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Interview à Lamine Diabi, fils du colonel Kaman Diabi, la 1ère victime de Sékou Touré réhabilitée par le CNRD

J’ai toujours pensé que tant que la Guinée refuserait de revisiter cette période trouble de son histoire, il serait difficile d’avancer positivement.

La première personne que le Comité national de redressement et du développement (CNRD) a réhabilité a été le Col. Kaman Diaby Premier aviateur d’Afrique francophone. Dès 1959, il démissionne de l’armée française pour rentrer en Guinée où il est nommé chef d’état-major adjoint de l’armée, sous les ordres du colonel Kéita Noumandian, chef d’état-major général qui sera arrêté, lui aussi, en 1970 et exécuté en 1971. Ces deux personnalités et le commandant Barry Siradiou furent les principaux créateurs de l’armée guinéenne. Ils furent tous exécutés et leurs corps non retrouvés jusqu’au 15 octobre 2021 pour ce qui est du Colonel Kaman Diaby.

Bonjour M. Diabi! Présentez-vous à nos lecteurs, s’il vous plait

Bonjour M. Bah en premier lieu, je vous remercie de me donner cette opportunité de
m’exprimer. Je m’appelle Lamine Kaman Diabi, 54 ans, ingénieur et consultant. Je suis le fils du feu Colonel Kaman Diabi

Comment vous sentez-vous aujourd’hui après la réhabilitation de votre père par le CNRD

Je pourrais synthétiser mon sentiment en 3 mots ; soulagement, gratitude et espoir.
Soulagement et gratitude parce que 37 ans après la fin du 1 er régime de la république de Guinée, je peux rendre grâce à dieu d’avoir enfin doté la Guinée de dirigeants assez éclairés pour lever le voile sur cette période de l’histoire de notre pays, que je considère la plus sombre et source de tous les maux qui gangrènent Guinée. J’ai toujours pensé que tant que la Guinée refuserait de revisiter cette période trouble de son histoire, il serait difficile d’avancer positivement. L’espoir que me suscite cette réhabilitation, se traduit par un vif souhait que les évènements que nous vivons actuellement puissent permettre aux autres familles de victimes de l’injustice d’état en République de Guinée puissent être soulagées en étant informées des lieux d’inhumation de leurs chers disparus et d’enfin faire leur deuil.

Quel âge aviez-vous lorsque votre père a été arrêté? Et quelles en ont été les conséquences pour vous et pour votre famille?

J’avais moins de 2 ans au moment où mon père a été arrêté, le seul souvenir de lui est celui de quelqu’un qui piquait lorsqu’il m’embrassait.

Les conséquences de son arrestation ont été que nous nous sommes retrouvé au Sénégal dans la maison de ma grand-mère où ne vivaient que des femmes parce que je n’ai que des sœurs.

Ma mère a dû reprendre ses études de médecine avec des gardes de nuit à l’hôpital qui faisaient qu’elle était souvent absente. A la fin de ses études, après une spécialisation en maladies tropicales en France, elle a commencé une carrière à l’international au Nations Unies qui l’a menée dans plusieurs pays d’Afrique pas toujours très faciles à cette époque.

Pour ma part je me suis retrouvé très tôt, avant l’âge de 9-10 ans à l’internat dans des pensionnats en France, comme mes sœurs d’ailleurs.

Sans soutien paternel comment avez-vous pu étudier?

Il est vrai que sans soutien paternel, je peux dire que tout ce que j’ai pu apprendre en tant qu’homme, j’ai dû en faire l’apprentissage tout seul.  Pour ce qui est des études, je dois dire que ma mère s’est toujours sacrifiée pour que mes sœurs et moi bénéficient de la meilleure éducation. Nous avons toujours eu un fonctionnement familial fusionnel qui  m’a toujours poussé dans le bon sens, qui était de privilégier les études par rapport aux différents sports ou autres activités que j’ai eu a pratiquer.

Je rends grâce à Dieu que notre cellule familiale ait eu la force et les ressources pour relever le défi que les évènements nous ont imposés. J’en profite pour saluer le courage de ma mère qui a pu faire passer tous ses enfants par l’université malgré le fait qu’elle ait été veuve à 30 ans.

Étant donné que vous ne l’avez pas connu, quelle idée vous êtes-vous de votre père?

De toute mon existence, tous les témoignages que j’ai pu avoir sur mon père, me l’ont toujours présenté comme quelqu’un d’exemplaire, je n’ai jamais eu d’information négative sur la personnalité mon père. Bien qu’à l’époque l’accès à l’information était limitée, j’ai consacré une bonne partie de ma jeunesse à essayer d’en savoir plus sur lui, pour mieux comprendre les évènements qui ont conduit à sa disparition. Je me suis toujours interrogé sur les raisons qui poussé un groupe de personnes à convenir qu’il ne méritait plus de vivre à l’âge de 39 ans. J’ai donc toujours considéré mon père comme un modèle parce que rien de ce que j’ai pu découvrir sur cette période n’a pu me convaincre que lui et ses amis les plus proches (tels que le docteur Maréga, le ministre Karim Fofana, l’homme d’affaires Baïdy Gueye et bien d’autres,…) ont mérité ce qu’ils ont subi.

Ceci pendant toute votre vie? Ou bien il y a eu des changements? Et pourquoi?

J’ai aujourd’hui la ferme conviction que la grande majorité des victimes de la 1 ère République (et des suivantes d’ailleurs) a tout simplement été broyée par un système dictatorial rendu possible par une conjonction de circonstances et de causes (décolonisation , guerre froide, culte de la personnalité menant à la mégalomanie, populisme, politique identitaire). Je parle parfois de descente aux enfers, parce que les facteurs qui ont fait prospérer le système, au cours des différents régimes ont pu évoluer dans le temps, mais la cause originelle est la
même avec les résultats similaires bien qu’à différentes échelles. Dans ma quête pour la vérité, il m’est arrivé par soucis d’intégrité, de me poser la question de savoir, si mon père avait d’une façon ou d’une autre été impliqué dans des exactions avant d’être à son tour victime comme certains. Toutefois les témoignages d’acteurs de l’époque de premier plan m’ont toujours rassuré sur cette question.

Les membres de la famille des victimes savent rarement la date exacte de leur exécution. Quelle date retenez-vous comme étant celle de l’exécution de votre père? Pourquoi?

Je retiens le 28 mai comme date de son exécution, parce que d’après nos informations il aurait été extrait de sa cellule tard dans la nuit du 27 mai pour être emmené au lieu maintenant révélé par l’armée. D’ailleurs les dates qui figurent sur la stèle ne correspondent ni à sa date d’anniversaire qui devrait être le 29 octobre, ni à la date de sa mort qui à mon avis devrait être le 28 mai 1969 en lieu et place du 27 mars de la même année. J’espère qu’il sera possible de rectifier ces informations avant la fin des travaux d’aménagement.

Comment les dates que le CNRD a inscrites sur la tombe du Col. Kaman Diaby sont différente? La famille n’a pas été consultée? 

Ils m’ont expliqué qu’ils ne voulaient pas faire montre de trop de parti pris vu qu’il y a plusieurs victimes ensevelies au même endroit. Ils auraient eu à contacter toutes les familles, j’ai aussi été informé du projet de procéder à des tests ADN pour identifier les victimes. Si tout cela est avéré, je suis d’accord avec la démarche que toutes les familles soient impliquées. Par ailleurs ils étaient pressés par le temps pour profiter de la fête de l’armée.

Lire également: Témoignage d’un témoin direct, le capitaine Amou Soumah, sur la fin de Keita Fodéba, Kaman Diaby et Barry Diawadou 

Dans votre imaginaire qu’aurait été votre parcours s’il avait été vivant, du moins pendant votre jeune âge?

J’imagine que s’il avait vécu, j’aurais certainement suivi la même voie que lui, et choisi d’être militaire parce que j’ai un profond respect pour ceux qui ont choisi le métier des armes privilégiant le service à la collectivité, aux biens et confort matériels. A mon avis la principale raison qui m’a écarté du métier des armes, c’est que ma quête d’en savoir plus sur mon père m’a mené à la conclusion que le rôle de l’armée pouvait être dévoyé par les hommes politiques comme ça a été le cas en Guinée. J’avais aussi un peu de mal en grandissant à accepter l’autorité étant dans ma jeunesse d’un tempérament impétueux et n’ayant pas eu de figure paternelle.
Au lieu de cela qu’elle a été votre parcours dans la vie, malgré qu’une dictature sanglante vous ait privé de son soutien et de son guide?

Le manque d’une figure paternelle créé par le départ d’un père parti trop tôt, est difficile à porter pour quiconque, beaucoup d’autres l’ont vécu et ont sût certainement mieux se construire que je ne l’ai fait. Je rends grâce à dieu d’une part; de vivre à 54 ans la réhabilitation de mon père, que ma mère soit toujours vivante et en suffisamment bonne santé pour aussi en être témoin, d’être dorénavant en mesure de me recueillir sur son lieu d’inhumation. D’autre part de m’avoir guidé tout au long de mon parcours d’un demi-siècle à travers le monde avec toujours ce besoin, cette soif de retour à la source.

J’éprouve aussi beaucoup de gratitude envers ma proche famille pour l’apprentissage de la vie qu’elle m’a prodigué et mes études que ma mère et mes sœurs m’ont poussé à poursuivre dans un sentiment de cohésion familiale malgré cette absence paternelle que nous avons tous subi et vécu différemment chacun à sa manière. Sur le plan professionnel j’ai toujours recherché des apprentissages et expériences qui pourraient éventuellement servir en Guinée, pour moi il est du devoir des guinéens qui ont vécu dans le monde de contribuer à la construction du pays avec tout ce qu’ils ont pu constater d’exemplaire à l’étranger.

Encore une fois merci de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer à titre personnel sur mon vécu et ma perception les importants développement récents de la situation socio-politique en Guinée.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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