Les forces de sécurité guinéennes ont désormais le droit de tirer à vue
L’Assemblée nationale de Guinée a adopté le 25 juin 2019 une loi relative à l’usage des armes à feu par les agents des forces de sécurité qui suscite de vives réactions de la part des ONG et de l’opposition. Le site d’informations guinéen visionguinee.info explique :
Cette loi établit plusieurs justifications de l’usage de la force – notamment pour défendre des positions occupées par les gendarmes – sans souligner clairement que les armes à feu ne peuvent être utilisées que lorsqu’existe une menace de mort ou de grave blessure.
En 2017 a paru un rapport conjoint de diverses organisations non gouvernementales guinéennes de défense des droits humains publié avec le soutien des ONG françaises Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT-France) et la Ligue Française de Défense des Droits de l’Homme (LDH), qui reconnaît des avancées notoires en matière des droits humains, mais s’inquiète également du vide juridique existant dans la définition de la nécessité du recours à la légitime défense:
La nouvelle mouture du Code pénal guinéen ne définit pas assez précisément le recours à la légitime défense et à l’état de nécessité de l’usage de la force. Les drames humains consécutifs à un usage disproportionné de la force sont réguliers en Guinée, à l’instar des incidents du 16 août 2016 à Conakry (marche pacifique durant laquelle un jeune homme a trouvé la mort).
De nombreux observateurs remettent en question l’opportunité d’une telle loi dans un pays où les forces de sécurité sont connues pour un usage souvent excessif de la force.
S’inquiétant des conséquences de cette loi, les ONG internationales de défense des droits humains, Amnesty International et Human Rights Watch, dans un communiqué commun font un décompte partiel des manifestants et agents des forces de sécurité tués lors de manifestations ces dernières années :
Des dizaines de manifestants et deux agents chargés de l’application des lois ont été tués en 2012-2013, à l’approche d’élections législatives. Au moins 12 personnes ont été tuées, dont 6 par des tirs d’armes à feu, et de nombreuses autres ont été blessées, à l’approche et à la suite de l’élection présidentielle de 2015. Au moins 21 personnes sont mortes lors de manifestations en 2018, dont au moins 12 auraient été victimes de tirs mortels de la part des forces de sécurité d’une part, et un agent de police et un gendarme tués par des manifestants d’autre part.
Et ceci malgré les engagements de la Guinée envers la communauté internationale en matière d’usage des armes, comme le rappelle sur le site guinéen d’informations et d’analyse ramatoulaye.com, le journaliste guinéen Alpha Amadou Diallo qui cite un communiqué de l’association Cellule Balai Citoyen:
Les normes internationales en matière de droits humains stipulent que les armes à feu ne devraient jamais être utilisées pour simplement disperser un rassemblement.
Si le recours à la force pour disperser des manifestations violentes est inévitable, les forces de sécurité doivent seulement recourir à la dose de force minimale nécessaire pour maintenir la situation sous contrôle en s’appuyant sur l’utilisation proportionnée d’armes moins létales
De plus, l’approbation de cette loi intervient à l’approche des élections présidentielles prévues en 2020, à une période où le risque de violences est accru car le Président Alpha Condé persiste dans son intention de procéder à une révision de la Constitution qui lui permettrait de briguer un troisième mandat, ce que l’article 27 de la Constitution actuelle ne permet pas.
Le journaliste et militant pour les droits humains camerounais, J. Rémie NGONO relève sur le site d’informations camerounais coupsfrancs.com que
En prévision des manifestations contre son troisième mandat, Alpha Condé a fait voter une loi pour donner le droit aux gendarmes d’abattre les opposants comme la volaille.
Cette loi voulue par la majorité présidentielle a été également vivement contestée par l’opposition. Le journaliste guinéen Mamadou Baïlo Keïta rapporte sur le site guineematin.com :
Le texte a suscité une vive polémique entre les députés à l’Assemblée nationale. Le groupe parlementaire des Libéraux-démocrates, composé des élus de l’UFDG [Union des forces démocratiques de Guinée] rejeté le projet de loi, soumis au Parlement par le gouvernement.
Comme le relèvent plusieurs observateurs, le risque principal est que les forces de l’ordre éprouvent un sentiment d’impunité. Ainsi, pour Jim Wormington chercheur à la division Afrique de Human Rights Watch, couvrant l’Afrique de l’Ouest:
La Guinée a une nouvelle loi qui vise à protéger les gendarmes qui utilisent les armes à feu des poursuites judiciaires.
Avec la Guinée au bord d’une crise politique, la loi pourrait favoriser l’impunité en cas de nouvelles violations des droits humains.
Ce souci est partagé par le leader politique de l’opposition Bah Oury :
Les tragédies récurrentes que la Guinée a enregistré tout au long de son histoire devraient pousser à réglementer plus strictement l’utilisation des armes à feu dans le cadre du maintien d’ordre. Cette loi laxiste est un danger et elle va dans la mauvaise direction.
Pour Nouhou Baldé, journaliste et analyste des questions politiques, économiques et sociales, le risque de dérive est clair:
#Loi dangereuse en #Guinée : les #gendarmes autorisés à tirer (avec des #armes de #guerre)
Avec une Commission électorale nationale indépendante (CENI) contestée, et une magistrature aux ordres du Président Alpha Condé, l’introduction de cette nouvelle loi est le dernier acte destiné à intimider toute opposition aux tentatives du pouvoir d’imposer aux Guinéens un 3ème mandat.
Ce billet dont je suis l’auteur a été publié le 19 juillet 2019 sur le site globalvoices.org et traduit en italien, espagnol, anglais et malagasy.