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Burundi: Leurs médias bloqués ou détruits, les journalistes rivalisent d'ingéniosité

Les médias burundais font l’objet d’une chasse aux sorcières impitoyable lorsqu’ils ne sont pas tout simplement détruits. Soit au sein de la population dans son ensemble soit parmi les journalistes et travailleurs des médias, les arrestations et  les massacres continuent jour et nuit.

Pour avoir une idée de l’ampleur de la répression, à l’occasion de la visite du Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon,  à Bujumbura, le Président burundais a promis de libérer un total de 2000 prisonniers, selon une information publiée sur la page Facebook SOS Médias Burundi. Preuve de la soif d’informations, créée le 17 février 2016, cette page a déjà obtenu plus de 27 000 adhésions.

Dans un billet écrit pour globalvoices.org, traduit par Suzanne Lehn, sous le titre de  Baroud d’honneur pour les médias indépendants du Burundi, le chercheur en anthropologie, Liam Anderson, nous décrit le calvaire que vivent les journalistes burundais.

La Maison de la Presse à Bujumbura, dont l'accès a été bloqué pour les radios indépendantes. Photo sur Flickr de DW Akademie – Africa. CC BY-NC 2.0
La Maison de la Presse à Bujumbura, dont l’accès a été bloqué pour les radios indépendantes. Photo sur Flickr de DW Akademie – Africa. CC BY-NC 2.0

Les médias indépendants du Burundi ne sombreront pas sans lutter.

Dans ce pays où l’escalade de la crise politique menace la liberté d’expression, les journalistes tiennent bon pour que les événements ne passent pas inaperçus.

L’insécurité impose toutefois imagination et discrétion. Les canaux internet gagnent une importance neuve, et utilisent radio et médias sociauen continu pour informer les citoyens. Ces organes d’information contestent les récits publiés par les médias officiels ou favorables au parti au pouvoir le CNDD-FDD, qui ignorent systématiquement les témoignages contraires à la version autorisée par le pouvoir.

Les diffuseurs indépendants sont bloqués et attaqués depuis qu’il y a un an le Président Pierre Nkurunziza s’est présenté à un troisième mandat, qu’il a gagné, déclenchant des manifestations suivies d’une insurrection armée. Le gouvernement pour sa part – avec son mouvement de jeunesse, les ‘Imbonerakure’, sa police et ses services de renseignement, est accusé de violations à grande échelle des droits humains, avec torture, arrestations arbitraires et assassinats. L’instabilité a déjà fait des centaines de morts, et plus de 200.000 réfugiés, selon l’ONU.

Les principales radios indépendantes d’information : Bonesha, Radio Publique Africaine (RPA), Isanganiro, et RadioTélévision Renaissance, sont empêchées d’émettre depuis l’attaque de leurs bureaux pendant une tentative avortée de coup d’Etat en mai 2015, et ensuite fermées pour enquête judiciaire.

La télévision pro-gouvernementale Rema a elle aussi été attaquée, ce qui laisse le paysage médiatique autrefois animé du Burundi à la seule Radio-Télévision Nationale du Burundi (RTNB), sous contrôle du pouvoir.

Les radios migrent sur le Web

Si les radios indépendantes restent dans l’incapacité d’émettre, BoneshaIsanganiro, et RPA ont continé à tenir à jour leurs sites internet. Le dernier article sur YouTube de Bonesha et sa dernière émission d’information sont datés du 12 mai, juste avant le coup d’Etat.

Tandis que l’indépendante Radio Télévision Renaissance continue à poster sur sa page YouTube, son site web a été suspendu, puis rendu accessible pour sa dernière vidéo sur la tentative de coup d’Etat des rebelles, avant d’être à nouveau rendu inaccessible.

D’autres journalistes ont commencé à émettre à la radio rwandaise, à l’intention des Burundais du Rwanda voisin, et du nord- et ouest-Burundi. L’émission de Bonesha en langue Kirundi sur la radio rwandaise Isango Star de juin 2015 a atteint six provinces. RPA a aussi diffusé son émission “Humura Burundi” depuis le Sud Kivu en République Démocratique du Congo, atteignant les audiences du Burundi de l’Ouest et les internautes, avant de subir en octobre une rafle arbitraire par les autorités de RDC amies de Nkurunziza.

Un collectif d’exilés a créé l’émission d’information en ligne, en français et en kirundi, “Inzamba”, qui serait victime de cyber-attaques et d’un site web contrefait visant à répandre la désinformation. Un service par téléphone joignable par un numéro d’appel américain, listé en ligne, permet aux Burundais de la diaspora d’écouter Bonesha.

Iwacu et SOS Médias Burundi

Le journal en ligne de premier plan Iwacu est le dernier organe de presse burundais indépendant à opérer “officiellement”, essentiellement sur Internet et papier plutôt qu’à la radio. Le site subit cependant la pression des autorités.

En août, le Conseiller présidentiel aux Communications Willy Nyamitwe a indiqué que les médias suspectés de “soutenir les rebelles” resteraient fermés. Peu après, il a accusé Iwacu de mensonges, invitant les menaces agressives des internautes partisans du gouvernement….

Malgré l’hostilité des officiels et les menaces en ligne, Iwacu a vu son audience augmenter et est en quête de nouveaux financements. Le service WazaOnline de la Radio internationale des Pays-Bas et le Yagablog ont aussi lancé à l’intention des Burundais le blog ‘WazaVote’, en partenariat avec Iwacu.

En mai, des journalistes qui n’avaient pas fui en exil ont créé SOS Médias Burundi à l’aide de FacebookTwitter et SoundCloud, obtenant rapidement des milliers d’abonnés. Conscients de leur accès Internet limité, ils ciblent aussi les audiences anxieuses de la diaspora et de l’international, et leur site web appelle à la solidarité internationale. Dépourvus de studios et de sécurité, ils continuent à informer “clandestinement” à l’aide de smartphones et des médias sociaux….

Le même mois, WhatsApp et Viber auraient été bloqués par les principales sociétés de télécoms.
Une centaine de journalistes avaient fui jusqu’à décembre, par des voies périlleuses.

Fuir la violence cyclique

La baisse des revenus et les exils précaires des journalistes menacent la capacité des radios à rouvrir un jour, de même que l’avenir des médias burundais. Le discours du pouvoir fait souvent l’amalgame entre rebelles ou tueurs non identifiés et journalistes ou militants des droits humains en une unique ‘opposition’ pour justifier de faire taire même les critiques inoffensives, en signalant des hommes politiques à Interpol ou en ‘punissant’ les contestataires.

La méthode militariste du gouvernement cherche à contrôler ou à étouffer les médias critiques et l’opposition, considérés comme des menaces existentielles plutôt que des partenaires démocratiques. Mais la répression incite à la rébellion, qui se ‘légitiment’ mutuellement, à l’origine de divisions dégénérant en violence cyclique, et d’un espace politique qui s’amenuise.

Ce journalisme ‘souterrain’ contribue à défier l’impunité pour les exactions et à informer les citoyens à l’intérieur et l’extérieur du Burundi. Au milieu des rafles policières et des grenades insurgées, les médias de confiance peuvent appuyer les droits civiques et un large dialogue, nécessaires pour que les Burundais ne restent pas indéfiniment pris au piège entre militarisation autoritaire et rébellion.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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