Politique

Diallo Telli élu secrétaire général du Grand Conseil de l’Afrique occidentale française

Le 1er avril 1957, Telli est nommé substitut du procureur de la République près le tribunal de 2e classe de Cotonou au Dahomey. Une nomination pour la forme, car il ne rejoindra pas ce poste : en fait, il reste affecté au cabinet du haut-commissaire à Dakar.

Mais il est bientôt pressenti pour devenir le secrétaire général du Grand conseil de l’AOF. Cette institution créée en 1947, mais alors purement consultative, doit, avec la mise en application de la loi-cadre Defferre, devenir l’instance parlementaire représentative de la population africaine de toutes les possessions françaises de l’Afrique de l’Ouest. Telli n’est pas en réalité le seul candidat à ce poste de premier plan, mais il s’avère être le plus habile. Il rend visite successivement à tous les membres du Grand conseil, qui doit ratifier la nomination. Il affirme à chacun d’entre eux que la plupart des autres lui sont déjà favorables mais qu’il tient cependant tout particulièrement à son suffrage. Flattés de ce qu’ils veulent entendre comme un hommage spécial rendu à leur influence, tous, chacun à leur tour, promettent leur soutien. Et il est élu sans difficulté !

Pour se préparer à ces nouvelles fonctions, les plus importantes exercées à l’époque par un Africain dans l’administration, il vient à Paris suivre un bref stage de formation. Alain Coret, qui était alors administrateur des services de l’Assemblée de l’Union française 9, avant de terminer sa carrière comme directeur au Conseil des communautés européennes à Bruxelles, s’en souvient : 

« Le palais d’Iéna à Paris, qui abritait désormais l’Assemblée de l’Union française, reçut la visite, en 1957, de quelques personnes qui ne relevaient d’aucun des schémas coutumiers ni conseillers de l’Union française ; ni représentants de l’exécutif ni membres du personnel de l’Assemblée ou des services publics concourant à son fonctionnement ; pas davantage des visiteurs occasionnels qui, pour des motifs fort divers, se présentent aux sièges des assemblées parlementaires. Il s’agissait en fait de « stagiaires » en droit et pratiques parlementaires : Diallo Telli était du nombre.

Ces stagiaires étaient au demeurant tout à fait particuliers, puisqu’ils allaient — sous peu — assumer d’importantes fonctions : celles de secrétaires généraux d’assemblées de territoires d’outre-mer ou de groupes de ces territoires qui, à la suite de la loi-cadre Defferre du 23 juin 1956 et des décrets subséquents, voyaient leurs compétences fondamentalement transformées par rapport à celles qui étaient de rigueur depuis 1946. Cette mutation était telle, qu’inévitablement, les règles et pratiques de fonctionnement interne de ces assemblées, jusqu’alors de nature administrative, devaient être profondément transformées pour se rapprocher de celles en vigueur dans des assemblées de caractère plus politique.

C’est ainsi, poursuit Alain Coret, que me fut présenté dans le bureau présidentiel l’un des candidats à une telle formation. Originaire de Guinée, il exerçait jusqu’alors des fonctions dans la magistrature d’outre-mer. Particulièrement ouvert, beaucoup plus jeune que ses « condisciples », il était appelé à assumer le secrétariat d’une assemblée de superposition, à l’échelle d’un groupe de territoires, puisqu’il s’agissait du Grand conseil de l’AOF. Il en tirait, incontestablement, une grande fierté.

Le délai imparti pour sa formation était déjà exagérément bref, puisque de deux semaines seulement. Il fut réduit dans les faits en raison des multiples obligations de Diallo Telli dans la capitale. Toutefois, sa vive intelligence lui permettait une assimilation rapide des problèmes et compensait donc, dans une mesure notable, les incontestables inconvénients résultant des contraintes d’une insuffisance du temps disponible.

Une intelligence intuitive, mais sélective aussi. Les règles et pratiques à connotation politique retenaient, préférentiellement, l’attention de Diallo Telli : nombre de dispositions du règlement intérieur par exemple, ou encore la conduite des séances. Il attachait, par contre, un assez faible intérêt à d’autres domaines du fonctionnement interne des assemblées qui, pour être de nature plus administrative, n’enêtent pas moins une grande importance : c’est ainsi qu’une visite au service des procès-verbaux ne parut pas le passionner particulièrement. En clair, il se voulait avant tout un politique.»

Telli accède officiellement aux fonctions de secrétaire général du Grand Conseil de l’Afrique occidentale française en avril 1957.

Pendant près de dix-huit mois, il va ainsi se familiariser avec la pratique d’une institution de type parlementaire, ce qui lui sera fort utile ultérieurement, en particulier aux Nations unies où une bonne connaissance des procédures et des règlements peut constituer un atout sérieux pour participer aux débats et les orienter.

Telli va alors approfondir ses relations amicales avec tout ce que l’Afrique de l’Ouest compte de cadres intellectuels et administratifs et de leaders politiques. Plusieurs, parmi ces derniers, ont suivi le même itinéraire personnel que lui, profitant des bourses que le gouvernement français mettait à leur disposition pour se former en France, où il a déjà rencontré nombre d’entre eux ; mais certains sont déjà considérés comme de « grands anciens » : 

Telli va alors approfondir ses relations amicales avec tout ce que l’Afrique de l’Ouest compte de cadres intellectuels et administratifs et de leaders politiques. Plusieurs, parmi ces derniers, ont suivi le même itinéraire personnel que lui, profitant des bourses que le gouvernement français mettait à leur disposition pour se former en France, où il a déjà rencontré nombre d’entre eux ; mais certains sont déjà considérés comme de « grands anciens » : 

  • Léopold Sédar Senghor
  • Félix Houphouët-Boigny
  • Lamine Gueye
  • Hamani Diori
  • Gabriel Lisette
  • Ouezzin Coulibaly
  • Modibo Keita
  • Fily Dabo Sissoko
  • Djibo Bakary
  • Issoufou Saidou Djermakoye
  • Gabriel d’Arboussier 
  • Me Boissier-Palun, et bien d’autres encore. 

Curieusement, bien qu’il soit officiellement secrétaire général du grand-conseil, Telli conserve encore son poste de chef de cabinet adjoint du haut-commissaire ; c’est d’ailleurs à ce titre qu’en juillet 1957, il est désigné par Michel Jobert, le directeur de cabinet, pour accompagner les invités du haut-commissariat aux manifestations du 14 juillet à Paris.

Il exerce ses nouvelles fonctions avec aisance, et les travaux du Grand Conseil se déroulent de manière très satisfaisante. Certains reprocheront pourtant à Telli d’avoir joué de son influence pour faire élire à la présidence du Grand Conseil, après Me Boissier-Palun à qui elle avait d’abord été dévolue, Gabriel d’Arboussier, dont l’appui aux thèses d’Houphouët-Boigny lors des discussions sur les institutions de 1958 s’avèrera capital et fera pencher la balance en faveur de l’émiettement des exécutifs, plutôt qu’en faveur d’un seul exécutif fédéral dans chacun des groupes de territoires, système qui avait notamment la préférence de Sékou Touré.

Ceux qui l’ont connu à cette époque de sa vie donnent des témoignages concordants sur Telli. E. de Nattes, qui fut directeur des affaires politiques au haut-commissariat de Dakar, nous dit ainsi : « C’était un homme simple, attentif, qui essayait vraiment de comprendre ce qu’il entendait et qui répondait calmement, intelligemment. Il n’extériorisait pas de sentiments particuliers mais créait naturellement une atmosphère de calme, de sérénité. 

Pourquoi donc cette haine persistante et progressive de Sékou Touré à l’égard de Diallo ?

Je dis bien : cette haine progressive et je ne crois pas me tromper. Parce qu’ils étaient aux antipodes l’un de l’autre. Par tempérament et du fait de sa carrière, Diallo était internationalisé jusqu’au bout des ongles. Très calme, très posé, s’exprimant sans élever la voix, avec beaucoup de sérénité et d’intelligence, Diallo bénéficiait largement de ses expériences, de ses longs et divers contacts internationaux et de toutes les connaissances ainsi acquises.

Autant il aurait pu aisément vivre et s’épanouir dans le sillage de Félix Houphouët-Boigny ou de Léopold Sédar Senghor, par exemple, autant c’était impossible au contact direct de Sékou Touré. Cet appel naturel pour la vie dans une dimension civilisée que Diallo portait en lui, le président guinéen l’entendait bien et en appréhendait par avance les effets 10. »

Écoutons aussi Guy de Valence, qui travailla avec Telli au haut-commissaire à la fin de cette époque: 

« L’homme était assurément très sympathique, doué d’une grande vivacité d’esprit, chaleureux et même passionnément homme de dialogue; j’étais aussi frappé par le souci de rigueur qu’il manifestait dans l’exercice de ses responsabilités professionnelles. Cette exigence morale, qui n’excluait pourtant jamais une certaine indulgence, lui valait quelques avanies dans le petit monde de politiciens où parfois des appétits subalternes se révélaient.

Au moment de l’indépendance des États de l’Afrique de l’Ouest, la disparition d’Ouezzin Coulibaly lui parut dramatique dans la mesure où il considérait que l’intéressé eût été l’un des rares hommes politiques susceptibles d’empêcher la rupture avec Sékou Touré.

Je crois que Diallo Telli appréciait également beaucoup la personnalité de Djibo Bakary dont il déplorait le choix au référendum de 1958 (&ellip;) Lorsque j’ai appris, bouleversé, le sort abominable qu’on lui avait réservé dans son propre pays, je me suis souvenu d’un mot qu’il avait souvent prononcé devant moi à cette époque, d’un mot qu’il semblait considérer comme l’un des objectifs, et peut-être un des plus importants qu’un responsable politique doive s’assigner de défendre : « Dignité, disait-il, la dignité de l’homme 11». 

Diallo Telli suivra évidemment avec passion, en juriste et en politique, l’évolution qui, après le retour au pouvoir du général de Gaulle en France, en mai 1958, entraînera la fin de l’Union française, la disparition progressive des institutions de la loi-cadre et l’instauration, après le référendum du 28 septembre 1958, de la Communauté française pour celles des colonies françaises qui ont voté « oui », ou au contraire l’avènement de l’indépendance pour le seul territoire qui a voté « non », lequel n’est autre que son propre pays, la Guinée.

Compte tenu de ses compétences et de ses fonctions, Telli est évidemment consulté par ses amis du Rassemblement démocratique africain (RDA) quand il s’agit de débattre des avantages respectifs des formules fédératives ou confédératives dans les futures institutions africaines ou à propos de la position en faveur du « oui » ou du « non » au référendum. Rien n’indique qu’il prend alors position ouvertement pour l’une ou l’autre des thèses en présence.

Déjà Africain convaincu, il peut souhaiter la plus large fédération possible, amorce d’une plus grande unité du continent, et surtout obstacle à la « balkanisation » de l’Afrique et à sa division en éléments trop réduits. Il a vécu l’expérience du Grand Conseil et a donc bien vu ce que tous les territoires ont en commun.

Pourtant, s’il est vrai qu’il a joué un rôle dans l’élection de Gabriel d’Arboussier à la présidence du Grand Conseil, il a fait dans ce cas pencher la balance en faveur de la thèse de ceux qui, autour d’Houphouët-Boigny, ne souhaitent pas le maintien d’exécutifs fédéraux dans la future Communauté : le leader ivoirien a fait voter en mai 1958 par l’Assemblée territoriale et par le conseil de gouvernement de la Côte d’Ivoire une motion affirmant leur « volonté de rejeter absolument toute direction, assemblée ou exécutif à l’échelon de Dakar » ; et il est clair qu’il ne souhaite pas associer la déjà riche et prospère Côte d’Ivoire à un «regroupement de la misère et de la médiocrité » qu’Abidjan devra subventionner — à l’époque, 40 % des recettes d’exportation de l’AOF proviennent du cacao ivoirien – mais qui sera dirigé depuis Dakar » !

Ces idées vont directement à l’encontre de celles de Senghor, qui souhaite au contraire, et de manière bien explicable du point de vue sénégalais, favoriser le regroupement et l’installation d’exécutifs fédéraux à Brazzaville… et à Dakar. Ces mêmes idées vont également à l’encontre des souhaits unitaires de Sékou Touré, et de Nkrumah bien entendu. Par ailleurs, la formation française de Telli peut aussi lui faire préférer la formule de la Communauté française : c’est ce que laisse entendre Guy de Valence en soulignant, nous l’avons vu, qu’il déplore a priori le choix négatif de Djibo Bakary au référendum. Ce choix pourtant sera finalement aussi celui de Sékou Touré et de la Guinée presque unanime.

Quatrième de la série de quatre consacrés aux jeunes années d’El Hadj Boubacar Telli Diallo tirés du Chapitre 1. Les Années d’Apprentissage du livre Diallo Telli. Le destin tragique d’un grand Africain que lui a consacré André Lewin l’ambassadeur de France en Guinée (1975-1979) et ami du tyran Ahmed Sékou Touré. Le livre entier est accessible gratuitement sur le site campboiro.org.

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konakryexpress

Je revendique le titre de premier clandestin à entrer en Italie, le jour où la mort de Che Guevara a été annoncée. Mais comme ce serait long de tout décrire, je vous invite à lire cette interview accordée à un blogger et militant pour les droits humains qui retrace mon parcours dans la vie: https://fr.globalvoices.org/2013/05/20/146487/

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