Colombie: Kunta Kinte, festival international du cinéma afro à Medellin, ou le FESPACO des Amériques, Acte II
Il existe un seul et unique portrait de lui. Un portrait que l’on a retrouvé dans les caves des archives de Carthagène, sur la côte caraïbe colombienne.
Un portrait rongé par l’humidité, mais où on reconnaît bien le président Nieto Gil ceint de l’écharpe tricolore présidentielle. Mais il y a un problème : son visage et ses mains ont été blanchies. Et on sait même où : à Paris, lors d’une restauration plutôt maladroite.
En fait, il était tellement insupportable à l’élite blanche et descendante d’Espagnols d’avoir eu, ne serait-ce que six mois, un président noir, qu’elle a envoyé son seul portrait officiel se faire blanchir la peau en France.
Il aura fallu attendre jusqu’au Président actuel président colombien, Juan Manuel Santos, pour que cet unique portrait soit placé dans la galerie de portraits officiels des présidents colombiens. avec sa couleur d’origine. La population afro-colombienne représente pas moins de 10 pour cent des habitants du pays. Dans le département de Chocò, dont la capitale est Quibdó, (Nord-ouest du pays) ils représentent plus de 82 pour cent de la population totale et dans celui de San Andrés, Providencia et Santa Catalina, capitale San Andrés, 57 pour cent. D’autre part, on compte 11 villes où la population afro-descendante représente au moins 10 pour cent des habitants.
Dans le passé, avant que des pouvoirs latino-américains ne tentent de se blanchir en effaçant toute trace de l’apport humain et culturel africains, il y a eu plusieurs personnalités afro-descendantes dont des chefs de guerre pour l’affranchissement des esclaves ou d’indépendance des puissances coloniales européennes dans l’histoire de cette région du monde. Toussaint Louverture de Haiti ne fut pas les moins prestigieux.
Dans un article publié au mois de novembre 2016, le site couloirdafrique.com fait une rapide présentation de certaines des plus illustres personnalités d’origine africaine qui ont marqué l’histoire latino-américains.
De nos jours, partout en Amérique latine, les initiatives se multiplient pour une reconnaissance plus affirmée de l’apport des afro-descendants dans chacun des pays. Au Brésil et dans de nombreux autres pays il y a le Jour de la conscience noire, le 20 novembre, un jour férié pour symboliser la résistance face à l’oppression. En Argentine aussi, pays qui avait exterminé presque tous ses noirs, mais dont le premier président aussi était Afro-descendant, le 8 novembre a été choisi comme la « Journée nationale des Afro-Argentins et de la Culture Afro » que le Secrétariat argentin aux droits de l’homme présente ainsi:
La date choisie correspond à la mort de Maria Remedios del Valle afro-argentine appelée « Mère de la patrie » à laquelle le général Manuel Belgrano a conféré le rang de capitaine pour son courage et sa valeur sur le champ de bataille. Il s’agit d’un nouveau progrès dans la reconnaissance des contributions à la construction de la patrie et à l’identité nationale de la communauté afro.
Dans l’article ci-dessous Najet Benrabaa,
Pour sa deuxième édition, Kunta Kinte, le festival international du cinéma afro ouvre ses portes le 4 septembre à Medellin. Durant six jours, plus de 100 films d’une quinzaine de pays vont être présentés. La plupart sont des courts métrages de réalisateurs professionnels, mais aussi des travaux de 110 jeunes formés au travail cinématographique. Cette année, le thème met à l’honneur l’histoire de l’esclavage. Ce sera également un hommage à l’enfance et l’adolescence des Afro-descendants.
En Colombie, comme dans de nombreux pays, être Afro-descendant reste un handicap. La société a encore beaucoup de mal à les reconnaître comme partie intégrante. Pour les jeunes, c’est un défi et un déchirement : suivre le mouvement en s’effaçant ou trouver la force d’être fier de ses racines.
Le festival Kunta Kinte veut donner un outil aux jeunes pour s’exprimer et revendiquer leur culture. Ramon Emilio Perea, le directeur du festival et un membre de l’organisation Carabantu à l’origine du projet, résume l’objectif. « Nous voulons utiliser le cinéma comme outil éducatif pour valoriser et cultiver l’identité des Afro-descendants. Pour faire du cinéma, il faut des moyens financiers.Les Afro-descendants en ont souvent manqué. En Colombie, nous avons peu de cinéastes afros. Alors notre festival veut donner l’opportunité à la communauté professionnelle de se réunir, de se présenter et se développer. »
Ramon explique également l’importance d’avoir un regard neuf sur l’image des Afros à travers le cinéma et la photographie. « Durant le festival, nous allons d’ailleurs réaliser la première rencontre des réalisateurs, des cinéastes, des photographes et des producteurs afro-descendants du type. C’est un peu comme créer un réseau d’Afro-descendants. Ainsi, nous voulons travailler sur les représentations de la population noire dans le cinéma et la télévision. Identifier et caractériser cette identité. »
Lutte contre le racisme
Outre le travail des représentations audiovisuelles, le thème de fond reste la lutte contre le racisme, le quotidien des Afro-Colombiens. Que ce soit au sein de l’école pour les jeunes, ou au travail et dans les institutions pour les adultes, il est omniprésent. De fait, le travail du festival a été de longue haleine pour choisir des vidéos innovantes.
Le directeur du festival est intransigeant sur la question : « Nous avons fait une sélection des vidéos qui ont un aspect critique, qui ne tombent pas dans les mêmes clichés et stéréotypes de la population noire. Par exemple, ceux des femmes travaillant comme domestiques, ou ceux des hommes africains travaillant pour les personnes métisses ou blanches. Nous voulons combattre le racisme et permettre d’élargir le spectre du thème des Afro-descendants. Qu’on entende que dans la diaspora Afro, il y a de nombreuses représentations de la population noire et qu’elle a toujours participé dans l’histoire du monde de manière positive. »
Cet héritage est pour Ramon le but ultime. Le valoriser et le transmettre aux jeunes est une manière de toucher davantage de personnes. « Notre travail ne se fait pas uniquement avec les Afro-descendants. Le racisme se combat avec l’ensemble de la société. Les changements se feront en commun. »
Festival de l’enfance et l’adolescence urbaine
Ainsi, le festival sera présent à travers des ateliers de photographie et de vidéos dans plusieurs quartiers afro-colombiens de la ville : les communes 8, 12, 70, le quartier Ocho de Marzo, Mirador de Calasanz, Nuevo Amanecer, Santa Cruz, Moravia et Limonar. Six courts métrages de jeunes seront présentés lors de la clôture du festival. Une exposition photographique du travail des enfants sera installée également du 4 septembre au 4 octobre à l’institut Colombo Americano de Medellín. Une centaine de jeunes participeront au festival.
A cela, s’ajoutent les vidéos des professionnels internationaux. Plus de 100 films venus de Belgique, du Brésil, du Burkina Faso, de Colombie, du Congo, de Cuba, d’Espagne, de France, d’Iran, d’Italie, du Mali, de Puerto Rico, de Pologne, du Venezuela, du Sénégal et d’Ouganda seront projetés.
Pour mettre au point ce projet, près de 2 500 personnes ont été mobilisées à Medellín. A travers la Colombie, plus de 7 500 personnes ont été impliquées. Car simultanément, d’autres villes réputées pour abriter une forte communauté afro-colombienne participent au festival : Carthagène des Indes, Quibdo, Cali, Barranquilla et Turbo. Ce deuxième festival international du cinéma afro se clôturera le 9 septembre.
Par Najet Benrabaa p
http://www.rfi.fr/ameriques/20170904-colombie-projecteurs-festival-international-cinema-afro-medellin-kunta-kinte
Sur les difficultés d’être noir en Colombie, ce blog a déjà publié
- Le “blanchiment” social vu et vécu par un mannequin afro-colombien
- Entre racisme, violence, insultes et harcèlement de la police, le quotidien des Afro-Colombiens paru sur le réseau globalvoices.org. D’autres billets suivront sur les conditions de vie et les avancées des noirs dans les pays d’Amérique latine.