu. Tout récemment, nous avons mis la main sur trois institutions non agrées qui promettaient 25% de taux d’intérêt en six semaines. C’est dû jamais vu ! Nous les avons déjà fermé mais il n’est pas exclu qu’il y ait d’autres qui sont encore sur le terrain.
7) Si vous avez réussi à arrêter les responsables, quelle est la suite de ces affaires ?
Nous avons arrêté les promoteurs et nous les avons traduit en justice. Le jugement est en cours. Nous nous avons l’obligation morale de veiller à la bonne santé financière des institutions que nous avons agrées. C’est raison pour laquelle nous avons publié dans les médias la liste des institutions autorisées par la banque centrale pour que la population sache quelles sont les structures habilitées et demande le numéro d’agrément à celles qui viennent vers elle.
8) A combien s’élève le montant escroqué par ces structures et où exactement ?
Il y avait une structure de ce genre qui faisait de l’arnaque à Kindia. Le montant en cause est de 1.200.000.000 GNF qu’elle a escroqué dans l’espace de deux à trois mois.
9) Par quelle méthode opérait-elle ?
Nous avons pris les documents qui étaient en leur possession pour savoir comment elles opèrent. Nous avons constaté que les dépôts de la semaine du 26 au 30 avril 2010, elle avait déjà collecté 49.180.000 GNF. Ce montant a été remboursé six semaines plus tard par les dépôts du 07 au 11 juin par ce que ces dépôts ont fait 78.080.000 GNF. Comme elle avait déjà collecté 49.180.000 GNF qu’elle allait rembourser avec intérêt, les 49 million plus intérêt (capital + intérêt) ça fait 61 millions. Puisqu’elle avait encore récupéré 78 millions les semaines suivantes, elle a payé le capital et l’intérêt dans les 78 millions et elle a eu un reliquat de 16 millions dans la semaine : c’est son bénéfice. Cela veut dire qu’elle n’a aucun banquier, aucune ressource financière. Seulement, les derniers déposants remboursent les premiers. Au jour de l’arrêt de leur opération, elle était à un milliard. Imaginez-vous, ce sont des dépôts de 500.000 GNF à 200.000 GNF… Donc ça fait toute la population de Kindia car les clients ne sont pas des gros clients des banques. Ce sont les femmes de ménage, nos mamans. Et c’est là où il y a le danger. C’est la population la plus pauvre, la plus fragile.
10) Comment avez-vous réussi à dénicher ces escrocs ?
Vous savez, nous avons aussi notre stratégie. Nous avons sensibilisé les institutions de micro-finances qui sont agrées. Nous leur avons dit : dans votre intérêt et dans l’intérêt de tout le système, dès que vous êtes informés de l’existence d’une structure qui fait la même activité que vous alors qu’elle n’est pas autorisée, informez nous. Nous avons également prévu dans notre plan d’action, de faire des campagnes de sensibilisation en nous appuyant sur les médias pour que la population soit mieux informée.
11) Le 25 Août dernier, un document élaboré par les experts du secteur des micro-finances a été adopté ici à Conakry. Que contient ce document ?
Il s’agissait d’un atelier de validation. Notre pays est l’un des rares pays qui n’avaient pas encore de politique spécifique à la micro finance contrairement aux pays de la zone UEMOA où il y a un document de stratégie nationale de la micro finance. C’est ce document qui permet de définir le rôle de tous les acteurs : la banque centrale, les institutions elles mêmes, les bailleurs de fonds et tous les autres acteurs qui interviennent dans ce secteur. Donc jusqu’à une date récente, la Guinée n’avait pas ce document. Quand il ya eu la créance d’une agence nationale de micro finance le 19 avril 2011 -agence qui aura pour mission principale d’encadrer et de promouvoir ce secteur-, sur financement du PNUD les expert ont été commis à élaborer ce document. Pour cela, il fallait le diagnostic du secteur. C’est le résultat de ces travaux qui a été soumis à l’ensemble des acteurs et qui l’ont validé.
12) Votre dernier mot ?
Je ne peux que vous remercier d’être venu chercher l’information à la source car tout ce que je dis ici engage la banque centrale. C’est officiel. Je suis très heureux que vous vous intéressiez à ce qui ce passe dans notre pays contrairement à ceux qui balancent sur internet les informations qu’ils n’ont pas cherché à vérifier. Je vous encourage et vous remercie très sincèrement.