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Dès le 1er avril 1959, Sékou Touré abolit les métiers d’avocat, de notaire et de huissier

Ce billet est extrait du livre Sékou Touré: Le Héros et le Tyran du Professeur Ibrahima Kaké. Agrégé d’histoire, disparu le 7 juillet 1994, il a contribué à faire connaitre un peu plus l’histoire africaine. On pouvait l’écouter sur RFI et sur les vols de la compagnie multinationale « Air Afrique ». Il est auteur de nombreuses publications.

La persécution et les tentatives d’assassinat à Paris dont cet éminent fils de notre pays a été victime montre la stupidité du régime dictatorial de Sékou Touré et de sa bande de tueurs qui avaient pris en otage tout notre peuple, transformant le pays en un goulag à ciel ouvert.

C’est, comme on le verra dans les lignes qui suivent, dès l’accession de la Guinée à l’indépendance que le tyran Sékou Touré a commencé à tisser la toile qui allait maintenir le peuple de Guinée sous son étau tentaculaire et impitoyable. 

Sékou Touré ayant fait voter « non » au referendum du 28 septembre, il ne reste plus qu’à proclamer la République. A peine celle-ci est-elle inaugurée, le 2 octobre 1958, qu’on entend le leader guinéen déclarer dans l’un de ses discours enflammés: Hommes et femmes, jeunes et vieux du PDG, vous aurez a surveiller tout le monde, à commencer par le président Sekou Toure, dans les moindres attitudes, publiques comme privées. Tous ceux que vous considérez comme susceptibles de faire honte à la Guinée et à l’Afrique, dénoncez-les.

Pouvait-on deviner que s’annonçaient déjà là le recours permanent à la police secrète et la mise au pas du peuple ? Dès ce moment, la première devise de Sekou se ramène en substance à ceci: Surveillez-vous les uns les autres, moi je vous surveille tous. Et quand il annonce, dans un meeting, que le parti impose sa dictature comme un conducteur impose sa dictature aux passagers d’un véhicule, une phrase qu’il affectionne, les Guinéens ne vont pas tarder à comprendre qu’il ne saurait désormais y avoir qu’un seul commandant à bord.

C’est là le sens profond de la révolution telle que l’envisage Sékou Touré, comme le démon trent vite quelques mesures exemplaires. Dès le 27 janvier 1959 un décret organise la suppression de la liberté d’information. On va jusqu’a déconseiller aux particuliers de posséder des postes récepteurs puisque le ministre de l’intérieur estime qu’il s’agit là d’un indice de rébellion.

Un autre décret en date du 1er mars 1959 interdit bientôt la parution de Guinée Matin, quotidien du groupe Charles de Breteuil, actif dans tout l’Ouest africain. Il était jusque là en sursis, car possédé par un étranger. Seul est désormais autorisé l’hebdomadaire du parti: La Liberté, qui devient Horoya – mot signifiant exactement liberté en soussou comme en malinke. Quant à la restriction de la liberté professionnelle, elle intervient le 1er avril 1959 et aucun avocat, notaire, huissier n’a plus le droit d’exercer, si ce n’est à la demande des autorités.

Plus significative encore de la direction que prend le régime, la création d’une organisation unique de jeunes, directement dépendante du Parti démocratique de Guinée (PDG): la Jeunesse de la révolution démocratique africaine (JRDA). Le congrès constitutif se tient sous le hangar de la bourse du travail à Boulbinet, en bordure de mer.

Nous sommes fin mars 1959 à 15 heures et la salle du congrès est pleine à craquer. A 15 heures 30, coups de sirène, le Président Sékou Touré et sa suite arrivent. Quelqu’un lance dans un haut-parleur: Le président de la république! La foule se lève comme un seul homme, et applaudit. Le président et son cortège entrent et s’installent.

Au bout de dix minutes, curieusement ils ressortent. Dix à quinze minutes après, l’annonceur reprend le micro et lance: Le camarade secrétaire général du parti ! Et Sékou Touré et sa suite réapparaissent et la foule applaudit à nouveau.

Ainsi ouvert de façon spectaculaire, le congrès proprement dit se réduit à un discours-fleuve du président secrétaire général. Et à une litanie de motions de fidélité présentées par les délégations. En quelques mots, Sékou Touré indique la voie dans laquelle doit s’engager désormais le pays, à savoir la voie de l’unanimisme:

A partir de ce jour, crie-t-il du haut de la tribune, aucune organisation de jeunes étudiants -équipes sportives, scouts, associations culturelles ou religieuses- n’a d’existence légale en Guinée. Tous doivent désormais se fondre dans la JRDA. En feront obligatoirement partie tous les jeunes garçons et filles âgés de 10 à 25 ans.

Avec une suite remarquable dans les idées, Sékou met ainsi d’un coup la main sur les jeunes après s’être occupé dans la phase précédente des partis adverses, des syndicats et des opposants au sein de son propre parti. Les derniers outils de la dictature sont en train d’être forgés.

Les peuples africains et leurs amis ont tellement aspiré à l’indépendance qu’ils ne se rendent pas compte tout de suite que leur idéal est en fait bafoué dans cette Guinée parée de toutes les vertus pour avoir ainsi choisi l’émancipation totale. Cette erreur d’optique, bien compréhensible, se retrouve même chez les penseurs les plus lucides. Il suffit de consulter pour s’en persuader le numéro de décembre 1959 et janvier 1960 de la revue Présence africaine consacré à la Guinée indépendante. Il faut surtout y lire l’article d’ Aimé Césaire : La pensée politique de Sékou Touré.

Supporter enthousiaste, l’écrivain poète antillais ne tarit pas d’éloges à l’égard du leader guinéen. Voici ce qu’il écrit: Oui, Sékou Touré, de tout son temps, s’est donné un but net, qu’il n’a jamais caché à ses partenaires européens, ni à ses partisans africains: l’indépendance de son pays […] Si bien, que lorsque se présenta pour lui « l’offre du destin », il était prêt, et la Guinée elle aussi, elle surtout, était prête. C’est sans doute là ce qui, en définitive, le met hors de pair en Afrique: cette liaison quasi charnelle avec la masse dont il parle non seulement la langue, mais ce qui est plus important, le langage […]

Et Césaire d’ajouter: Lui [Sékou Touré] qu’en Europe on campe si complaisamment en dictateur, je suis frappé de son haut sentiment des droits du peuple, des droits de son peuple, et on sait que s’il est un reproche qu’il fait au régime colonial, c’est d’être les tenants d’une politique qui refuse de donner la parole au peuple.

Un panégyrique difficile a relire sans sursauter vingt-cinq après…

Mais les ambitions de Sékou Touré ne se limitent pas à la caporalisation des mouvements de jeunes. Il va mettre petit à petit en branle une véritable révolution économique.

Au cours de l’année 1958, on s’étonne pourtant de la modération des premières mesures dans ce secteur. C’est ainsi qu’un décret du 20 novembre 1958 crée un comité interministériel charge de conseiller le gouvernement pour réorganiser l’économie guinéenne sans qu’il soit jamais fait mention d’une quelconque modification fondamentale.

S’agissant de la principale ressource minière du pays, le gouvernement s’empresse même de reconduire les accords antérieurs qui garantissaient au Consortium d’alumines de Fria et aux Bauxites du Midi un régime fiscal privilégié.

Le même gouvernement guinéen se contente seulement de bloquer les prix quand le franc est dévalué le 28 décembre 1958. Le gouvernement est d’ailleurs provisoirement à l’abri des soucis financiers grâce à diverses aides, notamment du Ghana et des pays de l’Est, les premiers à reconnaitre le nouvel Etat. L’URSS lui accorde un premier prêt de 35 millions de dollars dès  1959.

Si la Guinée de Sekou Toure s’en tire bien en cette fin d’année 1958, les vraies difficultés commencent cependant dès le début de l’année suivante. Le retrait brutal des fonctionnaires, de l’assistance technique et de l’aide financière de la France entrainent un grave déficit des finances publiques: 2,8 milliards de francs CFA en 1959 selon l’économiste Samir Amin.

Facilité par l’absence de monnaie nationale, un grand mouvement de fuite des capitaux se manifeste durant toute l’année 1959. Vu les graves inconvénients de cette situation, Sékou Touré n’a bientôt d’autre recours que de créer une nouvelle monnaie, le franc guinéen, le 1er mars 1960.

Après cette réforme monétaire, dès novembre 1960 on décrète que le commerce extérieur sera désormais un monopole d’Etat, monopole exercé par le Comptoir guinéen du commerce extérieur (CGCE). Celui-ci étend vite son activité au commerce du détail, ce qui provoque une limitation de l’extension du secteur privé dans ce domaine.

Dans d’autres branches de l’économie, la tendance dirigiste se manifeste brutalement: il en est ainsi pour la distribution de l’eau, l’électricité, l’exploitation de l’or et du diamant, le transit maritime, etc., ou les entreprises de production ou de services sont nationalisées.

Prises au coup par coup, ces mesures prennent tout leur sens dans le cadre d’un plan triennal, qui doit couvrir la période allant du 1er juillet 1960 au 30 juin 1963. Il a été préparé par l’économiste français Charles Bettelheim et son assistant Jacques Charrière, en collaboration avec un autre planificateur, Jean Benard, et les services administratifs guinéens.

Tous les économistes qui ont eu à se pencher sur ce premier plan triennal soulignent son caractère relativement improvisé. Les décisions prises n’en indiquent pas moins clairement l’orientation d’ensemble. Il s’agit ni plus ni moins, dit-on, d’opérer des réformes allant dans le sens de la décolonisation et de la mise en place de structures socialistes.

L’avènement du socialisme ? Si l’on veut. Toujours est-il que le peuple guinéen et ses représentants ne participent à aucun des choix, ce qui en limite singulièrement la portée. Il n’est pas consulté, pour commencer, lorsqu’il s’agit de se rallier à l’option fondamentale du socialisme, il ne l’est pas plus pendant l’élaboration du fameux plan triennal, de ses objectifs et de leur mise en application.

L’essayiste français très bien informé qui se cache derrière le pseudonyme de B. Ameillon précise peu après que l’aspect socialiste de la politique guinéenne dépendait moins des volontés locales que des forces internationales qui s’exerçaient sur un petit Etat, placé, par des circonstances extérieures, à « l’avant-garde » du combat africain. Aussi ne faut-il peut-être pas s’étonner devant les énormes difficultés rencontrées dans l’exécution du plan, encore moins face à ses résultats peu concluants. D’autant que les entreprises d’Etat sont vite surchargées, népotisme aidant, de personnels non seulement pléthoriques mais incompétents.

Comme on pouvait s’y attendre, Sekou Toure s’empresse d’attribuer ces graves difficultés à son opposition, accusée de servir de cheval de Troie à l’impérialisme.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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