Politique

Il y a 40 ans et un mois naissait mon dernier fils, pour nous quitter avant ses 19 ans

En 1976, un peu plus d’un an après mon affectation à la Commission économique pour l’Afrique des Nations unies, mon épouse me laissait à Addis-Abéba pour venir donner naissance à notre troisième fils à Rome.

La date prévue pour sa naissance étant passée, ma femme décida avec son gynécologue de l’aider à venir dans ce monde. Elle fixa elle-même la date du 28 septembre en honneur au peuple de Guinée qui avait choisi le NON, 18 ans plus tot.

Depuis sa naissance, il a eu une vie aventureuse. En effet, à juste deux semaines après sa naissance, il s’est trouvé confronté aux problèmes de papiers créés par la bureaucratie italienne. Sa maman voulait retourner immédiatement à Addis-Abéba où elle enseignait l’histoire de l’art à l’école italienne. C’était sans compter avec la bureaucratie! La législation italienne, dans le cadre de la lutte contre le trafic d’enfants et pour aussi se conformer aux accords internationaux, lui a dit qu’il fallait mon accord. Il fallait que je sois présent ou bien suivre une procédure que nous trouvions un peu trop longue, mais qui parait dérisoire aujourd’hui: présenter un document signé de moi. Comme il n’y avait pas de Google.doc ni de fax, ce n’était pas facile.

J’étais sur le point de quitter Addis-Abeba pour les rejoindre à Rome. C’est alors que ma femme eut le courage de faire une tentative risquée, mais qui donna des résultats inespérés. Elle signa à ma place! Avec ses deux frères ainés, ils ont ainsi pu retourner dans la capitale éthiopienne.

Souleymane était d'une grande générosité et aimait les animaux. Ici, avec son chat qu'il nous a laissé comme pour nous tenir compagnie, vu qu'il allait disparaitre sous peu.
Souleymane était d’une grande générosité et aimait les animaux. Ici, avec son chat qu’il nous a laissé comme pour nous tenir compagnie, vu qu’il allait disparaitre sous peu.

Nous y sommes restés jusqu’au 30 novembre 1976, date de mon affectation à Vienne, Autriche. Dans les deux premiers mois de sa vie à Addis, Souleymane avait entendu parler anglais et tigrigna autour de lui, en plus du français et de l’italien. Dans la capitale autrichienne, une autre langue, l’allemand s’est introduite dans sa jeune vie. Ce qui lui faisait 5 langues! La conséquence a été qu’il a commencé à parler très tard. Les premières langues qu’il a utilisées ont été l’allemand et l’italien. Malgré qu’il n’avait que près de deux ans, il s’est tout de suite imposé de parler chacune des deux langues sans les mélanger, selon le contexte dans lequel il se trouvait.

Mais que de situations marrantes, lorsque nous y pensons, que nous avons vécues avant que nous commencions à comprendre l’allemand. Exemples: En regardant la TV, s’il voyait une vielle, il disait « OMA » (grand-mère), nous comprenions « Omar ». On pensait qu’il appelait son oncle de ce nom qui vivait avec nous. S’il voulait attirer notre attention vers une direction, il disait « Schau » (regarde), on comprenait « ciao ».

Après quelques années, lorsqu’il est entré au Lycée français de Vienne, il a continué à nous remplir de satisfaction et de motifs pour rire ensemble. Le premier jour à l’école, alors que tous les enfants sont intimidés, lorsque la maitresse a commencé l’appel des élèves, arrivé à son nom, ne s’attendant pas à voir un nom différents des noms français ou autrichiens, a commencé à bégayer. Il se lève et lui dit: « Tu peux m’appeler Souly ». C’est ainsi que meme à la maison tout le monde l’appelait Souly!

Une fois sa maitresse a organisé une excursion. Elle a donné l’ordre que tous les enfants se mettent en rang deux par deux. Au bout de quelques temps, elle se rend compte qu’il marchait derrière tout le monde et seul. À sa demande pourquoi, il marchait seul, Souleymane répond qu’il n’est pas seul. La maitresse surprise lui demande s’il voulait se moquer d’elle. Il répond qu’il avait Dieu à ses cotés.

Un autre jour, en jouant dans la cours de récréation, en voulant pousser fort il tombe en arrière de la plateforme du tobogan et perd connaissance. L’infirmerie du Lycée m’appelle pour m’en informer et me dire d’aller le chercher. Il devait avoir 6 ou 7 ans.

Je vais le chercher en voiture. De retour à la maison, au portail, le plus sérieusement du il me demande où nous allions. Compte tenu du choc qu’il venait de subir, je blêmis. Me voyant sur le bord de l’évanouissement, il éclate de rire. C’était une de ses blagues!

Je ne me rappelle plus avec exactitude en quelle classe il était, mais peut-être bien que c’était au moment de son passage de la 5ème à la 4ème. Le Lycée n’a pas hésité à écrire sur son bulletin, qu’il n’était pas mur pour passer à la classe supérieure. La preuve c’était qu’il écrivait encore de la main gauche!!!

Nous l’avons alors mis à l’école internationale de Vienne, où il pouvait continuer en anglais, sans négliger le français, y retrouvant ses deux meilleurs amis Kai et Jan, deux jumeaux autrichiens. Habitué à beaucoup travailler au Lycée français, un jour une des maitresses nous a convoqués pour nous dire qu’elle ne savait plus quoi lui donner car il avait épuisé le programme. Dans un coin de la classe, il y avait un matelas, ce qui nous a intrigués au point de poser la question de savoir à quoi ça servait. Elle nous a dit que c’est là que les enfants qui avaient fini trop vite leurs devoirs allaient se défouler, en attendant que les autres finissent.

Étrangement, il a été en Guinée seulement une fois, en 1986. Mais il l’a tellement aimée qu’il disait que Conakry était plus belle qu’Abidjan. Ne pouvant pas aller à Conakry, c’est dans la ville sur la lagune ébrié que nous passions nos vacances. Il a aimé ses oncles et cousins que nous rencontrions dans la capitale ivoirienne. Il y en a un, en particulier, qui se trouve maintenant aux USA, Badara Nkroumah, avec qui il s’était lié d’une telle amitié qu’ils pleuraient lorsque nous nous séparions à la fin des vacances.

Souleymane avait un battement du coeur et une rage dans les compétitions qui pouvaient faire de lui un champion sportif. Adolescent, son rythme cardiaque au repos était très bas. Il pratiquait le ju-jitsu, le tennis, le football, le skateboard, le ping-pong, la pétanque, la course et toutes les activités du scoutisme nautique. Lors d’une course autour du « ring » de Vienne, il est arrivé premier parmi les enfants avec un temps qui le plaçait parmi les premiers adultes.

En aout 1995, il a organisé une vacance sur l’ile de Paros, en Grèce avec tous ses copains pour passer quelques temps après le baccalauréat avant de se séparer, chacun allant faire ses études universitaires ailleurs.

Pendant que sa mère et moi, nous étions à Kigali, où j’étais en mission pour la paix, il est mort dans un accident de la circulation. Il était passager sur une moto que guidait un des deux jumeaux qui était son meilleur ami. Une moto moins puissante leur a coupé la route brusquement sur une descente, à moins de 250 mètres de leur destination. Son copain a freiné brusquement, Souleymane a volé la tête en avant pour aller s’écraser sur le goudron. La moto, elle aussi poussée par le freinage a fini sur sa tête. Cela se passait le 15 aout 1995, soit 44 jours avant ses 19 ans.

C’est au téléphone qu’on m’a annoncé le décès de mon fils.

 

 

 

 

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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